Un nuage de design dans une tasse de thé provoque une pluie de millions.

« C’est en observant comment les produits connaissent le succès ou l’échec que j’ai réalisé que quelque chose qui ne marche pas peut toujours être réinventé ». Forte de ce constat, Maryanne Shearer, avec Jan O’Connor, sa partenaire, a inventé une des belles success stories du business australien.

 

La première est designer dans le milieu de la mode. La seconde, architecte, sort du RMIT, le MIT de Melbourne. Un jour de 1996, lors d’une réunion au sujet de leur business d’articles ménagers, elle se font une tasse de thé pour donner un coup de fouet à leurs discussion. Et boom ! L’idée est là : faisons dans le thé ! A ce moment-là, en Australie, c’est le café qui cartonne (pour les quelques-uns qui ne boivent pas que de l’alcool dans ce pays très… « festif », ndlr). Et le thé n’est alors en Australie qu’une triste affaire de sachets Lipton et de breuvages de grand-mère.

 

Un Oolong aux arômes de beurre clarifié. Entre 3 et 6 minutes d’infusion dans une eau à 80°C

Elles se lancent avec un premier magasin à Brunswick Street (photo de tête) dans le quartier de Fitzroy (alors en passe de devenir l’un des lieux branchés de Melbourne). Des journaux chinois tapissent les murs, le plafond est peint en rose, on crée de étalages de thés odorants et on propose des thés de qualité, natures ou parfumés, le tout avec une touche marketing visant à gratifier le client en lui montrant la noblesse trendy du produit : « on ne vend pas du thé, on l’aime ! Ensemble. » La société est baptisée « Tea Two » mais devient T2. Dépoussiérée, l’image du sublime breuvage est revue à la mode selon nos deux entrepreneuses : chez T2, le thé est fun, féminin et fait rêver comme les noms des blends maison : Fruitalicious, Buddhas Tears ou Green rose.

 

Le succès de T2 est rapide. Il bénéficie d’un regain d’intérêt mondial pour le thé. C’est le succès phénoménal du Bubble Tea venu de Taïwan, le retour en grâce du très british Afternoon Tea rebaptisé High Tea et devenu un must dans tous les endroits chics du monde anglo-saxon. Il s’inscrit parfaitement dans la tendance des produits sains. Anti-oxydant et peu caféiné, il a tout pour plaire au millénial qui l’accompagne de son toast à l’avocat. Last but not least : associé au thé, il y a le plaisir indicible de le faire. C’est la cérémonie du thé au Japon. C’est plus prosaïquement, ailleurs, la liberté de prendre un peu de temps pour soi. Un luxe moderne.

 

Le teamaker de T2. Une fois le thé infusé, il suffit de le poser sur la tasse pour que le breuvage s’y écoule.

En quelques années, T2 a conquis l’hémisphère sud dont il est devenu le premier détaillant. Il a contribué à changer les habitudes des Australiens qui consomment désormais près de dix tasses par semaine dans un marché estimé aujourd’hui à plus de USD 200 millions. A Sydney et Melbourne, se tient un festival annuel du thé et des Masterclass connaissent un grand succès. Harvest Index vient d’ouvrir son premier magasin minimaliste dans la rue qui a vu naître T2. Il propose en tout et pour tout six grands crus japonais.

 

En septembre 2013, T2 est acquis pour environ USD 40 millions par Unilever, un géant de l’alimentaire (concurrent de Nestlé) qui poursuit le développement de la marque sans en changer ni la nature, ni le design. On trouve dans la centaine de magasins répartis entre l’hémisphère sud, l’Asie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, les mêmes produits qu’à l’origine. Notamment un délicieux Dong Ding (Oolong des montagnes) aux arômes de beurre clarifié et un autre produit miracle made in Taïwan : le teamaker. Une théière astucieuse et pratique qui permet de repasser aisément plusieurs fois le thé, ce qui convient particulièrement bien au semi-fermentés taïwanais qui, comme l’on sait, s’améliorent après deux ou trois passages. Les thés de T2 sont évidemment vendus en vrac. Pour le thé en sachet, Unilever a déjà ce qu’il faut. Il est propriétaire de Lipton.

Christian Jacot-Descombes

Christian Jacot-Descombes a exercé successivement les métiers de neuropsychologue, animateur et journaliste de radio, journaliste de presse écrite et responsable de la communication d’une grande entreprise. Il voyage beaucoup parce qu’il pense que ça ouvre l’esprit et aussi parce que ses différentes expériences professionnelles lui ont démontré qu’il vaut toujours mieux voir par soi-même.

7 réponses à “Un nuage de design dans une tasse de thé provoque une pluie de millions.

  1. Vous semblez fasciné par les millions, me trompé-je?
    Vous avez la chance de pouvoir voyager, de connaître et ça n’a pas de prix, bonne route l’ami et tous mes voeux

    1. Pas par les millions mais par ceux qui les font. Pas ceux qui les ont, ceux qui les font. L’esprit d’entreprise me paraît essentiel. Regardez la situation des pays où la liberté d’entreprendre est limitée : Cuba, Venezuela, Nicaragua, France…
      Merci de vos voeux l’ami. Je vous adresse les miens pour des Fêtes ensoleillées mais pas trop chaudes (puisque nous sommes sous la même latitude).

      1. ah oui d’accord, moi je n’aime pas l’argent, ce doit être mon côté éducatif catho?

        Enfin, si votre pérégrination vous emmène du côté Cono Sur, je vous offrirai volontiers un asado.

        Pour la cuisine sushi ou Thaï, ici, on ne trouve rien, c’est pur carnivore et le pire, la viande vient du Brésil. Leur bonne s’exporte à meilleur prix. Voilà un sujet pour vous sur l’esprit d’entreprise:)

        1. Merci de l’invitation. L’Uruguay n’est pas sur mon chemin cette fois. Mais plus tard, peut-être. Il y a toujours un fabuleux spectacle de tango à voir à Montevideo ou dans les environs.

          1. Il y a une jolie bibliothèque a BAS (voir swissinfo).

            Enfin, j’espère que j’aurai vendu avant que ce soit sur votre route et on se fera une bonne bouffe, quelque part sur le monde. Je vous invite, promis 🙂

          2. P.S. Avec votre épouse ou époux, sorry, mais parfois, mes propos peuvent prêter à confusion… oups

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