A qui profite vraiment l’élevage industriel?

L’initiative contre l’élevage intensif serait, selon les opposants, une nouvelle lutte acharnée contre le secteur agricole, et elle porterait atteinte à la souveraineté alimentaire suisse. C’est loin d’être le cas. Elle a le mérite de répondre à de nombreux enjeux, tant au niveau éthique, environnemental, économique que de la santé humaine.

Le texte de l’initiative veut inscrire dans la Constitution helvétique la protection de la dignité des animaux de rente et l’interdiction de l’élevage intensif. Il prévoit que, d’ici 25 ans, les exigences de bien-être du bétail et de la volaille atteignent au moins les critères du cahier des charges 2018 du label Bio Suisse.

Et oui, derrière le steak, le filet-mignon, la cuisse, il y a un bœuf, un porc ou un poulet. Des animaux que notre Code civil ne considère pas comme des choses mais comme des êtres qui ont une dignité. Et nous devons améliorer la manière dont nous en élevons une partie.

 

L’élevage intensif nuit à l’environnement et au climat

En Suisse, le bétail est responsable d’environ 10% des émissions de gaz à effet de serre indigènes. Comment? En rotant, pétant ou déféquant, le bétail rejette du méthane dans l’atmosphère, un gaz à effet de serre 25 fois plus puissant que le CO2. La production de viande a également un impact considérable sur les émissions d’azote et de phosphore. Ces apports excessifs viennent principalement du fait que notre cheptel, dans la filière porcine et de la volaille principalement, n’est pas dimensionné en fonction de notre base fourragère et dépend de l’importation de 1,4 million de tonnes de fourrages étrangers chaque année. L’équilibre est rompu. Le lisier sursature nos sols et nos eaux en azote et en phosphore. (A lire également: Pollution à l’azote: l’autre fardeau de l’élevage.) Cet excès porte donc préjudice à la fois à la qualité des eaux, du sol, de l’air, au bilan des gaz à effet de serre, aux fonctions sylvicoles ainsi qu’à la biodiversité.

 

Une énorme part de fourrage est importé

Dans notre pays le cheptel d’animaux de rente ne cesse d’augmenter alors même que le nombre d’exploitations agricoles ne cesse lui de diminuer. Les élevages industriels de poulet se multiplient (27% de plus entre 2009 et 2019). Pour nourrir ces bêtes, il faut beaucoup de fourrage. Si deux tiers des terres arables en Suisse sont cultivées pour nourrir les animaux de rente, on importe également énormément de fourrage, parfois d’outre-mer. Si les chèvres ou les moutons sont nourries à 94% et les bovins à 86% par des fourrages indigènes, cette part tombe à 48% pour les porcs et même à 26% pour la volaille. Les poulets suisses sont ainsi quasiment des produits «hors sol» dont la nourriture est produite en grande partie sur des terres agricoles étrangères.

 

Une feuille A4 par poulet

Dans une exploitation de production animale intensive, les besoins fondamentaux des animaux ne sont pas respectés. De grands groupes d’animaux n’ont pas d’accès régulier à l’extérieur, ni de suivi vétérinaire approprié. Ils sont de plus concentrés sur la plus petite surface possible. C’est particulièrement le cas pour l’élevage des porcs (jusqu’à 10 cochons sur une place de parking) et de la volaille (une feuille A4 par poulet).

 

Poules heureuses
Le peuple peut décider si la publicité montrant des poulets ou des porcs heureux gambadant à l’extérieur doit correspondre à la réalité. Photo: Canva

Risques pour la santé

L’élevage intensif nuit à notre santé. Non seulement par l’apport excessif d’azote et de phosphore comme mentionné plus haut, mais aussi par les risques de propagation de maladies virales. Par ailleurs, les effets négatifs d’une trop grande consommation de viande sur la santé humaine sont aujourd’hui bien documentés. Chaque suisse mange en moyenne 51kg de viande (sans compter la viande achetée à l’étranger).

 

La production suisse pas pénalisée

Cet objectif d’interdire l’élevage intensif va-t-il contraindre nombre d’exploitations à la faillite comme le proclament les opposants? Dans les faits, plus de 90% des exploitations ne sont pas concernées par l’initiative car elles ont aujourd’hui déjà des modes d’élevage respectueux des animaux. Pour les autres – cela concerne essentiellement des élevages de volaille ou de porcs – un délai de mise en œuvre de 25 ans est prévu par l’initiative. De quoi avoir largement le temps de s’adapter à la nouvelle législation ou d’amortir d’éventuels investissements.

Contrairement à ce que proclament les opposants, la production suisse serait même avantagée par rapport à la production étrangère. Ces critères de bien-être animal proposés par le texte devront aussi être appliqués aux importations d’animaux et de produits d’origine animale. Aujourd’hui, nous importons en quantité des produits d’origines animales qui ne respectent pas les règles suisses et qui font une concurrence déloyale à nos propres produits. La Suisse pourra-t-elle imposer ces règles aux importations tout en respectant les accords de l’OMC? Les avis des juristes divergent. Mais c’est une bonne occasion de remettre en cause le libre-commerce dans le secteur agricole.

 

Dans la production animale industrielle, les principaux bénéficiaires sont aujourd’hui les fabricants et négociants de fourrage ainsi que la grande distribution.

 

Conscient de la nécessité de mieux tenir compte du bien-être animal tout en préservant les différents intérêts, le Conseil fédéral avait proposé un contre-projet direct, soutenu notamment par la majorité des cantons ainsi que par la Société des Vétérinaires Suisses. Il estimait en effet que des progrès doivent être réalisés en termes d’hébergement et de soins respectueux des animaux, d’accès à l’extérieur et d’abattage des animaux.

Malheureusement la majorité du parlement a refusé tout contre-projet. C’est donc maintenant au peuple de montrer, en disant oui à l’initiative, qu’il souhaite que la publicité montrant des poulets ou des porcs heureux gambadant à l’extérieur corresponde à la réalité. Et qu’il soutient les éleveurs car dans la production animale industrielle les principaux bénéficiaires sont aujourd’hui les fabricants et négociants de fourrage ainsi que la grande distribution.

A lire: L’élevage intensif nuit-il au climat

Christophe Clivaz

Christophe Clivaz est le premier conseiller national vert valaisan. Il a été auparavant député (2013-2016) et conseiller municipal à Sion (2009-2019). Politologue de formation (Dr. en administration publique), il s'est spécialisé dans l'étude du tourisme alpin. Il est professeur associé à mi-temps à l'Institut de géographie et durabilité de l'Université de Lausanne, sur le site de Sion.

6 réponses à “A qui profite vraiment l’élevage industriel?

  1. Bravo Monsieur Clivaz !!!

    Je propose à ceux qui sont contre de passer 24 heures à 10 sur une place de parking, sans lumière histoire de comprendre ce que subissent les porcs…

    1. Je propose à ceux qui sont pour de passer 96 heures sans repas chaud histoire de comprendre l’importance de nos agriculteurs…

      Il faut des lois pour protéger les animaux.

      Et il faut discuter et écrire ces lois avec les agriculteurs, pas contre eux

    2. Et je vous propose de passer 24h sous l’eau pour comprendre ce que vivent les poissons. Arrêtons les comparaisons sans queue ni tête. Les cochons ne sont pas des humains et inversement.

  2. Comment on peut laisser quelqu’un qui ne connait absolument rien de l’agriculture écrire autant de conneries ? Deux tiers des terres arables ? Totalement impossible. 10% des ges ? Faux, dans le monde c’est 5%. Il montre aussi son ignorance de ce qu’est le soja et à quoi il sert. La monopolisation du débat par des ignorants et des menteurs est révoltante.

    1. Merci pour votre prise de position si bien documentée et amenée avec tant de gentillesse.
      Vous trouverez des infos statistiques sur l’agriculture là: https://www.sbv-usp.ch/fr/service/agristat-statistique-de-lagriculture-suisse/
      et sur le bilan carbone de l’agriculture là: https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/climat/etat/donnees/inventaire-gaz-effet-serre/agriculture.html
      Et le Temps vient de faire un article complet sur l’effet de l’élevage sur le climat: https://www.letemps.ch/suisse/lelevage-intensif-nuitil-climat

      1. Selon votre source, si on additione les céréales fourragères et le maïs ensilage, on obtient 41% des terres ouvertes. Mais pour vous 41% ça fait 2/3. Pour le CO2, au niveau mondial les chiffres sont ici https://www.courrierinternational.com/grand-format/infographie-quel-secteur-emet-le-plus-de-gaz-effet-de-serre l’élevage représente le tiers de l’agriculture, donc l’agriculture végétale pollué 2× plus. Si bien que même en passant à un régime végétarien, vous ne réduisez pas les émissions de CO2.

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