Kate Bingham : l’héroïne de la vaccination au Royaume-Uni

« Moi j’ai eu Pfizer. Et toi ? Johnson & Johnson, hier. Sans problème[i] ». C’est un sentiment étrange que d’entendre les bavardages décontractés de ces Américains parlant de la vaccination au présent et dont le ton montre bien qu’ils considèrent le danger de la pandémie comme derrière eux. Un sentiment un peu jaloux que suscitent aussi Israël et le Royaume-Uni au moment où l’Europe reconfine plutôt que de vacciner. Comme c’est le cas en Suisse où la classe politique ne semble pas très pressée. On se livre à de petites blagues entre amis de parti au Parlement et on vote pour le maintien des mesures qui plombent l’économie selon la ligne de fracture habituelle entre les défenseurs historiques de la destruction de valeur et les autres.

Petite blague de parlementaire : publication sur Facebook d’une conseillère nationale vaudoise, le 17 mars pendant la session du Conseil national.

La femme providentielle…

Pendant ce temps, le Royaume-Uni, qui avait pourtant très mal débuté dans son combat avec le virus, réussit parfaitement sa campagne de vaccination. Aucun autre pays d’Europe ne progresse plus rapidement dans la vaccination de sa population. A tel point qu’on y prévoit la levée des mesures de restrictions dès fin juin. Quelles sont les raisons de ce succès ? Il y a bien sûr le fait de n’être plus dépendant de la lenteur et de la bureaucratie de Bruxelles, mais il y a surtout Kate Bingham.

C’est elle que Boris Johnson appelle quelques jours seulement après être lui-même sorti des soins intensifs au printemps 2020. Elle est une amie de sa sœur Rachel. « Par pitié, Kate, faites quelque chose. Il faut que les gens arrêtent de mourir » supplie le Premier.

… est une banquière

Formée en biochimie à l’Université d’Oxford et en business à Harvard, Kate Bingham est une banquière d’investissement. Elle travaille à la City de Londres depuis les années 90. Son job ? Se demander quelles sont les bonnes idées et dénicher des startups dans le domaine médical pour des sociétés d’investissement. Par chance pour les Britanniques, Kate Bingham accepte la mission et la traite selon ses conditions (pas d’ingérence des politiques, rapport direct au Premier ministre) et sa méthode (mandat limité à six mois, petite équipe de professionnels rassemblés autour d’elle). « On a créé une équipe similaire à ce que l’on fait dans la banque d’investissement. Ce n’est pas moi qui décidais des dépenses. Nous ne faisions que des recommandations comme s’il s’agissait de n’importe quel investissement en capital-risque[ii] ». Les décideurs, un groupe de quatre ministres, pouvait, du fait de sa taille restreinte, prendre des décisions rapides. « Si je demandais une décision en 24 heures, je l’obtenais » témoigne Kate. Et c’est ainsi qu’elle organise le choix et l’approbation des vaccins, la logistique et la mobilisation des personnels (militaires, travailleurs sociaux, etc.).

Efficace et pragmatique

Professionnelle de l’évaluation des risques, Kate Bingham convient avec les producteurs de vaccins des quantités d’achat garanties et elle les dégage de la responsabilité d’éventuels effets secondaires du produit. Une différence majeure avec les fonctionnaires de l’Union européenne qui, eux, privilégient le principe de précaution au détriment de l’efficacité réclamée par l’urgence de la situation. « C’est comme tout investissement. Vous regardez quelle est l’opportunité, quel est le potentiel de l’investissement, quels sont les risques et comment vous les avez mitigés. Cela vous indique si c’est la bonne chose à faire ou pas. Ensuite on décide : les gens meurent, donc plus nous prenons de temps, plus de gens mourront. »

Au parlement suisse: la ligne de fracture habituelle entre les défenseurs historiques de la destruction de valeur et les autres lors du vote sur l’assouplissement des mesures anti-covid le 3 mars

Aujourd’hui, près de 40% de tous les adultes britanniques ont reçu au moins une dose de vaccin. C’est presque quatre fois plus que la moyenne européenne. L’entrepreneuse qui a fait pour le Royaume-Uni ce que personne n’a été capable de faire pour l’Europe (et la Suisse) est déjà retournée dans le privé. Mission accomplie.

[i] WBZ Boston News Radio, Night Side, 18.03.2021

[ii] Welt am Sonntag, 7 février 2021

Christian Jacot-Descombes

Christian Jacot-Descombes a exercé successivement les métiers de neuropsychologue, animateur et journaliste de radio, journaliste de presse écrite et responsable de la communication d’une grande entreprise. Il voyage beaucoup parce qu’il pense que ça ouvre l’esprit et aussi parce que ses différentes expériences professionnelles lui ont démontré qu’il vaut toujours mieux voir par soi-même.

10 réponses à “Kate Bingham : l’héroïne de la vaccination au Royaume-Uni

  1. Votre article confirme certains soupçons. Les Anglo-saxons et Israel ont pris une approche pragmatique, efficace, débarrassée de facteurs tels que: négociation des prix, managing by covering my ass (couvrir mes arrières ) en agitant le principe de précaution, politisation du débat au détriment de pans entiers de l’économie. La pesée d’intérêts a été confiée a des professionnel(le)s du risque qui ont mis au point une approche: minimum de risques, maximum d’efficacité( le risque zéro n’existant pas) . Le résultat est là. De plus l’absence des deux conseillers fédéraux UDC à la dernière conférence de presse Covid, laisse soupçonner un différend majeur au sein de notre exécutif . Facit: une paralysie croissante de notre pays de moins en moins gouverné par une pléthore d’intervenants plus ou moins qualifiés.

    1. L’adhésion numérique élevée n’est pas une source de fiabilité du vaccin, encore expérimental. Des spécialistes pensent que le vaccin favorise la naissance des multiples variants. Il semblerait que l’efficacité, si elle existe, n’est que pour 3 mois. Les chiffres montrent que le Président Trump avait raison de ne pas paniquer au début.

      1. “le Président Trump avait raison de ne pas paniquer au début”, plus d’un demi-million de morts à ce jour quand même aux USA! Dont une bonne partie aurait pu être évitée selon le Dr. Fauci si, justement, cette pandémie n’avait pas été trop minimisée par le “Commander in chief” au début.

      2. D’accord avec la première phrase. Pour le reste, il est trop tôt pour tirer des conclusions. Ce n’est que dans quelques années, que l’on saura quelles politiques ont été efficaces ou pas, et si les vaccins étaient efficaces ou si c’étaient des mirages. Il faut avoir l’honnêteté de dire que l’on ne sait pas les effets sur le long terme des mesures prises en ce moment.
        Malheureusement, on semble être entré dans une période où la croyance en telle ou telle mesure a largement dépassé l’observation rationnelle des faits. Et c’est ce qui est le plus dangereux, car cela peut donner lieu à des réaction politiques très violentes.

  2. Comme vous avez creusé la question.

    Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné en Suisse ?

    Nous ne sommes pas dans l’UE; on a une société proche de celle israélienne (citoyens soldats, infrastructures, etc.); on a des moyens financiers considérables; on a un site de production en fonction (de Moderna), un en cours (Jansen) et encore un autre en cours de Novartis (Pfizer) et une entreprise tessinoise va produire le sputnik pour l’Europe.

    Le sentiment est qu’il nous manque six mois… c’est le temps que Berset a mis pour écrire son livre sur la crise ? plutôt que gouverner ??

    Avons-nous tout misé sur Moderna ? Et si c’est le cas, pourquoi Swissmedic a attendu trois mois pour valider toutes les lignes de production ??

    1. Pour faire “a long story short”, je dirais que si notre force est la démocratie directe, notre faiblesse est certainement la démocratie représentative. Le personnel politique est déserté par les talents. Ceux qui sont à la hauteur des enjeux actuels (complexes il faut le reconnaître) ne prêtent pas leur compétence à ce monde-là à part quelques exceptions comme Kate Bingham. On connaît tous des gens qui ont à peu près tout raté ou rien essayé et ont fini par se faire élire (ce qui est relativement facile : il suffit souvent d’avoir 20% des 30% votants du corps électoral pour décrocher un siège). Ce n’est pas parmi eux que l’on trouvera des visionnaires, des compétents et/ou des courageux capables de prendre et d’assumer des risques. La voie au “management by covering my ass” (comme le dit joliment un commentateur plus haut) est ainsi largement ouverte.

  3. A partager, de la matière à penser …

    1) « J’ai lu un livre sur la façon dont la Suisse a surmonté la grippe espagnole en 1918 et à mon grand effroi, je constate que nous réalisons les mêmes erreurs. Les négationnistes, les discussions sur les masques: les mêmes phénomènes reviennent, comme si nous n’avions rien appris du passé… ça m’a secouée. J’en déduis que notre expérience, bien davantage que notre histoire, pèse dans la façon dont nous surmontons une crise. Et là, nous pourrions nous questionner sur notre capacité à prendre exemple sur d’autres cultures. Jusqu’ici, nous n’avons pas pris très au sérieux les pays qui sont parvenus à de bons résultats en Asie, car nous pensons qu’ils sont trop éloignés de nous, alors que nous pourrions nous en inspirer. Tout cela me rend modeste dans mes attentes.”
    Dresse Yvonne Gilli, Présidente de la FMH

    http://www.letemps.ch/suisse/yvonne-gilli-presidente-fmh-bien-souvent-peur-virus-reste-abstraite

    2) “On leur apprend le leadership et les principes du management, mais on ne leur enseigne pas à faire preuve de modestie dans l’action et de savoir écouter. Or, faute d’une telle posture, les décisions prises, outre qu’elles demeurent souvent inefficaces, courent le risque d’aggraver la situation – ce qui en l’occurrence a été le cas. (…) ”

    http://www.sciencespo.fr/actualites/actualit%C3%A9s/covid-19-une-crise-organisationnelle/5041

    3) ” La crise du coronavirus est (…) aussi une crise du jugement, une crise de la compréhension qui frappe presque tous les pans de notre existence.”
    Ibrahima Fall

    wwww.forbes.fr/management/coronavirus-manifestation-dune-crise-systemique-du-management/

    4) ” Cette situation a été créée par le manque de préparation, de coopération, d’unité et de solidarité à l‘échelle mondiale. (…) Le monde avait besoin d’un multilatéralisme en réseau, fondé sur des liens et une coopération solides entre les organisations internationales et régionales, les institutions financières internationales et autres alliances et institutions mondiales ”
    Antonio Guterres

    https://news.un.org/fr/story/2020/09/1078142

    5) “Les crises générales sont impudiques, elles déshabillent les rois et passent les sociétés aux rayons X, nous en montrant l’esprit.”
    Régis Debray

    wwww.marianne.net/agora/les-mediologues/le-dire-et-le-faire-par-regis-debray

    6) « Le Covid-19 n’est pas une pandémie. C’est une syndémie (…) La pandémie de Covid-19 est, bien entendu, un drame. Cependant, si nous essayons de la penser comme syndémie, il est possible de tirer de ce drame une vérité et un horizon pour l’avenir : nos corps sont affaiblis par nos modes de vie ; plus que des politiques sanitaires de lutte contre la maladie, nous avons besoin de politique capable de développer la santé de chacun.”

    http://www.philomag.com/articles/syndemie-deja-malades-avant-de-tomber-malades

    1. Merci de partager. Avez-vous remarqué que votre panel est, à une exception près en étant large, constitué de de personnalités issues du monde des sciences humaines (de la politique à la sociologie en passant par le marxisme et le journalisme)? Tous très prisés par les médias (et volontiers à leur disposition). Ils réfléchissent, parlent mais ne proposent pas de solution. Kate Bingham vient de l’autre monde, celui des STEM. On ne la voit pas dans les médias mais elle agit. Et solutionne les problèmes (qui offrent une tribune aux premiers).

  4. Merci pour cette interessante et utile information. Johnson, en pragmatique libéral, est plus efficace que la bureaucratie de Bruxelles. Reste a savoir s’il pourrait diriger un pays comme une banque d’affaires !

    1. Il a déjà réussi à libérer son pays d’une couche de bureaucratie, et pas la moindre. Il est incontestablement sur le bon chemin.

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