Love Hotels de Taïwan : le sexe en toute discrétion

–     Short term or long term ?  nous demande la réceptionniste du Wego Hotel – Linsen à Taipei.

–     C’est-à-dire ? lui rétorque-je avec la naïveté un brin agressive du gros innocent qui a réservé sur Booking un des derniers hôtels disponibles dans la capitale ce soir de fête nationale.

–     Il est 18 heures. Si vous prenez votre chambre maintenant, il faudra la rendre à 21 heures, explique-t-elle avec un sourire naissant. Si vous souhaitez passer la nuit, alors il faut revenir après 20 heures. Dans ce cas, vous pourrez rester demain jusqu’à midi.  Son sourire se fait plus large. Et le petit-déjeuner est servi au 2e étage à partir de 9h. Là, elle se bidonne carrément.

Ce que Booking avait (sciemment ?) oublié de préciser, c’est que le Wego Hotel de ce quartier de Taipei est un des 1’000 Love Hotels que compte l’île de Taïwan. Il se situe plutôt vers le haut de l’échelle des prix qui vont d’une vingtaine de dollars pour les plus crapoteux à 200 pour les plus luxueux et les plus créatifs.

Comme son nom l’indique, le Love Hotel est destiné à abriter les ébats de ses clients. Si l’on omet les gros innocents de Booking, on en compte trois catégories principales : les jeunes Taïwanais qui ne disposent pas d’espaces privés chez leurs parents et qui n’habitent pas (encore) chez eux ; les couples illégitimes qui s’offrent une pause érotique pendant les heures de bureau ; les consommateurs de prostitution.

 

La discrétion et l’extravagance

Dans la société taïwanaise, bien que l’une des plus permissives d’Asie – elle est la seule pour l’instant à avoir autorisé le mariage homosexuel – il est essentiel de préserver et de protéger l’intimité. C’est ainsi que les voitures, quasiment sans exception, sont équipées de vitres teintées qui empêchent de voir l’intérieur. Il en va de même, bien entendu pour notre Love Hotel, en fait un Love Motel, qui assure toute la discrétion nécessaire. Revenus à 20 heures comme conseillés, nous sommes dirigés par notre délicieuse et hilare réceptionniste vers le 5e étage. On y monte en roulant à travers une rampe de parking classique avant de nous garer dans un box dont le numéro (celui de notre chambre, en fait) clignote. Pour un box, c’est un beau box. Il y a des plantes, des pantoufles et un bouton qui commande la fermeture de la porte, le tout dans une lumière tamisée et rose. Le rideau de fer abaissé, les pantoufles enfilées, on découvre la porte du fond du box. C’est la porte de la chambre et, du même coup, le passage abrupt de la discrétion à l’extravagance.

 

Un vrai bijou de rococo. Le créateur de notre chambre doit avoir le fantasme du château à la Française façon XIXe siècle. Rideaux partout, lampe vaguement Tiffany, large lit entouré de miroirs bien entendu, salle de bain avec baignoire pour deux et hammam dans la douche (un panneau placé à côté de la porte recommande toutefois de n’y pratiquer aucun exercice : trop dangereux). La télévision est immense et programmée sur des films de charme où l’on voit un jeune couple s’envoyer en l’air dans tous les recoins de la chambre sans que jamais une moindre parcelle de leur anatomie n’apparaisse. On est dans le haut de gamme, il convient de rester dans la suggestion. Si on veut du porno, c’est possible, mais il faut entrer un code qui témoigne qu’on n’est pas tombé dessus par hasard. Dans la catégorie fantasme haut de gamme également, il y a cette télécommande qui active le puissant dispositif son, genre Dolby Atmos, et permet de choisir entre différentes « ambiances » : les classiques bord de mer et forêt bucolique mais aussi, et c’est un peu plus surprenant : gare de métro ou bureau open space…

Un panneau indique que l’endroit est protégé des caméra-espions. Il n’y a donc plus qu’à consommer…

 

Retour sur terre

Le petit-déjeuner est l’expression d’un parfait paradoxe. Alors que tout est fait pour protéger les couples du regard des autres, les voici qui se retrouvent dans la salle du petit-déjeuner… Il y a bien des sortes de voilages qui sont censés séparer les tables mais la promiscuité est là. Surtout au buffet autour duquel tournent les rescapés de la nuit de tous les fantasmes. Logiquement, les jeunes couples dominent. Ils n’ont ni l’âge, ni l’allure des affaires illégitimes. Les dames sont manifestement fatiguées, un peu chiffonnées et surtout passablement décoiffées. Est-ce l’effet de la Fête nationale ? On sent en tous cas que l’engagement a été total et que la récupération va prendre un certain temps. Sauf pour un couple chez qui cela semble s’être mal passé : chacun est seul à une table à l’opposé l’une de l’autre. Les messieurs, eux, ces rustres, ont le nez dans leur téléphone …de retour dans leur téléphone, devrait-on dire, tant en Asie, l’objet tend à se fondre dans l’individu. Au point de lui faire oublier la plénitude de l’instant d’après…

 

 

 

 

 

Une photographe de Taïwan, Chen Shuchen, a réalisé un intéressant reportage sur les chambres de Love Hotels, juste après emploi. Elle a eu l’idée de ce reportage après avoir appris que son mari l’avait trompée, probablement dans un de ces hôtels (on a vu des réactions plus belliqueuses…)

Christian Jacot-Descombes

Christian Jacot-Descombes a exercé successivement les métiers de neuropsychologue, animateur et journaliste de radio, journaliste de presse écrite et responsable de la communication d’une grande entreprise. Il voyage beaucoup parce qu’il pense que ça ouvre l’esprit et aussi parce que ses différentes expériences professionnelles lui ont démontré qu’il vaut toujours mieux voir par soi-même.