L’agence parisienne Bruther ( Stéphanie Bru et Alexandre Theriot ) associée aux belges Baukunst viennent de livrer un bâtiment réversible pour le campus de Saclay : moitié parking, moitié résidence étudiante, leur réalisation pourrait être l’incarnation d’un monde en transition.
Au plus fort de l’été, le campus de Saclay a des airs de banlieue romaine déserte, telle qu’Antonioni l’a filmée dans L’Éclipse : une ville flambant neuve dépourvue du moindre signe de vie. Aujourd’hui, cette vitrine très politique de la recherche et de l’enseignement supérieur français est en grande partie achevée. Le chaos des grues et des camions-toupies a progressivement cédé la place au léché des éléments livrés de ce gigantesque puzzle : un parc dessiné par Michel Desvigne, l’ENSAE ParisTech par Cab, mais aussi EDF Lab Paris-Saclay par Francis Soler, et d’autres réalisations signées 51N4E, l’AUC, Farrel et McNamara, sans parler de celles qui se trouvent de l’autre côté de la N118 : un autre parc, cette fois-ci conçu par West8, les deux bâtiments de CentraleSupélec par l’OMA et Gigon Guyer, les résidences étudiantes cylindriques par LAN, le lieu de vie conçu par Muoto, le bâtiment d’enseignement de la physique par Dominique Lyon, ou encore l’ENS par Renzo Piano. Le choix de confier la construction d’institutions prestigieuses à des architectes de renom était censé propulser Saclay dans le peloton de tête des hauts-lieux du savoir globalisé. S’il est légitime de douter du bien-fondé des stratégies de pôles d’excellence, soupçonnés de privilégier les meilleurs au détriment du collectif et de l’enseignement de base, force est de constater que le nouveau Saclay constitue une variante plutôt sobre et qualitative de ce type de campus iconique et globalisé.
Si la seconde moitié du XXe siècle a vu se multiplier les campus fonctionnalistes à la périphérie de grandes agglomérations, le premier quart du XXIe siècle s’efforce de les repenser pour en corriger certains défauts, comme l’insularité et la spécialisation excessive. Lieux d’apprentissage repliés sur eux-mêmes, les campus des Trente Glorieuses sont pour la plupart dépourvus de vie. Ils souffrent de la même pathologie que les quartiers d’affaires ou les cités-dortoirs : en dehors des heures de fonctionnement, ce sont des déserts. Le projet de Saclay tel qu’il se configure au tournant du millénaire consiste à adjoindre au campus des années 1960 les composantes qui en feront une ville. À partir d’une trame fonctionnaliste traditionnelle, il s’agit de densifier, d’ouvrir des îlots cloisonnés, d’introduire une mixité d’usages, de créer des liaisons. Or l’arrivée du tronçon du Grand Paris Express, qui reliera le campus au RER B et à Orly, n’est pas prévue avant 2027. Quasi inaccessible en vélo, compte tenu de la distance et du dénivelé, le plateau de Saclay reste donc majoritairement dépendant des transports automobiles, à savoir le bus à haute fréquence et, bien sûr, la voiture.
Le bâtiment insolite de Bruther et Baukunst – une résidence étudiante, occupée pour moitié par des places de stationnement – est emblématique de cette situation paradoxale. L’immeuble est reconnaissable par les voûtes en béton qui en recouvrent le toit. Les rampes d’accès spacieuses trahissent leur fonction : les trois premiers niveaux sont des parkings ouverts. Les logements occupent les trois niveaux supérieurs. La théâtralisation des circulations verticales créée par les escaliers en colimaçon confère à l’ensemble une dimension ludique qui s’accorde assez bien avec la sobriété et la franchise néo-brutaliste de l’édifice. Au lieu de cacher la voiture pour en favoriser discrètement l’usage, elle est placée au cœur de l’écosystème bâti.

Décor progressiste et expérimental contre théâtre réactionnaire
Lorsqu’on rejoint Paris depuis Saclay, en passant par Clamart, on peut difficilement faire abstraction des nouveaux ensembles résidentiels néo-haussmanniens qui bordent l’avenue Charles de Gaulle. Au Petit Clamart, le tronçon de l’A86 surplombant le rond-point a été recouvert sur toute sa longueur d’un décor de ferronnerie style Eiffel. Cela s’appelle un embellissement. Dans l’esprit des commanditaires, la ville moderne et ses contradictions doivent disparaître sous des couches de plâtre et de constructions en acier galvanisé protégées d’un traitement anti-graffiti. Le contresens, lui, demeure entier. En effet, le camouflage de la voie rapide ne remet pas en question son fonctionnement, ni le rôle prépondérant de la voiture dans les déplacements des habitants. Le camouflage a pour fonction de rendre supportable un mode de transport perçu comme polluant mais jugé indispensable. Clamart n’est pas la seule commune des Hauts-de-Seine à s’enfoncer dans le mauvais goût d’un néo-haussmannisme de piètre qualité. Le décor du Petit Clamart apparaît comme l’opposé de la superposition radicale de Bruther et Baukunst à Saclay.


À Clamart comme à Saclay, la façon d’aborder le problème de l’automobile passe dans les deux cas par un travail sur la notion de décor, mais c’est dans le choix de la représentation que leurs divergences apparaissent le plus nettement. À Saclay, la mise en scène est élaborée de façon contextuelle et vise à produire le récit d’une société en pleine mutation, alors qu’à Clamart, le décor est un copy-paste de mauvais goût. Le choix de l’ « embellissement » (qui présuppose la laideur du réel) sous-entend que les gens seraient incapables de souhaiter autre chose que ce qu’ils connaissent déjà. On aurait donc d’un côté, un décor expérimental et progressiste, et de l’autre, une énième rediffusion du même spectacle faussement bourgeois servi avec ennui par des acteurs blasés.

Bruther, ou comment répondre à la loi du marché par une architecture la plus générique et la moins chère possible. Le parking en hauteur permettent de réduire les coûts et l’utilisation de la structure Dom-ino (Corbu) suit les logiques de production économiques. On peut le rapprocher du degré zéro de l’architecture, des poteaux et des dalles. Leur poésie se résume à choisir la couleur des rideaux.