Quai de Paludate, à Bordeaux, à deux pas de la MECA de Bjarke Ingels, rien ne présage ce qui se cache derrière deux bâtiments aux façades régulières et à l’apparence sobre et solide qui caractérise les réalisations en béton préfabriqué. Les architectes de l’agence parisienne COSA ont créé un condensateur urbain d’une rare compacité.
Dans le cadre de la reconversion d’un quartier essentiellement logistique en quartier mixte, une petite parcelle a dû accueillir des bureaux, un centre de propreté urbaine, un parking silo et des logements en accession et sociaux. Le centre de propreté initial occupant une parcelle en bordure de la Garonne, il a été décidé de le déplacer dans la direction du marché d’intérêt national afin de dégager les bords de fleuve pour y construire des logements et une piscine. Au cœur du bâtiment mixte comprenant du stationnement en silo ainsi qu’un programme de logements sur rue et en attique, se trouve le centre de propreté. Rien de moins que le lieu de déchargement des véhicules et balayeuses qui assurent la collecte et le nettoyage sur voie publique d’une partie de la ville. Au-dessus de cet outil municipal indispensable se déploient 420 places de stationnement, environ 2000 m2 de jardins privatifs ainsi que 56 logements sociaux et et accession. Juste à côté de cet assemblage inhabituel, se dresse un immeuble de bureau qui intègre l’écosystème tertiaire déjà bien développé du quai de Paludate.
Un centre de propreté dans un immeuble d’habitations
Le confinement du centre de propreté et le filtrage de l’air qui en sort rend possible le télescopage des habitations et de l’équipement municipal où s’opère le transvasement du contenu de petits et moyens véhicules vers des bennes. Très rapidement, le choix a été fait de développer dans un bâtiment distinct la partie du programme consacrée aux bureaux. L’immobilier tertiaire étant plus long à s’écouler, l’inclure dans la partie commune aurait probablement mis l’ensemble du projet en péril. Le logement, social et en accession, présentait des garanties de financement bien plus solides.
Le principe du cadavre exquis ne se réduit pas à cette cohabitation inhabituelle. Elle s’applique aussi aux caractéristiques formelles et ornementales du bâtiment mixte, un parallélépipède rectangle posé sur un socle comprenant le parking et le centre de propreté. La majeure partie des logements sont littéralement posés sur le toit de l’immeuble, bénéficiant ainsi d’une vue dégagée et de jardins végétalisés. Seule la façade qui donne sur le quai de Paludate comprend des logements pour « pacifier le front de rue » nous dit l’architecte. Malgré ces efforts pour atténuer la confrontation entre des fonctions jugées incompatibles, le projet peut revendiquer une certaine radicalité koolhassienne dans sa manière d’assembler ses composantes. L’effet d’assemblage se traduit aussi sur les façades avec un front de rue composé dans sa partie basse d’un socle qui imite le bâti ancien bordelais, une modénature pour le programme de parkings, et une autre pour la partie destinée aux logements.
Si ce collage postmoderne reste audacieux dans sa façon d’afficher l’acte de composer, il manque l’occasion d’exposer le contraste et transformer de centre de propreté en manifeste urbain. En cela, le projet butte contre les limites de la promotion immobilière privée, incapable de prendre de tels risque. L’architecte a eu le mérite d’utiliser de manière optimale l’instinct de camouflage du promoteur, disposé à composer avec ce que comporte le programme pour accéder à la commande, sans pour autant oser la transparence. Le cadavre exquis de la façade qui combine les accès des véhicules du centre de propreté et du logement sur rue incarne cet urbanisme de la congestion mal assumée. Les arcades Gabriel du front de rue ajoutent une dimension provocatrice à ce compromis immobilier en plaquant l’apparence des rues muséifiées de Bordeaux à l’équipement qui en traite les déchets.
L’architecte Benjamin Colboc dépeint le promoteur comme un acteur capable de relever le défi d’un programme complexe au service de la communauté. Loin des stéréotypes sur la nature exclusivement captatrice de la promotion immobilière, de tels projets démontrent selon lui une certaine maturité du secteur dans sa capacité à faire la ville. Reste que les impératifs de rentabilité du projet sont déterminants dans leur vocation à hiérarchiser les éléments du programme. L’hypothèse d’une regroupement du centre de propreté et du programme de bureaux, qui aurait permis de tenir les logements à l’écart, n’a pas été considérée. Sans le programme immobilier tertiaire distinct, les promoteurs ne seraient même pas venus.
Le bilan de l’opération est en demi teinte. Si le promoteur donne des gages d’intelligence et même d’audace dans sa façon de solutionner cette cohabitation, il peine à aller jusqu’au bout de ce à quoi engage l’architecture qu’il rend possible. En camouflant le centre de propreté, il freine ce vers quoi tend tout naturellement le principe qu’il appelle. Malgré de réelles capacités à envisager et résoudre des programmes complexes, la planification privée reste encore trop déterminée par une conception stéréotypée de la composition urbaine. Les communes, de plus en plus disposées à leur confier la conception des villes devraient en tenir compte, en leur imposant tout ce qu’ils ne sont pas capables d’assumer par eux-mêmes.
La réalisation est effectivement très compacte et intéressante tout comme est celle faite à Paris sur le bord de Seine d’Issy-les Moulineaux de l’usine d’incinération des ordures sans cheminée ni émanations et végétalisée et que l’on ne soupçonnerai pas si on ne le savait pas.
Il aurait été judicieux d’apporter une touche végétale à l’ensemble qui si j’en crois les photos de ce blog ne l’est nullement (je n’ai pas de vue globale du projet).
Il est regrettable qu’en 2022 on puisse encore voir des horreurs comme les nouveaux ensembles d’immeubles construits à Nyon qui n’ont fait preuve d’aucune imagination créative et se contentent d’alignements de “blocs” de béton et métal sans style ni âme où les appartements et balcons se font face de chaque côté d’une petite rue alors que la ville est au bord du lac et face aux Alpes.
A croire que les architectes ont fait les plans en 1970 sans se soucier de l’environnement et en oubliant qu’en 2022 on sait faire des beaux immeubles aux formes variés avec de belles terrasses et végétalisation intégrant du bois et le tout en préservant l’intimité des résidents en évitant de coller parallélépipèdes face à face comme cela était le cas dans les années 70.
Pourquoi les services de l’urbanisme laissent faire de telles horreurs alors qu’il suffit de regarder un peu plus loin pour voir de magnifiques réalisations s’intégrant à merveille dans l’environnement et offrant un cadre de vie agréable.
Parce qu’en France, les services d’urbanisme, c’est-à-dire les spécialistes mandatés pour juger sur des critères esthétiques, économiques et sociaux, sont de moins en moins appelés à décider de la forme des villes. Les municipalités délèguent aux promoteurs l’acte même de concevoir la forme des villes. Là est tout le problème.
Je suis entièrement d’accord avec vous, un promoteur veut faire le maximum de marge sur un programme, si on ne luis impose pas des règles d’urbanisme ou s’il n’a pas un “contre pouvoir” en face, il fait ce qu’il veut et ceci à minima.
Dans mon post, je parlais de Nyon en Suisse (Vaud), si vous avez l’occasion d’y aller en sortant de l’autoroute Genève-Lausanne, vous verrez le massacre en arrivant sur la ville ainsi qu’en allant à l’hôpital ou un autre programme tout aussi horrible y a été construit.
C’est impardonnable quand on a en face le Mont-Blanc avec la chaine des alpes et le lac…