Voyager au temps des mesures Covid

Comme nous tous, le voyage a pris, ces deux dernières années, un sacré coup de vieux. Plus que le virus, ce sont les mesures destinées à nous « protéger » qui ont fait le plus de dégâts, non seulement du point de vue économique mais également en attaquant le voyage dans son esprit, celui de la liberté, de la tolérance et de l’ouverture au monde.

Même si les mesures semblent se lever dans quelques pays, de sérieuses séquelles et de solides entraves persisteront probablement longtemps pour le voyageur post-covid. En voici quelques-unes repérées en trois mois de voyage en Afrique de l’Est, du Sud et dans l’Océan Indien.

 

 

A Mahé, les installations de test sont là pour durer. Un business bien établi et…

Le fructueux business des tests PCR

Première évidence, voyager revient plus cher qu’avant. Avant tout autre business, celui des tests PCR pèse lourd sur le budget à chaque passage de frontière et s’avère florissant. Leur prix varie en fonction des pays, de leur pouvoir d’achat, de leur degré de corruption et de l’orientation plus ou moins punitive des gouvernements envers les voyageurs. On connaît les prix astronomiques pratiqués en Suisse (CHF 130-180), auxquels se comparent avantageusement ceux pratiqués à Dubaï (CHF 30-50), en Tanzanie (CHF 80), à Maurice (CHF 40) ou en Afrique du Sud (CHF 30). Dans ce domaine, comme dans d’autres, la palme revient aux Seychelles qui alignent leurs prix (CHF 150 – 500) sur celui de leurs hôtels de luxe. Inspirées par des habitudes bien ancrées au cours de 40+ années passées en régime socialiste, les Seychelles ont gardé un flair particulier pour systématiser l’accaparement de l’argent des autres et le redistribuer aux Camarades (la femme de feu l’ancien président France-Albert René est actuellement en prison, accusée d’avoir détourné USD 50 millions de dons humanitaires en provenance des Emirats).

…très lucratif

Le business des tests en fait partie et il participe des charmes «contrastés» de ce petit pays opportuniste où les ambulances sont fournies par l’aide humanitaire indienne et où, en même temps, le café est au prix pratiqué sur la Bahnhofstrasse de Zurich.

 

 

Bien choisir les prestataires sanitaires

Il convient aussi de choisir avec prudence son praticien, les tests étant effectués dans le public comme dans le privé. Il vaut généralement mieux se confier au privé, plus efficace mais aussi parfois plus cher (à l’opposé de la Suisse !) et rester vigilant dans tous les cas. A Maurice, un visiteur a témoigné d’un médecin local qui lui proposait de réaliser un scanner pour traiter… une arête de poisson dans la gorge (retirée, plus tard, en 20’ à l’hôpital du coin).

 

Il faut ajouter au business des tests PCR le fait que les compagnies aériennes qui n’ont pas encore récupéré toute leur clientèle, loin s’en faut, doivent récupérer leurs pertes et assumer, seules, le poids des contrôles sanitaires que les gouvernements leur ont courageusement délégués, sous la menace de devoir rapatrier à leurs frais les voyageurs qui ne sont pas « en ordre ». On ne va donc pas retrouver tout de suite des prix défiants toute concurrence en ouvrant de larges horizons. Du coup, le voyage devient un peu moins spontané. Le choix des destinations est souvent réduit par les lubies des décideurs politiques. On pense au travel ban dont ont été victimes les pays de l’Afrique australe en début d’année en « récompense » du travail des excellents chercheurs d’Afrique du Sud qui ont découvert le variant omicron et ont eu le malheur de le communiquer.

 

L’aéroport de Dar-es-Salam pendant les Fêtes de fin d’année

 

Comportements nouveaux : l’émergence des Little Hitlers

Une étude* réalisée par des chercheurs américains en 2011 s’est intéressée à la relation entre le pouvoir et le statut social. Elle a démontré que la situation où un individu a un statut social très bas associé à un pouvoir très grand représente la configuration idéale du « Little Hitler », ce comportement qui engendre des abus de pouvoir hors norme. Des exemples typiques dans la vie de tous les jours sont le videur de boîte de nuit ou l’employé de gérance, soit un statut social faible allié à un pouvoir immense vis-à-vis de celui qui recherche une entrée ou un appartement à louer.

Les mesures covid ont créé un terrain extrêmement favorable à ces comportements. On en trouve beaucoup dans les aéroports, à l’entrée de tous les endroits où il faut (fallait) montrer patte blanche et passe sanitaire. Dans le business des tests également. Lorsque la prestation est vendue, l’écouvillon est enfilé avec délicatesse : un médecin mauricien demande à son patient d’indiquer lui-même lorsque la profondeur maximale est atteinte. A l’aéroport de Maurice où des contrôles PCR sont pratiqués, à l’arrivée, en fonction du type d’hébergement**, c’est le contraire : le fonctionnaire de piquet tente visiblement la perforation cérébrale sur chacune de ses victimes.

Des touristes israéliens à la mosquée Sheikh Zayed : pas le choix de l’angle

Enfin, il y a fort à craindre que les comportements autoritaires qui, de manière générale sont tolérés comme l’ont été docilement les mesures covid, installent une volonté de contrôle accrue. A Abu Dhabi, il est désormais strictement interdit aux visiteurs de la magnifique mosquée Sheikh Zayed de prendre des photos hors des endroits désignés. Pas sûr que l’imam responsable du choix des angles ait l’oeil très photographique.

 

Plus de danger

Les « Little Hitler » fleurissent volontiers dans les pays à régime autoritaire où il convient d’avoir plus peur des représentants de l’Etat que des habituels malfrats. C’est le cas aux Seychelles et à Zanzibar où le braquage par un militaire armé est une expérience (vécue) qui s’ajoute volontiers à celles des plages et de la plongée. De manière générale, il est devenu plus dangereux de voyager au temps des mesures covid. En Afrique du Sud, la situation économique totalement catastrophique laisse sur le carreau une partie grandissante de la population qui n’hésite pas à recourir à la violence, cela d’autant plus que le masque obligatoire rend bien service aux bandits (deux agressions vécues en six semaines en plein jour entre le Cap et Port Elisabeth, des zones urbaines où il convient de ne pas s’écarter des lieux fréquentés).

 

Moins de diversité, plus de Russes

Il existe un changement fondamental dans la biodiversité des voyageurs. On ne voit pratiquement toujours aucun Asiatique, ni aucun Américain. Un monde sans les sujets de Xi et Biden qui s’est donc ouvert – la nature a horreur du vide – à une population nouvelle, abondante et relativement… fortunée, celle des Russes.

La classe moyenne russe adore les îles paradisiaques de l’océan Indien. Pas sûr qu’elle accepte d’y renoncer sous l’effet des sanctions.

En ce début d’année, tout se passe comme si les mesures qui ont retenu les voyageurs occidentaux et asiatiques n’existaient pas pour cette partie de l’Europe. Les Russes ne sont pas seuls, les Tchèques, les Polonais sont nombreux également. Les Ukrainiens aussi, arrivés par charter à Zanzibar et dans les autres îles pendant les Fêtes. Les touristes russes ne sont pas, on le sait bien, les gens les plus aimables du monde. Ils sont souvent naturellement rugueux, parfois simplement timides. Lorsqu’ils ne parlent pas d’autre langue que la leur, ils préfèrent se taire (l’exact opposé des Français), ce qui leur donne un air renfrogné. Mais, à ce moment de l’histoire, tout ce petit monde ne songe qu’à faire trempette et personne, ou presque, ne se soucie de ce qui va se passer de retour au pays.

 

Un signe rassurant. Peut-être… 

L’invasion des touristes russes dans les chers paradis insulaires de l’Océan Indien est, toutefois, peut-être, un signe d’espoir. Elle témoigne de l’émergence d’une importante classe moyenne russe qui a des moyens financiers et entend bien en profiter. Il est peu probable qu’elle accepte, au nom des divagations de son président, de renoncer pour longtemps à ces avantages nouvellement acquis. L’effet des sanctions économiques devrait alors logiquement la pousser à prendre son destin en main. Cette hypothèse plaide pour le scenario d’une révolution de l’intérieur que beaucoup voient comme l’une des solutions possibles à la résolution de cette impossible situation.

 

* “The Destructive Nature of Power Without Status,” Nathanael Fast et al. 2011, Journal of Experimental Social Psychology

** Si le visiteur loge à l’hôtel, il est dispensé de test. Sinon, il est soumis à un test PCR. Une mesure… Comment dire ? Exotique ?

 

 

 

 

Christian Jacot-Descombes

Christian Jacot-Descombes a exercé successivement les métiers de neuropsychologue, animateur et journaliste de radio, journaliste de presse écrite et responsable de la communication d’une grande entreprise. Il voyage beaucoup parce qu’il pense que ça ouvre l’esprit et aussi parce que ses différentes expériences professionnelles lui ont démontré qu’il vaut toujours mieux voir par soi-même.