Stations: la priorité accordée au ski à l’épreuve du réchauffement climatique

Avec l’évolution du climat, l’avenir des stations de montagne est mise au défi, et dépend de leur capacité à imaginer dès aujourd’hui une offre où le ski occupera une place moins importante.

 

La question de l’avenir du ski se posera progressivement partout. Comment pouvons-nous envisager un avenir où il perd l’importance cardinale qu’il a connue au cours des dernières décennies? Bien sûr la situation varie d’une station à l’autre et il est difficile de généraliser. Le Valais est également concerné, bien que certains estiment encore que le canton ne sera pas confronté à cette question avant plusieurs décennies en raison de ses domaines skiables les plus élevés des Alpes.

L’annulation des coupes du monde de ski à Zermatt en octobre dernier ainsi que celle de samedi dernier à Crans-Montana, pour cause de manque de neige et de températures trop élevées ne sont que la pointe de l’iceberg: le climat se réchauffe, la neige naturelle se raréfie et rend plus difficile la poursuite d’une économie basée sur l’or blanc. Alors que faire?

 

L’enneigement artificiel comme principale mesure d’adaptation au réchauffement climatique

Jusqu’à présent, la principale réponse au changement climatique a été l’utilisation de l’enneigement artificiel. 53% des pistes en Suisse en sont aujourd’hui équipées (chiffres des Remontées mécaniques suisses) mais un peu moins en Valais (40% selon une enquête du Walliser Bote parue le 6 février dernier).  La proportion d’équipement varie considérablement d’un domaine skiable à l’autre, certains en ayant peu ou pas du tout, tandis que d’autres ont une couverture supérieure à 80% (comme les 4 Vallées et Zermatt). Et c’est toujours la réponse qui continue à être privilégiée: toujours selon le même article, les entreprises valaisannes entendent investir plus de 50 millions dans les canons à neige ces cinq prochaines années. L’objectif est de pouvoir assurer au moins 100 jours d’exploitation du domaine skiable, seuil considéré comme nécessaire pour pouvoir faire tourner économiquement un domaine skiable.

Cette stratégie commence cependant à montrer ses limites. Températures trop élevées pour produire de la neige artificielle, concurrence avec d’autres usages pour l’accès à la ressource en eau (eau potable, agriculture, hydro-électricité, biodiversité), consommation électrique problématique dans le contexte énergétique actuel. Sans parler des coûts de la neige artificielle qui renchérissent fortement le prix du forfait journalier: l’installation de canons à neige pour un kilomètre de piste coûte environ un million de francs. Ni de l’impact sur le paysage et la nature. Ne serait-il pas temps de penser autrement l’avenir du ski et de nos stations?

 

Les skieurs professionnels se mobilisent face à la raréfaction de la neige

L’association Protect Our Winters (POW) a récemment publié une lettre, signée par 142 skieurs de différentes disciplines (ski alpin, freestyle, freeride), dont les stars Mikaela Shiffrin et Aleksander Aamodt Kilde. Le document a été remis de façon symbolique à la Fédération internationale de ski (FIS) à Courchevel, quelques heures après la descente hommes des Championnats du monde de ski alpin. Elle alerte sur la raréfaction de la neige et l’impossibilité de produire de la neige artificielle sur certains sites de compétitions habituels. L’association et les athlètes demandent à la FIS d’aménager son calendrier, afin de diminuer l’empreinte carbone en limitant les déplacements intercontinentaux, et de retarder le début des compétitions afin d’éviter les annulations d’épreuves pour cause de manque de neige.

Ce « malaise » grandissant exprimé par de plus en plus d’athlètes se comprend aisément: après tout, si la FIS et plus largement toute l’économie du ski ne parviennent pas à diminuer drastiquement leur empreinte carbone, c’est la possibilité même de pouvoir encore pratiquer cette activité dans quelques années et décennies qui s’éloigne.

 

Franck Piccard, un médaillé olympique qui invite à inventer une nouvelle image de la montagne

Chez nos voisins français, de nombreuses voix commencent à se faire entendre pour remettre en cause la dominance du ski. Dans un article publié récemment par Reporterre, Franck Piccard, champion olympique de ski en 1988, pourtant propriétaire de 6 magasins de sport en Savoie, plaide pour un ralentissement des activités en montagne et une remise en question du “tout-ski”. Il estime que l’existant est déjà suffisant. Sans pour autant remettre en question la pratique du ski actuelle lorsque les conditions sont bonnes, grignoter de l’espace pour construire de nouvelles remontées mécaniques ou des nouveaux logements, creuser de nouvelles retenues collinaires pour alimenter en eau les canons à neige sont des exemples de « maladaptation » en regard du dérèglement climatique qui affecte déjà de manière très concrète les stations.

“Le modèle de stations qui ne cessent de s’agrandir, dans l’espoir d’attirer davantage de gens, est à bout de souffle.”

Franck Piccard, champion olympique de ski en 1988

Dans ce contexte un des plus gros défis est de changer l’image de la montagne, souvent associée exclusivement à la pratique du ski alpin.

Ce défi, la station de Métabief dans le Jura français a décidé de le relever. Face à l’évolution attendue des températures, vu la faible altitude de son domaine skiable et le fait qu’il faille une trentaine d’années pour amortir les investissements dans les installations, les autorités ont pris la décision d’engager la transition de son modèle de « station de ski » vers une « station de montagne »: sortie progressive du ski alpin, envisagée à l’horizon 2035-2040, et mise en place d’autres activités sur toutes les saisons.


Montée du “ski-bashing”

La question de l’impact du ski commence à faire monter un phénomène appelé “ski-bashing“. Ce terme est utilisé pour décrire la critique de l’industrie du ski, notamment en ce qui concerne son impact environnemental et social. Les critiques peuvent porter sur l’empreinte carbone des stations de ski, les déchets laissés par les skieurs et les remontées mécaniques, la pollution sonore et lumineuse, la perte de terres agricoles et la dégradation de l’environnement naturel, ainsi que les problèmes liés à la surconsommation, le tourisme de masse et l’injustice sociale.

Cette tendance, même marginale, risque de porter préjudice à l’image du ski. Car c’est moins le ski alpin en soi qui est remis en cause que la poursuite des moyens engagés pour en permettre la pratique, quelles que soient les conditions météorologiques, plutôt que d’investir ces moyens dans d’autres activités. Dans un contexte de crises énergétique, climatique et de la biodiversité, ces images de bandes blanches de neige artificielle au milieu des pâturages ne peuvent qu’alimenter un sentiment de jusqu’auboutisme et d’incapacité à imaginer pour la montagne un autre avenir que le ski.


Revoir la place du ski dans l’économie touristique : une lente prise de conscience

Depuis longtemps, j’alerte sur les conséquences du changement climatique pour la pratique du ski et le tourisme en général. Avec un succès assez mitigé jusqu’ici il faut bien l’avouer. En décembre 2017, j’étais invité au Journal de Canal 9, la TV locale valaisanne, pour parler tourisme et climat. J’ai à cette occasion reçu un « cadeau » de la part de Christophe Darbellay, Conseiller d’Etat en charge du tourisme: une pelle à neige! Il est vrai qu’il venait de neiger abondamment mais le message implicite était clair: il n’y a pas de problème en Valais, nos domaines skiables sont à haute altitude et on pourra continuer de faire du ski chez nous.

Quelques années plus tard, les fronts commencent à bouger. Dans un article paru le 27 décembre 2022, le directeur du Groupement suisse pour les régions de montagne (SAB), Thomas Egger, affirme que les stations de sports d’hiver situées à moins de 1600 mètres d’altitude devraient dire adieu au ski alpin pour se tourner vers d’autres activités touristiques. Il mentionne le lancement du projet Interreg « Beyond Snow », auquel le SAB participe (tout comme Métabief), avec pour objectif de trouver de nouvelles possibilités de développement pour les régions où la neige se fait rare.

Tout récemment, dans un entretien accordé au Nouvelliste publié le 23 février, le président de Lens David Bagnoud soulignait:

“Cet hiver et les précédents nous montrent que chaque franc investi dans les remontées mécaniques doit être analysé. Le modèle du ski cinq mois par année n’est plus correct. On le voit avec les courses annulées en octobre ou en novembre. La saison d’hiver se resserre et seuls les dirigeants aveugles disent que le monde ne change pas.”

David Bagnoud, président de Lens

La nécessité de diversifier l’offre touristique et le rôle des pouvoirs publics

Image: Fribourg Tourisme
Le Moléson est un bon exemple de diversification touristique avec un chiffre d’affaire désormais plus important en été qu’en hiver.

Diminuer la dépendance au ski alpin signifie diversifier l’offre, en hiver comme lors des autres saisons. Pour y parvenir, les pouvoirs publics ont un rôle important à jouer en donnant les bonnes impulsions. En Suisse, de nombreuses sociétés de remontées mécaniques ne pourraient pas survivre sans le soutien des communes, du canton ou de la Confédération, comme l’a montré un récent reportage de la RTS en prenant l’exemple du Valais. On considère ce secteur économique comme indispensable et on continue d’y investir des millions chaque année, y compris parfois dans les stations de moyenne altitude, ou celles exposées plein-sud. Il s’agit donc dans un premier temps de réorienter ces flux d’argent public et d’engager davantage de moyens financiers pour soutenir la diversification des activités et moins dans la poursuite de la pratique du ski.

 

De l’innovation sociale plutôt que des infrastructures

Pour accompagner cette transition vers la diversification, il faudrait que l’Etat développe aussi de nouveaux soutiens qui ne soient plus seulement axés sur le financement des infrastructures ou sur la mise en réseau des prestataires touristiques. Je pense en particulier que les pouvoirs publics devraient davantage investir dans le savoir-faire nécessaire à la mise en place d’une nouvelle gouvernance qu’impliquent une vision et des projets touristiques « 4 saisons ». Dans ce sens, l’Etat devrait financer des postes de responsables de projet, sur une période relativement longue (3 ans au moins), qui seraient chargés d’organiser, dans les destinations, des processus participatifs avec les habitants, les prestataires touristiques et les résidents secondaires. Le développement touristique s’est beaucoup basé jusqu’ici sur la construction d’infrastructures: la transition touristique demande aujourd’hui que davantage de moyens soient consacrés à l’innovation sociale et aux compétences humaines, au « software » plutôt qu’au « hardware ».

Avenir du tourisme de montagne: Investir dans les processus collectifs de transition plutôt que dans de nouvelles infrastructures

Le Conseil des Etats a adopté en juin une motion demandant la mise en place d’un programme d’impulsion pour le tourisme. L’objectif est de renforcer les instruments existants comme la nouvelle politique régionale ou Innotour afin de redonner une capacité d’investissement à une branche durement touchée par la pandémie.

 

Quel redémarrage faut-il encourager? Faut-il profiter de la crise sanitaire pour revoir les orientations de notre tourisme basées jusqu’ici sur la croissance et l’acquisition de clientèle lointaine? Et favoriser ainsi une transition vers un autre modèle touristique?

 

Diversification et fidélisation de la clientèle “Covid”

Tout d’abord, les stations auront l’obligation  se diversifier car la saison d’hiver devient plus aléatoire, avec le changement climatique qui impacte fortement l’activité du ski, moteur ces dernières décennies de l’économie touristique en montagne. Il s’agit donc en particulier de proposer des activités estivales. Dans l’idéal, il faudrait se diversifier sur l’ensemble des saisons, hiver compris, afin de satisfaire les attentes de la clientèle avide d’expériences nouvelles, voire insolites. Ce besoin de diversification, déjà identifié avant la crise sanitaire, a encore gagné en importance.

En raison de la fermeture des frontières, des restrictions de voyage et des quarantaines, de nombreux Suisses ont (re)découvert leur pays depuis l’été dernier. Des personnes qui avaient l’habitude de se rendre régulièrement dans des pays lointains se sont soudainement rendu compte que la Suisse abonde en régions et lieux superbes offrant des expériences variées. L’enjeu pour les stations est de parvenir à fidéliser une partie de cette nouvelle clientèle indigène qui est venue presque « par obligation ».

 

Innovation sociale et  processus participatifs

Trop souvent on n’a pas demandé l’avis de la population sur le développement du tourisme, partant du principe que celui-ci ne pouvait que lui être profitable, directement ou indirectement. La pandémie peut aussi être l’occasion d’engager des processus participatifs incluant tous les habitants pour se poser des questions sur les limites à la croissance des infrastructures et de l’urbanisation, la mobilité, la qualité de vie des résidents permanents, le type d’activités touristiques souhaitées ou une meilleure redistribution des retombées économiques du tourisme.

En outre, les activités et offres touristiques peuvent encore être mieux coordonnées, notamment entre celles des vallées et celles de la plaine. Relier ces offres par un système de transports publics performant sera aussi un défi à relever, pour des raisons de protection du climat mais aussi parce que les jeunes générations en connaissent les codes et sont prêts à les utiliser si l’offre existe.

Enfin, l’Etat ne soutient pas assez les acteurs dans les processus collectifs de transition touristique. De nombreux soutiens publics existent pour financer les infrastructures, mais il faudrait davantage financer le savoir-faire nécessaire à la mise en place d’une nouvelle gouvernance qu’impliquent une vision et des projets touristiques 4 saisons. Dans ce sens, l’Etat devrait financer des postes de responsables de projet, sur une période relativement longue (3 ans au moins), qui seraient chargés d’organiser, dans les destinations, des processus participatifs avec les habitants, les prestataires touristiques et les résidents secondaires. Le développement touristique s’est beaucoup basé jusqu’ici sur la construction d’infrastructures: la transition touristique demande aujourd’hui que davantage de moyens soient consacrés à l’innovation sociale et aux ressources humaines.

 

Le sexe féminin est un atout de gouvernance politique

Ce dimanche nous connaîtrons la nouvelle composition du Grand Conseil et nous aurons les premières indications concernant celle du Conseil d’Etat valaisan et les chances, aussi minimes soient-elles, de voir une femme y être représentée.

 

Taux de succès des femmes reste inférieur à celui des hommes aux élections

Le Valais est un cancre en matière de représentation féminine avec seulement 19% de femmes siégeant au parlement cantonal. Il y a 4 ans, le nombre de candidates était de 27% . Les femmes ont donc un « taux de succès » inférieur aux hommes dans la compétition électorale. Cette année les femmes sont plus nombreuses et représentent 36% des candidatures. Mais on notera que les partis leur font davantage confiance pour la suppléance (40% des candidatures) que pour la députation (32% des candidatures). On peut ainsi espérer une légère augmentation, de quelques pourcents, de la représentation féminine mais pas d’avancée spectaculaire qui ferait remonter le Valais dans le classement intercantonal.

Il faut donner plus de place aux femmes pour qu’elles participent à la recherche de solutions adéquates aux problèmes qu’elles affrontent elles-mêmes. En suivant cette réflexion, le sexe devient un atout de gouvernance politique qu’il s’agit maintenant de mettre en avant.

Pour le Conseil d’Etat la situation s’annonce moins favorable: aucun des grands partis ne présente de femmes. On ne peut pas en faire le reproche au PS qui a été représenté ces 12 dernières années par une femme, Esther Waeber-Kalbermatten. Les autres grands partis, en particulier le PDC, n’ont pas été capables ou n’ont pas eu la volonté de trouver une femme pour accompagner leurs leaders. Seuls les Vert·e·s présentent deux femmes pour les deux parties linguistiques du canton, Magali Di Marco et Brigitte Wolf.

L’équité de représentation des régions et des langues est souvent soulignée comme une condition d’unité cantonale et une manière de respecter la diversité du canton. Ne faut-il pas demander la même équité et le même respect pour la moitié de la population, les femmes, qui souffrent toujours de nombreuses et importantes discriminations ?

Il serait temps que nos autorités s’emparent des inégalités qui pèsent sur la vie des femmes et qui constituent un frein à l’épanouissement général de notre société. Pour ce faire, il faut donner plus de place aux femmes au Grand Conseil et au Conseil d’Etat pour qu’elles participent à la recherche de solutions adéquates aux problèmes qu’elles affrontent elles-mêmes. En suivant cette réflexion, le sexe devient un atout de gouvernance politique qu’il s’agit maintenant de mettre en avant.

 

L’émancipation des femmes est un booster économique

Cette quête d’égalité n’est pas seulement – même si c’est primordial – une quête éthique. C’est aussi tout simplement du bon sens économique et social. En effet, on a démontré depuis longtemps que l’émancipation des femmes est un booster économique. Si les femmes étaient, par exemple, payées correctement, l’AVS serait en bien meilleure forme. Comme la majorité des travailleurs pauvres sont en fait des travailleuses, ce sont aussi nos besoins en aide sociale qui diminueraient. Plus encore, les entreprises, les instituts de recherche et les sociétés innovatrices réclament des solutions pour libérer les femmes du poids des tâches ménagères (qu’elles assument encore aux deux tiers). Ces employeurs ont compris qu’avec un marché du travail hostile aux femmes, ils étaient coupés de la moitié des forces de travail et des cerveaux.

Davantage de femmes au Grand Conseil et une représentation féminine au Conseil d’Etat valaisan : ce n’est pas une recette miracle, mais le gage d’une plus grande équité entre les genres et d’une plus grande disponibilité de la classe politique à trouver des solutions pour réduire les inégalités dont sont encore victimes les femmes.