C’est un drôle de bâtiment, formellement complexe, mais auquel manque l’envolée expressive qui a fait la renommée du starchitecte californien. C’est un peu comme si, en essayant de modérer ses élans, Frank Gehry niait son propre langage plastique. Reste une tour de verre et de métal déstructurée, hybride, qui contraste avec le déploiement minéral et horizontal de la cité méridionale.
Ce manque de clarté dans le geste semble qualifier le projet Luma dans son ensemble. Que vient faire un équipement de cette ampleur dans une petite ville de 50 000 habitants ? Faut-il considérer la nouvelle fondation comme une affaire publique, comme le sous-entendent les prises de position officielles (le maire d’Arles ne cache pas son admiration pour la générosité des Hoffmann) et les espoirs qu’elles déclenchent dans la société locale, ou doit-on plutôt la percevoir comme une affaire strictement privée ?
À Arles, ni les choix fondamentaux à l’origine du projet ni la façon dont il se positionne par rapport à l’existant n’attestent d’une stratégie commune entre les pouvoirs publics et la mécène. Luma évolue de manière autonome, répondant à une vision et à une stratégie individuelle sûre de son succès. Avec sa tour étincelante, Maja Hoffmann inscrit dans la pierre le nom de ses enfants, Lucas et Marina, ainsi que celui d’une lignée de mécènes dont la fortune est liée au géant pharmaceutique Roche. Rompant avec la discrétion qui caractérise l’apport de sa famille à la ville depuis plusieurs générations, elle y parachute une véritable machine de guerre. Gehry ne cache pas s’être inspiré de l’industrie militaro-industrielle pour l’enveloppe du bâtiment et notamment des plaques en mousse métallique qui protègent les véhicules Humvee. S’immisçant dans le destin d’une ville dotée d’un vrai potentiel de développement et faisant face à un important problème de chômage (15% contre 9% à l’échelle nationale), Maja Hoffmann assume pleinement sa fonction d’acteur capable d’agir à l’échelle de l’agglomération toute entière. Ses propos rapportés sur le site de la Fondation servent d’adage au programme : « L’esprit de notre projet est de faire en sorte qu’il soit un activateur du tissu artistique, culturel, écologique, social et économique d’Arles et de la Camargue, dans le delta du Rhône en Méditerranée, à travers un échange et une connexion continue avec le monde et son évolution. »

Outre un parc paysager conçu par Bas Smets et des halles ferroviaires reconverties par Selldorf Architects, le projet Hoffmann comprend plusieurs investissements immobiliers dans le tissu historique de la ville, dont deux bâtisses anciennes réhabilitées en hôtels : le Cloître et l’Arlatan. L’artiste coréen Lee Ufan y croit aussi en inaugurant en 2022 une fondation d’art contemporain, conçue par Tadao Ando. L’État, enfin, y contribue, en déplaçant juste à côté de la tour Gehry la toute nouvelle École nationale supérieure de la photographie, dotée d’une belle canopée miessienne conçue par Marc Barani et proposant, pour l’essentiel, un déploiement souterrain. Dit autrement, face à l’érection de la culture globalisée, l’État esquive et s’enterre.

Si personne n’ose encore contester ouvertement cette mission, la machine semble enrayée jusqu’au point de non-retour. Lors du discours de Versailles en juillet 2017, le Président de la République citait la « part maudite » de Georges Bataille. Cette « part maudite », qui constitue un surplus, ce qui doit être dilapidé, dépensé gratuitement pour permettre à l’économie générale, matérielle et symbolique de continuer à fonctionner, n’est-elle pas aujourd’hui représentée par notre système culturel ? Il semble préférable de laisser ceux qui en ont – de l’argent – sacrifier le leur. Maja Hoffmann peut bien remplacer l’État dans son rôle de grand prêtre menant les cérémonies de dépense symbolique censées nous purger du trop-plein.
Certes, Luma n’a pas grand-chose à voir avec la scandaleuse surfacturation à des fins d’exonération fiscale réalisée par la Fondation Louis Vuitton à Paris. Maja Hoffmann a acheté le terrain et présente un budget tout à fait raisonnable pour un projet de cette ampleur, soit 150 millions d’euros. Malgré ce côté fair‑play, sa façon décomplexée de corréler développement économique et action culturelle ne l’empêche pas d’être un vecteur décisif de la financiarisation de l’art.

À quoi bon questionner l’espoir que fait miroiter l’inscription d’Arles dans la constellation des hauts lieux de l’art contemporain ? Certes, Gehry vieillissant n’a pas donné le plus bel exemple de ce qu’il aurait pu faire et le bâtiment évoquant le visage à moitié défiguré d’Arnold Schwarzenegger dans Terminator exhibe ostensiblement son caractère hybride et sa non-finitude. Dire que Maja Hoffmann s’empare du rôle qui est celui de l’État ? Dans un contexte général de réduction de la contribution publique au budget de la culture, cette initiative constitue pour la plupart une excellente nouvelle. À Arles, transformée pour l’occasion en gigantesque partie de SimCity, tout semble aller de soi. L’art contemporain, comme n’importe quelle autre activité lucrative, s’installe dans une région qui espère en tirer profit.

merci a maya et surtout a son pere qui a ouvert la voie avec la tour du valat
elle nous apporte prosperite et surtout une ouverture sur le monde
Bravo pour ce commentaire. Cela est absolument juste. Il faut simplement avoir l’humilité et l’honnetet
é de reconnaitre cette chance dont le Pays d’Arles bénéficie.
Projet novateur, volontaire et original avec des vrais professionnels (Architectes, Financiers, …) …
Cet ensemble architectural fait un peu partie de la suite de l’histoire des Tours d’Arles …
Ce projet, de part son implantation dans un lieu difficile, ne défigure pas du tout Arles …
Preuve de la pauvreté actuelle de la Ville : pas de port de plaisance sur le Rhône à Arles …
Merci, heureusement que ce projet est arrivé au bout cela élève un peu le niveau
Super vous avez raison cette ville s’endort , heureusement qu’il y’ a cette ouverture sur le monde et toutes les personnes qui critiquent la tour il faut leur demander qu’est-ce qu’ils auraient fait a la place.
Excellente analyse de Monsieur Catsaros .
Personnellement je trouve que cette tour Luma DEFIGURE totalement
l’espace et les perspectives d’Arles .Alors que le Guggenheim de Bilbao s’intègre par ses formes harmonieuses, cette tour est HORRIBLE, métal clinquant dans un monde minéral.Il est honteux que personne n’a osé s’y opposer…
Pouvoir de Madame Hoffman est immense ?
Quand l’arrrr chie texture….. se confronter à la beauté des monuments Romains…. utiles et publics…cela ne fera que les mettre encore plus en valeurs….quand la priorité et d’éliminer architecturement le déchets modernes…. Pauvre planète…
La vie va être plus chère bon courage pour payer vos loyers en ville ce sera plus que les riches et vous irai habiter dans les quartiers c votre faute bien fait pour vous
Cette personne richissime, aurait pu investir dans l’hôpital de Arles en pensant à son prochain comme certains mécène Américains. Et en étant dans une branche médicale où nous lui faisons grossir sa fortune.En plus c’est horrible, sur une ville au passé Romain et ces magnifiques vestiges , la pour le coup , d’un Empire.
Si les rues d’Arles pouvaient être, dénuées de graffitis et de déjections animales . cela serait parfait ,car tout monuments à Arles sont magnifiques.
Les goûts et les couleurs… On aurait pu donner un autre point de vue, où la tour s’inscrirait pleinement dans le paysage (la base circulaire étant une réplique contemporaine de l’arène, l’aspect miroitant rappelant le Rhône et la blancheur des monuments antiques, sa grandeur devant être comparable à celle des monuments antiques à leur époque, un peu plus démesurée certes..)
Il est toujours raison d’avoir raison trop tôt (Galilée en a fait les frais) ou d’avoir un projet avant-gardiste avant que la population locale n’y soit prête. Bilbao en son temps a aussi défrayé la chronique avant d’arriver à ce consensus actuel. La tour Luma y viendra aussi et ceux qui l’ont d’abord critiqué, seront les premiers à dire qu’ils ont toujours trouvé ce projet révolutionnaire. Quand à une œuvre qui parait selon vous inachevée, j’y vois moi l’aboutissement d’un projet pensé dans son environnement. De la base circulaire en pierre rappelant notre magnifique amphithéâtre, en passant par la forme accidentée de la tour rappelant nos chères Alpilles environnantes, sans oublier les milliers de miroirs renvoyant si bien cette belle lumière de notre ville si chère à Van Gogh et jusqu’aux murs de sel en son sein qui y font briller notre Camargue. Enfin, je dirai que la critique est aisée mais l’art est difficile.