Plus de 60 professeur·e·s de droit des différentes universités suisses ont écrit une lettre ouverte pour mettre en garde le Conseil fédéral et les Parlementaires contre l’adoption d’une loi en de nombreux points problématique.
Violation de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), incompatibilité avec la Convention des droits de l’enfant, mise à mal des garanties procédurales et instauration de l’arbitraire : la nouvelle Loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT) ne laisse pas les professionnel·e·s du droit indifférent·e·s, également hors des frontières nationales. Des expert·e·s de l’Organisation des Nations Unies (ONU) en matière de droits humains ont critiqué différents aspects de la loi dans une lettre officielle de seize pages adressées au gouvernement helvétique[1]. Le Parlement a cependant décidé de ne pas tenir compte de ces différentes expertises, ce qui est à déplorer.
Si les États ont le devoir de protéger leur population et si des mécanismes de prévention du terrorisme (pris dans son sens large et ne s’arrêtant pas à la radicalisation de certains individus) sont nécessaires, nous pouvons nous demander quelle devrait être la nature de ces mécanismes. Faut-il céder à la peur et répondre à la violence par des atteintes aux droits humains ? Ou ne serait-il pas plus souhaitable de traiter la question du terrorisme en utilisant les garanties essentielles de notre société que sont les droits fondamentaux, la démocratie ou encore l’État de droit ? Mesures de prévention ne doit pas signifier dérive sécuritaire.
La Loi sur les MPT est appelée à devenir une tache sérieuse dans l’héritage par ailleurs fort de la Suisse en matière de droits de l’homme.
La Loi sur les MPT soumise à votation s’écarte considérablement des valeurs que de multiples textes nationaux et conventions internationales s’emploient à garantir. Elle ferme les yeux sur des atteintes aux droit fondamentaux. Elle sacrifie l’État de droit. De l’avis des expert·e·s du Haut-Commissariat aux droits humains (HCDH), elle « est appelée à devenir une tache sérieuse dans l’héritage par ailleurs fort de la Suisse en matière de droits de l’homme »[2]. Les explications en 5 points:
1. Une définition du « terrorisme » ouvrant la porte à l’arbitraire
Une des principales problématiques que pose la Loi sur les MPT est la définition bien trop vague de ce qu’est le terrorisme. De par leur formulation excessivement imprécise, les définitions de « terroriste potentiel » (art. 23e, al. 1) et d’« activités terroristes » ( art. 23e, al. 2) introduisent une insécurité juridique propre à créer des situations d’arbitraire. Des actions politiques peuvent-elles être propres à « propager de la crainte » et ainsi devenir des « activités terroriste » ? L’arsenal de mesures policières préventives pourra-t-il être exercé contre des manifestant·e·s non violent·e·s ? Selon les expert·e·s de l’ONU, la loi pourrait créer un dangereux précédent pour la répression de la dissidence politique.
L’interprétation de la notion d’activité terroriste étant si subjective, on s’attend naturellement à ce qu’elle soit analysée par un tribunal, afin que les mesures policières prononcées soient légitimes. Or la Loi sur les MPT confie cette tâche à la police fédérale(Fedpol), une autorité administrative et non judiciaire, qui de plus occupe un rôle dans la procédure, ce qui la rend juge et partie. Et hormis pour l’assignation à résidence, aucun contrôle judiciaire n’est prévu. On constate donc une violation des droits fondamentaux des personnes concernées et de l’État de droit.
2. Violation des droits de l’homme, des libertés fondamentales et de la Constitution
Les mesures policières de lutte contre le terrorisme sortent du cadre du droit pénal et les personnes à qui elles sont adressées ne bénéficient pas des importantes garanties prévues dans toute procédure pénale par la Constitution et les conventions internationales de protection des droits humains. Des mesures policières préventives instaurées sans conditions strictes et de façon insuffisamment déterminées constituent une atteinte frontale à l’État de droit. De plus l’art. 5 CEDH, garantissant le droit à la liberté et à la sûreté, n’est pas respecté en cas d’assignation à résidence résultant d’une décision administrative et non d’une procédure pénale. Et les mesures policières préventives sont précisément de nature administrative et non pénale. La Loi sur les MPT viole donc l’art. 5 CEDH.
Précisons encore que selon l’art. 36 al. 3 de la Constitution, toute restriction aux droits fondamentaux est contrainte de respecter le principe de proportionnalité, principe garanti également par l’art. 5 al. 3 de la Constitution. Et du fait de son cercle de destinataires trop vaste et imprécis, la Loi sur les MPT contreviendrait à ce principe élémentaire[3].
3. Instauration d’une présomption de dangerosité
Selon l’art. 23 al. 1 de la Loi sur les MPT, des mesures policières pourront être prises à l’encontre d’une personne sur la base « d’indices concrets et actuels qu’elle mènera des activités terroristes ». La notion de terrorisme ne suppose donc plus la commission d’un crime, mais la simple présence d’«indices» portant sur une activité future. Il reviendra ensuite à la personne contre laquelle les mesures policières sont ordonnées de prouver son innocence, ce qui sera tout sauf aisé. Ce renversement du fardeau de la preuve est extraordinaire et ne correspond pas à notre ordre juridique. Fini la présomption d’innocence, place à la présomption de dangerosité.
4. Violation de la Convention relative aux droits de l’enfant
Appliquer des mesures policières de lutte contre le terrorisme à des enfants dès 12 ans, de même qu’assigner à résidence des mineurs de 15 ans, n’est pas compatible avec la Convention relative aux droits de l’enfant[4]. La nature préventive et répressive des MPT est en effet en contradiction claire avec la préservation de l’intérêt supérieur de l’enfant telle que prévue dans la Convention. Une fois encore, Jean Zermatten et Philip D. Jaffé, des spécialistes des droit de l’enfant, avaient tenté, en vain, de rappeler aux Parlementaires les obligations juridiques de la Suisse et avaient mis en garde contre les atteintes provoquées par la Loi sur les MPT[5].
5. Le droit pénal actuel est déjà suffisant
Pour finir, une étude récente de deux chercheurs de l’Université de Lausanne vient de démontrer que le droit pénal actuel est déjà suffisamment apte à traiter les enjeux terroristes sans que de nouvelles mesures policières préventives ne soient nécessaires[6]. Ainsi, évitons de céder à l’illusion de sécurité apportée par des mesures disproportionnées et gardons à l’esprit cette conclusion des expert·e·s du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits humains (HCDC) : « La protection des droits humains et les mesures efficaces de lutte contre le terrorisme ne sont pas des objectifs antagoniques, mais devraient être considérés comme des intérêts complémentaires et se renforçant mutuellement dans toute société démocratique »[7].
Le 13 juin, refusons donc une loi mal formulée aux allures de dérives sécuritaires qui n’est pas digne d’une société démocratique respectant l’État de droit.
[1] https://spcommreports.ohchr.org/TMResultsBase/DownLoadPublicCommunicationFile?gId=25305
[2] https://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=26224&LangID=F
[3] Markus Mohler, PMT-Gesetz: Wichtige Bestimmungen sind weder verfassungs- noch EMRK-konform, sui generis 2021, p. 135.
[4] Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 (RS0.107).
[5] Cf Jean Zermatten et Philip D. Jaffé, Les droits de l’enfant sacrifiés au profit de la lutte contre le terrorisme ?, in : Le Temps, 25.05.20.
[6] Cf « L’étude qui décortique l’arsenal pénal antiterroriste en Suisse », Le Temps 10.05.21.
[7] https://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=26224&LangID=F.