Les Suisses bientôt champions du monde de la vertu ostentatoire ?

Rosa* est communiste. Ça se voit parce qu’elle ne répond pas quand je la salue au rayon légume de la Migros mais surtout parce qu’elle s’habille en icone soviétique : béret de Lénine et lunettes de Trotsky. Les deux à la fois. Même son caddie véhicule son militantisme : la bannière orange de l’initiative « multinationales responsables » émerge encore des poireaux et des salades. Inutile de dire que son vélo est aux mêmes couleurs. Que l’initiative ait été refusée il y a de cela plusieurs mois ne la gêne en rien. Il faut dire qu’elle n’est pas la seule mauvaise perdante : les quartiers bobos des villes suisses (surtout romandes) dégoulinent encore des restes de la fameuse bannière comme un défi posthume à la démocratie directe, cette ingrate qui n’a rien voulu savoir des bonnes intentions de l’initiative.

 

Les anglo-saxons ont une expression pour décrire cette façon d’exposer ses opinions à tire larigot dans le but de faire la preuve de son caractère vertueux… sans se fatiguer. Ils parlent de virtue signalling. Une sorte d’ostentation vertueuse qui se décline sur une échelle étendue.

On peut commencer petit. Internet et les réseaux sociaux rendent la chose aisée. On parle alors aussi de clicktivisme, un puissant moteur pour les pétitions en ligne où un autre comportement humain trouve un terrain fertile : le social proof**, soit le fait de copier les autres dans une situation où on ne sait pas bien quel comportement adopter, présumant que les autres savent mieux que soi. L’une des plus fructueuses applications du militantisme de canapé trouve aussi son expression dans les slogans dont on peut facilement orner sa photo de profil social, sur le mode « Je suis… » suivi de la cause de votre choix dans le grand panel victimaire contemporain : « Charlie », « la redevance », « notre dame », « Palestinien », etc.

Je suis un hipster et je sauve la planète

Nos amis les cyclistes ont, eux, un moyen quasi naturel de nous assurer de leurs bons sentiments : leur casque. Il leur suffit de le laisser obstinément sur la tête une fois descendu de l’engin pour, en toutes circonstances, nous rappeler que, grâce à leurs efforts, ils sauvent la planète. Le casque est aux cyclistes ce que le bréviaire était aux Pharisiens, ces précurseurs méconnus du virtue signalling, à la différence qu’à l’avantage de ces derniers, le bréviaire ne donne pas un air terriblement stupide à celui qui le porte hors de sa fonction. Dans le registre de la pollution visuelle, on pourrait également évoquer les balcons suisses qui fleurissent de toutes sortes de banderoles signalant la position politique du locataire à chaque votation ou encore les barbes volumineuses et odorantes exprimant la hipsteritude de ces jolis garçons qui se voilent (poilent ?) la face pour être dans le vent… oubliant qu’il s’agit d’une ambition de feuilles mortes.

A son échelle, le microcosme de Hollywood n’est pas en reste. Bill Maher, humoriste américain, a mis en évidence la vocation de la gauche caviar de la Mecque du cinéma à ne sélectionner pour les Oscars 2021 que des films tristes et déprimants. Selon lui, les nominations servaient auparavant à montrer que Hollywood savait faire de beaux films. Aujourd’hui, elles servent à montrer à quel point les experts qui choisissent les films sont de bonnes personnes : « Nommer des films tristes permet d’avoir l’impression de faire quelque chose pour résoudre un problème sans avoir réellement à faire quoi que ce soit ».

Mais, finalement, ce sont les Suisses qui pourraient remporter la palme du signalement vertueux. En adoptant la loi CO2, ils accepteront peut-être de se priver de CHF 2 milliards chaque année pour un impact insignifiant sur le climat à l’échelle mondiale. Et comme toujours, ce sont ceux qui n’ont que peu de moyens qui payeront le prix le plus élevé, comme les jeunes qui se verront, notamment, privés de voyages dont on connaît pourtant les qualités éclairantes pour les yeux fraîchement décillés. Tout ça pour diminuer de l’épaisseur du trait la contribution suisse aux émissions mondiales de CO2. Peu importe, nous aurons montré que nous sommes bien intentionnés… sans avoir rien fait d’utile.

C’est Rosa qui sera contente.

 

*prénom d’emprunt, nom connu de la rédaction

**concept exposé par Robert Cialdini, spécialiste de psychologie sociale et connu pour ses travaux sur la persuasion, dans son livre Influence en 1984.

Christian Jacot-Descombes

Christian Jacot-Descombes a exercé successivement les métiers de neuropsychologue, animateur et journaliste de radio, journaliste de presse écrite et responsable de la communication d’une grande entreprise. Il voyage beaucoup parce qu’il pense que ça ouvre l’esprit et aussi parce que ses différentes expériences professionnelles lui ont démontré qu’il vaut toujours mieux voir par soi-même.

23 réponses à “Les Suisses bientôt champions du monde de la vertu ostentatoire ?

  1. Merci pour ce billet – tout cela procède d’une pensée pseudo-religieuse basée sur la culpabilité … Chacun devrait payer ses indulgences pour éviter le jugement menaçant – qui condamne à l’enfer social et à la culpabilité climatique tous ceux qui refusent de sacrifier aux nouvelles idoles.
    Les ficelles sont vieilles – mais c’est assez efficace avec la culpabilité et la volonté de passer pour vertueux aux yeux du public.
    La vraie écologie n’a rien affaire avec ces impostures misérables.

  2. Vous me faites penser à l’esprit de finesse et à l’esprit de géométrie, chers à Pascal. Ici, vous jouez avec l’esprit de finesse. Je vous ai aussi lu dans le registre “géométrique”, assez* réussi également. Merci!

    * la flagornerie serait déplacée dans ces commentaires!

    1. Je suis très flatté de la comparaison mais pas certain de la mériter. On dirait qu’en cette période étrange, les deux esprits que vous mentionnez se font un peu rare, tout comme celui des Lumières. Quoi qu’il en soit, merci !

  3. C’est évident, vu la taille de la Suisse, que si elle arrêtait de produire du CO2,
    cela ne changerait pas grand chose au niveau mondial. On ne peut pas comparer la quantité de co2 émis par la Suisse avec un pays de la taille de la Chine où même de l’Allemagne. Par contre si on prend en considération la quantité de CO2 émit par habitant la Suisse passe dans les premières places!! Ça veut dire quoi? On vit dans un petit pays alors on pourra polluer autant qu’on veut car ça ne changera rien au niveau mondial?!
    Belle mentalité!

    1. Non, cela veut simplement dire qu’il est très présomptueux de vouloir absolument faire mieux que les autres.

      1. Il est vrai qu’il est bien plus confortable de se complaire dans une médiocrité teintée de cynisme.

        Payer maintenant, ou payer double plus tard. Lorsque plus tard c’est quelqu’un d’autre qui paie, il est tentant de passer la patate chaude et de classer la chose comme un problème de bobo. Bel exemple de vertu. C’est sûr que celle-ci on va pas l’afficher en public. Il est d’autant plus hilarant que le manque de vision et de portée de la loi en question est précisément le produit de cette mentalité inactiviste médiocre.

        L’auteur à raison dans le sens qu’une partie de “virtue signaling” est probablement un acte de facade. Une autre partie est certainement un acte militant de personnes nageant à contre-courant et l’affichant ouvertement. Si seulement ils pouvaient cesser d’exercer leur droit de libre expression et arrêter de causer anxiété et culpabilité chez certains…

        Ce que je trouve profondément amusant, c’est que toute la propagande marchande affichée partout et tout le temps autour de nous semble invisible à l’auteur. Pourtant c’est là un “virtue signaling” d’entreprises qui défendent leurs valeurs néolibérales derrière un cache-sexe de green-washing et d’inclusivité.

        1. Une gentille balade anonyme entre contre-sens et poncifs. Une course d (-e dés-) orientation au coeur du politiquement correct. Merci de ce moment détente. .

    2. Ce dont il est question ici est la monétarisation de la conscience. Si donc, comme je le pense, il est amoral de continuer à surproduire du CO2, nul besoin de taxes: interdisons les logement mal isolés (bon on peut prévoir des prêts) , interdisons les véhicules particuliers qui consomment plus de 6 litres au cent (dans un premier temps). Nul besoin de réserver le vice au riches et de donner des subventions à des propriétaires irresponsables.

    3. Je pensais celà aussi à priori, mais les émissions annuelles de CO2 par habitant en Chine sont quasi double de celles des suisses. 7.4 tonnes de CO2 par habitant en Chine et 4.2 tonnes en Suisse.

  4. Bonjour,

    2 milliards pour 8 millions d’habitants c’est pas grand chose: 250 francs par habitant pour un an, même pas ce qu’on paie comme prime d’assurance-maladie par mois!

    1. Chacun peut mesurer l’utilité de l’assurance-maladie. Spécialement ces temps. Pourquoi ne pas confier votre cause à la Chaîne du bonheur ? Vous pourriez même librement augmenter votre contribution à la hauteur de l’appel de votre conscience. Et c’est Jean-Marc qui serait content 😉

  5. Si vous faisiez du vélo (du vrai, hein), vous sauriez qu’une grande quantité d’insectes volants finissent (en particulier en cette saison) par se coller à votre crâne, comme sur le pare brise de votre voiture. Vous préférez quoi, croiser votre voisin décoré de moucherons, ou gardant stoïquement son couvre chef ? (et si ce qui est couvert est aussi dégarni que le mien…)
    Dommage que vous vous sentiez vaguement coupable de qqch, pour ressentir une telle gêne.
    Quand à “Rosa”, peut-être a-t-elle lu votre blog à quelque occasion, ce qui peut aisément expliquer son attitude.
    Encore quelques voyages, cher bloggueur, et votre esprit finira peut-être par s’ouvrir réellement.

    1. Ah, c’est donc ça ! Si je comprends bien, un cycliste est aussi destructeur qu’une éolienne (en termes de faune, bien sûr) ?

  6. “se priver de CHF 2 milliards chaque année pour un impact insignifiant sur le climat à l’échelle mondiale”….
    Sans même rentrer dans le débat du rapport coût/bénéfice de la loi CO2, j’aimerais simplement mettre en parallèle le travail et les investissements consentis dans le domaine de l’épuration des eaux en Suisse depuis les années 1980.
    Globalement, la qualité de l’eau des mers et des océans ne s’est pas améliorée. Selon votre raisonnement, il serait alors normal de considérer nos installations d’épuration des eaux comme superflues et trop onéreuses. Par ailleurs, bien que l’eau épurée finisse par quitter la Suisse, il se trouve que la qualité générale des eaux suisses s’est améliorée, et cela, n’en déplaise aux fans de la liberté individuelle, grâce à l’action conjointe des lois, des normes, et des collectivités publiques.
    Il me semble donc un peu réducteur de ne considérer la Loi sur le CO2 qu’à travers le prisme de l’impact global, en omettant les avantages régionaux et indirect sur la biosphère.

    Par ailleurs, cette argumentaire qui consiste à mettre en avant notre “petitesse” vis à vis des problématiques globales est également repris par notre président Parmelin lorsqu’il rapporte que les résidus de pesticides ne représentent qu’un fraction insignifiante des polluants vis à vis des résidus médicamenteux et des micropolluants dans le Rhin. Cela est certainement parfaitement exact actuellement, mais les stations d’épurations de toutes nos communes travaillent depuis quelques années maintenant sur la mise en place d’installations de traitement des micropolluants afin d’améliorer la situation.
    Alors pourquoi les qualité des eaux en provenance des zones agricoles ne devraient-elles pas également faire l’objet d’améliorations notables sur cette problématique?
    A chacun son avis, mais il est parfois important de prendre un peu de recul et de voir que ce qui nous semble naturel aujourd’hui à souvent nécessiter des investissements et des changements d’habitudes…

    1. Investissements (appropriés) et changements d’habitudes : oui bien sûr. Taxation et interdiction : non, merci.

      1. En prenant l’exemple de l’épuration, les changements d’habitudes ont été initiés par des obligations législatives faites aux communes, aux entreprises et aux privés. Le financement a été été financés par la taxe sur l’épuration que vous payez sur votre facture d’eau…
        Je ne vois pas vraiment la différence avec ce qui nous est proposé dans la loi CO2, si ce n’est qu’une partie des recettes de la taxe seront restituées au citoyen via les subventions et les assurances maladies.
        Pour ce qui concerne les interdictions, on peut noter, avec le recul, que l’interdiction faites alors de laver son véhicule devant chez soi n’a pas empêché les suisses de prendre soin de leur véhicule en allant le laver dans les stations munies de filtres pour les eaux. Cela n’a pas changé grand chose pour Monsieur Toutlemonde, mais les eaux souterraines vous disent “merci”.

        Les équilibres pour trouver une majorité autour de ces thématiques complexes sont fragiles et il peut être tentant de vouloir se rassurer sur son pouvoir de persuasion (ou celui de son parti) en lançant des affirmations qui apportent du doute.
        Le faire pour alimenter la polémique ou “se faire mousser” n’est pas forcément une signe de sagesse.

        1. Monsieur Toutlemonde ? C’est qui vu d’un bureau d’ingénieur qui fait sa pub sous couvert de débat ? On parle de sagesse ou de marketing ?

  7. Votre blog de ce jour est un vrai régal de bon sens. Merci d’avoir osé vous moquer indirectement des pastèques.

    1. Merci à vous ! C’est toujours un plaisir (il faut dire qu’ils y mettent du leur)

  8. “Mais, finalement, ce sont les Suisses qui pourraient remporter la palme du signalement vertueux. En adoptant la loi CO2, ils accepteront peut-être de se priver de CHF 2 milliards chaque année pour un impact insignifiant sur le climat à l’échelle mondiale.”

    Donc si vous suivez votre logique dans d’autres domaines de votre vie, vous ne devez surement pas aller voter étant donné qu’une voix n’a qu’un impact marginal sur le résultat… Ah mais ! Et si tout le monde pensait comme vous ? Mais personne n’irait voter et ça serait le statu-quo ! Je pense en fait que ça devrait bien vous convenir, votre point de vue, tirant un peu (beaucoup) sur l’égoïsme, est finalement assez symptomatique des opposants à cette loi.

    1. Vous voyez presque juste. Je n’élis jamais. La démocratie représentative ne m’inspire aucune confiance. En revanche, je vote dans le cadre de la démocratie directe dont je pense qu’il devrait être beaucoup plus large. Pour l’objet qui nous intéresse ici, il n’est pas question d’encourager le status quo mais de choisir les mesures qui fonctionnent (nouvelles technologies et innovation) au détriment de celles qui ne servent qu’à se donner bonne conscience (taxes et interdictions) et qui, accessoirement, n’impactent que peu ceux qui les imposent (aisés de gauche, urbains, activistes subventionnés, assistés divers, etc.)

  9. Tant qu’ à parler de conscience , vous êtes bien dans votre tête avec ce que vous venez d’écrire ? A votre place , je ne le serais pas , parce que finalement , vous n’avez qu’un seul mérite , celui d’être né en Suisse ( énorme chance ) , pays ultra-riche , qui possède des multinationales qui ne figurent pas dans l’élite du respect de l’éthique : Nestlé , Glencore , Novartis , Roche , Holcim , mais qui apportent les devises nécessaires pour maintenir votre niveau de vie parmi le top 5 de la planète et aussi l’un des premiers émetteurs de CO2. AH , vous seriez né à Madagascar , New-Dehli ,…., que penseriez-vous de votre petit discours ? Du haut de votre confort et de votre volonté de ne pas faire d’ efforts , vous pensez à ceux qui s’en prendront plein les dents à cause du réchauffement ?

    1. Si j’étais né à Madagascar ou à New Dehli, je me demanderais qui sont ces enfants gâtés qui veulent m’interdire l’accès à leur niveau de vie…

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