Antarctic Resolution – Apprendre de l’océan Austral

Si demain la glace de L’Antarctique devait fondre, ou même se retrouver dispersée sous forme de gigantesques icebergs dans les océans de la planète, le niveau de la mer s’élèverait de 63 mètres. Même Paris serait entièrement submergée. Ce scénario improbable donne une échelle de grandeur des réserves d’eau douce qui constituent ce continent de glace, très peu habitable, mais essentiel pour préserver l’habitabilité de notre planète.  Tout cela et bien plus est admirablement détaillé dans un des plus beaux catalogues d’architecture de l’année, Antarctic Resolution, édité par Giulia Foscari, qui avait déjà reçu le prix DAM Architectural Book en 2015 pour  Elements of Venise, avec l’OMA. Son nouveau projet, présent lui aussi à la Biennale de Venise sous la forme d’un livre déployé, constitue une véritable anthologie politique, architecturale et environnementale de la présence humaine sur le continent gelé.  L’ouvrage n’est pas sans évoquer le travail qui a été mené il y a une dizaine d’années par le Laba de l’EPFL avec les leçons de Barents, en arctique cette fois-ci. L’idée était alors d’ausculter sous plusieurs angles un territoire extrême, en pleine évolution. S’il part d’une intention semblable, le projet de Foscari semble pousser beaucoup plus loin l’analyse du territoire gelé.

The Amundsen-Scott South Pole Dome City. Courtesy of © United States Navy; US Antarctic Program, National Science Foundation.

Antarctic Resolution est incontestablement “koolhaasien” par sa disposition critique à étendre le champ de l’architecture au point de le dissoudre parmi les autres disciplines. L’ingénierie, l’urbanisme, la sociologie, le design et l’écologie sont abordés dans un même élan, mais aussi avec le sérieux que mérite chacun de ces domaines de savoir. Le volet politique de l’ouvrage fait, pour sa part, la généalogie du statut extraterritorial de l’Antarctique, avec un première phase de conquête tâtonnante et parfois concurrentielle, jusqu’au traité de 1959 qui gèle sans révoquer les revendications territoriales de la dizaine de nations qui en avaient formulé. Le traité fit de l’Antarctique un espace protégé. Il établit aussi la liberté d’y mener des recherches en y installant des missions scientifiques. À une époque ou le nucléaire était en pleine expansion, il proclama l’interdiction d’y mener des essais ou d’y stocker des déchets. À partir de ce moment, l’Antarctique est devenu le laboratoire du monde de demain, tant sur le plan de la coopération internationale qu’en matière de préservation des ressources naturelles. L’ouvrage consacre un chapitre assez fourni à la sociologie de ces expéditions, leur caractère essentiellement masculin, ou encore l’extrême promiscuité à laquelle sont confrontés ces chercheurs obligés de vivre de longs mois de confinements dans des conditions proches de celles d’un sous-marin. L’évolution de l’aménagement intérieur des bases, leur espaces de loisir, leur modularité ou encore leur démontage est présenté comme un véritable laboratoire constructif de l’occupation pérenne d’un milieu des plus hostiles. 

Architecture antarctique 

Si l’ouvrage s’efforce d’aborder toutes les approches envisageables, celle qui prime est incontestablement l’approche architecturale. Foscari offre un diaporama complet des différentes typologies ainsi que des enjeux de l’acte de construire en Antarctique. Outre les difficultés d’acheminement des matériaux et des éléments de construction, le gel des sols et les tempêtes hivernales, les architectes doivent jongler avec des fenêtres très restreintes pendant lesquelles les travaux sont possibles. Parmi ces nombreuses expéditions, il faut distinguer entre celles qui s’implantent sur la roche et la terre ferme, notamment sur le littoral et sur la péninsule antarctique, et celles qui s’aventurent à l’intérieur du continent, sur le glacier antarctique. Là, les choses sont encore plus difficiles. Outre des températures extrêmes et de longs hivers sans lumière, il faut gérer les fortes chutes de neige qui augmentent l’épaisseur du glacier d’un à deux mètres par an. Cela explique que de nombreuses expéditions ont instauré des camps enfouis, accessibles par des puits rallongés au fur et à mesure ou la structure s’enfonçait dans le glacier. D’une durée limitée, ces sous-marins dans la glace ont longtemps été la forme la plus évoluée pour maintenir des missions permanentes sur le glacier. Leur forme souvent ovoïde était calculée pour résister le plus longtemps que possible au poids de la neige qui s’accumulait au fil des ans. Au bout de quelques années, ils devenaient inutilisables. Impossibles à démonter, ces bases désaffectées, captives du  glacier continuent à dériver vers la mer au rythme de 100 mètres par an.

Calving Architecture: The Archeology of the Debris. Courtesy of British Antarctic Survey Archives Service, Archives ref. AD6/19/4/1/X/AA31. © A. Alsop, 1995

À cet égard, le glacier fonctionne comme un récipient qui se remplit par haut et qui se vide par les côtés. C’est pour pallier à l’obsolescence rapide et l’impact environnemental de ces camps enfouis, qu’est apparue l’idée de constructions sur pilotis capable de se rehausser au fur et à mesure qu’augmente le niveau du glacier. La nouvelle génération de bases fonctionne sur ce principe. Elle consiste à élever annuellement le bâtiment pour lui éviter l’ensevelissement. Placée sur des glissières, Halley 6 est de ces bases qui parviennent à rester à la surface en étant déplacées une à deux fois par an. Véritable Walking City d’Archigram, le bâtiment sur pilotis est glissé hors de son emprise au sol, sous le niveau d’enneigement. D’autres camps appliquent le même principe, sans avoir à tracter le bâtiment hors de sa fosse.

Neumayer, le projet allemand repose sur des verrins hydrauliques qu’il suffit de soulever pour positionner les appuis sur de la neige tassée. Le bâtiment est ainsi surélevé deux fois par an. Véritables vaisseaux sur pilotis, ces laboratoires ambulants ont un rôle essentiel à jouer dans la recherche autour de l’évolution du climat.  Si ces constructions ont, au même titre que la recherche spatiale, une dimension symbolique, elles rendent possible des travaux de recherche d’une extrême importance. C’est une mission en Antarctique qui a tiré la sonnette d’alarme sur la diminution de la couche d’ozone, c’est d’elles toujours que l’on essaye de comprendre les mécanismes climatiques menacés par l’augmentation des gaz à effet de serre. En cela elles sont doublement vitales. 

Article paru dans le numéro 446 de l’Architecture d’Aujourd’hui

Christophe Catsaros

Christophe Catsaros est un critique d'art et d'architecture indépendant. Il a notamment été rédacteur en chef de la revue Tracés de 2011 à 2018. Il est actuellement responsable des éditions du centre d'architecture arc en rêve, à Bordeaux.

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