Pourquoi les Papous sont les Grecs du Pacifique

Lorsqu’il a posé le pied en Nouvelle-Zélande, en novembre dernier, Behrouz Boochani a été accueilli comme un héros par ses amis et ses collègues journalistes. Il s’est dit soulagé de retrouver la liberté après six ans passés dans le camp de Manus, en Papouasie Nouvelle Guinée (PNG).

Behrouz Boochani, journaliste et demandeur d’asile kurde iranien a passé 6 ans dans le camp de Manus. (photo Hoda Afshar)

Journaliste et demandeur d’asile kurde iranien, il est l’auteur d’un livre écrit en captivité sur son smartphone et transmis page après page via Whatsapp à ses confrères en liberté. No friends but the Mountains : Writing from Manus Prison est le récit de son quotidien sur l’île de Manus en compagnie de centaines d’autres réfugiés. Cela fait de lui le porte-voix des réfugiés en Papouasie-Nouvelle-Guinée (PNG) et lui a valu d’être l’invité d’un festival littéraire à Christchurch (NZ). Du même coup, il est au bénéfice d’un visa d’un mois au pays de Jacinda Ardern.

 

Un lieu emblématique

Le camp de Manus est au centre de la problématique de l’exil dans le Pacifique sud. Son existence remonte à la première vague de réfugiés papous issus de l’annexion indonésienne de la partie occidentale de la Papouasie (néerlandaise jusqu’en 1962). Construit et géré par l’Australie afin d’éviter une crise diplomatique, il va plus ou moins rester en service au fil des années selon les aléas de la politique d’immigration australienne face aux vagues de réfugiés qui déferlent par bateau sur ses côtes.

 

Pays d’immigration

La White Autralia Policy des années 50 vise à maintenir l’Australie aussi “british” que possible.

L’Australie moderne est faite d’immigrés. Après les colons bagnards des origines et la ruée vers l’or de la fin du 19e siècle, la vague la plus importante est liée à la Seconde Guerre mondiale. On l’estime à près d’un demi-million de personnes. Principalement des Européens. On parle alors de White Australia Policy.

C’est dans les années 1970 que débute l’immigration vers l’Australie par bateau. Les Boat People vietnamiens tout d’abord, puis de nombreux migrants de l’ensemble de l’Asie fuyant le communisme et ses aléas. Ainsi, 50 000 Vietnamiens, entre autres, s’installent down under. Cette Open Door Policy n’est à ce moment-là pas remise en cause par les politiques australiens.

Le nombre de réfugiés arrivant par bateau augmente dès les années 2000 en provenance principalement du Moyen-Orient. Renforcés dans leur sentiment de défiance à l’égard des Musulmans par les attentats du 11 septembre, les Australiens thématisent la problématique et inventent la Pacific Solution qui consiste à traiter les demandes d’asile hors du territoire australien, notamment en PNG qui devient la porte d’entrée vers l’Australie à l’image de la Grèce en Méditerranée. Dès lors, entre fermeture provisoire et réouverture, le camp de Manus vit au rythme des changements de majorité politique en Australie.

 

La PNG Solution 

En 2013, le Premier ministre australien de gauche, Kevin Rudd, signe un accord avec son homologue papou Peter O’Neill. Selon cet accord, les réfugiés arrivés par bateau sans visa pour l’Australie sont admis en PNG, peuvent s’y installer mais perdent le droit de demander asile en Australie. Pour l’occasion, Manus est agrandi et rebaptisé « centre de traitement ». Il va sans dire que cet accord s’accompagne d’un arrangement financier qui fournit une aide considérable à la PNG, pays pauvre en proie à la corruption, aux luttes tribales et qui risque de perdre Bougainville, une province qui vient de voter son indépendance et pourrait devenir la 194e nation reconnue par les Nations Unies.

 

Une aide financière importante

L’argent australien a par exemple financé le magnifique musée d’Art de Port Moresby mais a aussi servi à importer quarante Maserati pour transporter les chefs de gouvernements réunis l’an dernier en PNG à l’occasion d’une réunion de l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation).

Le Musée d’art de Port Moresby: entièrement financé par les Australiens

 

Le moins que l’on puisse dire est que la PNG ne correspond pas vraiment au rêve australien qui a nourri les espoirs de nouvelle vie des réfugiés. 45e dans le classement des pays les plus pauvres du monde, populations hostiles, violence endémique: la plupart des réfugiés craignent de s’y installer et ont refusé de quitter le camp. Certains ont pu partir aux Etats-Unis dans le cadre d’un accord passé avec l’administration Obama et appliqué par le Président Trump qui a accepté 500 réfugiés de Manus. En échange de quoi, l’Australie a accueilli des réfugiés d’Amérique Centrale.

 

Délogés de force, ceux qui n’ont pas pu partir ont été installés à Port Moresby à la suite de la fermeture définitive de Manus il y a dix jours. Pour certains dans un profond désarroi. Les automutilations et les tentatives de suicide sont fréquentes selon Behrouz Boochani qui est toujours en Nouvelle-Zélande. Il espère pouvoir migrer aux Etats-Unis. A moins qu’il ne suive le conseil d’un internaute américain: « Si j’avais à choisir entre les Etats-Unis et la Chine aujourd’hui, je choisirais Beijing, un endroit formidable pour vivre, monter un business et faire un paquet d’argent ! ». Son visa expire dans quelques jours.

Christian Jacot-Descombes

Christian Jacot-Descombes a exercé successivement les métiers de neuropsychologue, animateur et journaliste de radio, journaliste de presse écrite et responsable de la communication d’une grande entreprise. Il voyage beaucoup parce qu’il pense que ça ouvre l’esprit et aussi parce que ses différentes expériences professionnelles lui ont démontré qu’il vaut toujours mieux voir par soi-même.

5 réponses à “Pourquoi les Papous sont les Grecs du Pacifique

  1. Merci de me faire voyager (ce que pour l’instant je ne puis),
    et excellent de montrer que l’immigration, ce n’est pas qu’en Suisse, mais partout dans le monde
    et que ça ne fait que commencer.

    1. Je vous en prie, c’est un plaisir.
      Oui, la région Asie-Pacifique (USA compris) nous offre beaucoup d’indications sur le futur.

  2. Merci, très intéressant article, comme toujours. Puisque que vous êtes sur place, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur Bougainville ? C’est difficile d’obtenir des infos sur l’historique et le contexte quand on est antipodes.

    1. Merci. Oui volontiers. Située entre la Papouasie-Nouvelle-Guinée (PNG) et les Iles Salomon, Bougainville est une sorte de condensé d’histoire. Découverte et nommée par un Français, colonisée par les Allemands et les Australiens, occupée par les Japonais, libérée par les Américains, gérée par l’ONU et, finalement, confiée aux Papous dès leur indépendance en 1975 bien qu’elle soit la plus grande des Iles Salomon, voisines de la PNG, rattachée à la Région des Iles, l’une des quatre régions administratives de la PNG.
      Comme dans le reste de la PNG et des Iles Salomon, les luttes tribales, de factions et de mouvements politiques divers font rage et rendent très difficile l’établissement d’une société organisée en Etat stable. Ce sont bien sûr des raisons économiques qui déclenchent les velléités indépendantistes des habitants de Bougainville. C’est en effet sur cette île que se trouve Panguna, l’une des plus grandes mines de cuivre à ciel ouvert et les Bougainvillais n’en ont quasiment jamais vu les profits. La guerre civile débute en 1988, dure 10 ans et fait près de 20’000 victimes (10% de la population), conflit le plus meurtrier d’Océanie depuis la seconde guerre mondiale. Un cessez-le-feu est conclu en 1998, suivi d’un accord de paix en 2001. Une région autonome de Bougainville est mise en place, avec une Assemblée et un Gouvernement grâce à la médiation des Néo-zélandais. On planifie un référendum d’autodétermination pour le 23 novembre 2019. Les résultats de ce vote contrôlés par des fonctionnaires de l’ONU et révélés le 11 décembre, ont donné un oui massif à l’indépendance (98%) dûment fêté par les Bougainvillais en liesse. Ces chiffres seront officialisés le 20 décembre.
      Le problème, pour eux, est que ce vote n’est pas contraignant pour la PNG. Les députés papous doivent donner leur aval. Et ce n’est pas chose faite ! Loin de là. Avant le référendum, le nouveau Premier ministre papou James Marape (qui a succédé en mai à Peter O’Neill, l’homme aux 40 Maserati) s’est déclaré favorable au maintien de Bougainville parmi ses provinces. Comme les personnes à qui nous avons parlé à Port Moresby, il craint un effet de contagion. L’identité nationale papoue est assez faible, vue l’éparpillement des tribus et des langues (841 répertoriées pour une population de la taille de la Suisse…) et la crainte de voir les régions qui possèdent un tant soit peu des ressources naturelles se détacher du pays est fondée.
      Pour autant que, sous la pression internationale, la PNG cède, il faut prévoir une certaine difficulté des Bougainvillais à s’organiser de manière à répondre aux critères de l’ONU pour devenir son 194e membre : création d’une constitution, d’institutions et d’une diplomatie propres, notamment. Cela prendra un certain temps pendant lequel les Bougainvillais devraient pouvoir remettre en service la mine de Pangua afin de diminuer leur dépendance économique à la PNG.
      On verra sans doute à ce moment-là, comment Bougainville, à l’instar d’autres territoires du Pacifique sud, est l’enjeu de la guerre d’influence que se livrent la Chine, les USA et l’Australie dans la région. Certains indépendantistes ont déjà dit qu’ils « n’auraient d’autres choix que de se tourner vers d’autres pays, y compris la Chine, pour obtenir leur liberté. » Sachant que Pékin vient d’obtenir des Iles Salomon qu’elles cessent de reconnaître Taïwan en l’échange d’une aide importante, on peut imaginer que la « Belt and Road Initiative » passe par Bougainville.

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