Comment les Japonais entendent s’inscrire sur la carte mondiale des sciences de la vie

Au sud de Tokyo, dans la préfecture de Kanagawa, les Japonais ont construit un immense parc scientifique dédié à l’innovation dans le domaine des sciences de la vie et de la santé. Visite guidée du Shonan Health Innovation Park avec son patron. 

« Quand j’en parle aux Chinois, ils me répondent qu’ils ont dix fois plus grand… quand j’en parle aux Américains de Boston, ils me répondent que c’est trop grand pour permettre de vrais échanges… ».

Toshio Fujimoto se marre. Il a l’habitude de ces comparaisons. « Son » parc est immense et il suscite une curiosité parfois un brin jalouse. Inspiré par la philosophie qui a contribué aux succès du MIT, le parc d’innovation de Shonan a été conçu pour faciliter et encourager les échanges entre chercheurs et le mélange des disciplines. Mais surtout, Shonan répond à un vrai besoin stratégique. Celui, pour le Japon, de se placer sur la carte mondiale de l’innovation dans le domaine des sciences de la vie.

 

Le Japon n’est pas dans le top 20 des hauts lieux de l’innovation.

C’est la firme pharmaceutique Takeda qui est à l’origine de ce projet né – ce n’est pas un hasard – dans la Préfecture de Kanagawa, la Silicon Valley japonaise. Takeda, numéro 1 de l’industrie pharmaceutique japonaise, figure dans le top ten mondial, possède les brevets de quatre blockbusters et entretient quatre sites en Suisse (ZH, SZ, ZG et NE).

Propriétaire d’un immense terrain issu d’une fabrique démantelée, Takeda a vu l’opportunité de combler un vide dans le domaine de l’innovation des sciences de la vie japonaises tout en créant, avec un pôle d’excellence en neurosciences, un complément intéressant à ses centres de recherche à Boston et San Diego. Elle a trouvé avec la Préfecture de Kanagawa (voire article sur le Me-Byo) le partenaire idéal pour exploiter ce centre, inauguré en automne dernier et baptisé Shonan Health Innovation Park.

Dr Toshio Fujimoto est le patron du parc d’innovation de Shonan. Il est aussi un cadre important de Takeda.

« C’est une première au Japon, s’enthousiasme Toshio Fujimoto, le directeur du Parc et membre de la direction de Takeda. Notre pays fonctionne sur un mode top-down où les impulsions viennent habituellement du gouvernement. Shonan est issu d’une initiative de l’industrie et c’est un succès encourageant. »

 

Pour Takeda, Shonan répond à quatre objectifs: encourager le développement des startups à travers la création d’un fonds partagé avec d’autres investisseurs; donner accès aux équipements sophistiqués nécessaires dans la recherche moderne; fournir son savoir faire scientifique dans le domaine pharmaceutique et enfin mettre à disposition les services nécessaires au développement du business (RH, légal, IT, etc.)

Une architecture épurée très japonaise

A la mesure de ce dont sont capables les Japonais, Shonan est immense et s’ouvre sur de grands espaces, gigantesques. Chacune des trois structures qui le constituent dans sa longueur mesure 430 mètres. « De quoi parquer un Shinkansen complet », s’amuse le Dr Fujimoto, (un Shinkansen est un de ces bullet trains  japonais qui circulent à la moitié de la vitesse d’un avion sans ses inconvénients).  Chaque structure est dédiée à une activité : recherche animale, biochimie, chimie. Les cinq unités transversales sont prêtes à accueillir 3’000 chercheurs. Ils sont actuellement 1’600 à se partager un espace infini et au design impeccable.

De la place pour 3000 chercheurs et entrepreneurs: il faut encore en trouver la moitié.

Shonan est donc dédié aux sciences de la vie et se concentre sur quatre domaines : la médecine régénérative, la démence, la médecine préventive et les maladies rares. La communauté des chercheurs est invitée à fonctionner dans le cadre d’un écosystème ouvert rassemblant les partenaires et encourageant l’entrepreneuriat. Les bonnes vieilles recettes (babyfoot, fitness, chilling rooms, etc.) de la Silicon Valley sont appliquées à la lettre, parfois avec une certaine candeur : des sortes de faux feux de camp sont installés dans les couloirs immaculés et si longs qu’un système de couleur les balise afin de ne pas se perdre.

 

Un système de couleur pour ne pas se perdre

Au-delà de l’anecdote, la volonté d’échange et d’ouverture semble authentiquement au centre des projets de Shonan. De grandes sociétés internationales y ont un pied : IBM pour l’intelligence artificielle, Siemens dans le domaine de l’imagerie. Plus localement, Tokushukai, l’une des plus grandes chaînes hospitalières au Japon, est installée à l’une des extrémités du Parc et construit un centre de protonthérapie avec le géant Hitachi (plus de 300’000 employés).

Et si je suis un startupeur de l’EPFL qui souhaite venir m’installer ici ? « Vous êtes le bienvenu, promet Toshio Fujimoto. Nos installations et notamment nos laboratoires sont à votre disposition dès le jour de votre arrivée. Toutefois, il y a lieu d’être dans l’état d’esprit d’ouverture et d’échange qui prévaut ici. C’est la seule condition. » Cette ouverture aux sociétés et startups étrangères témoigne aussi de la volonté des Japonais de stimuler l’esprit d’entreprise et de compétition dans la jeune génération. Le Japon, avec ses 750 universités ne manquent pas de talents, en particulier d’ingénieurs, mais le problème est que ces jeunes talents arrêtent souvent leurs études avant le PHD. « Ils publient beaucoup mais ils cèdent rapidement à la tentation d’une situation bien salariée dès que l’occasion se présente, regrette Toshio Fujimoto. » L’esprit d’entreprise n’est pas encore dans le mindset dominant chez les jeunes Japonais. On sent de claires prémisses mais c’est encore assez marginal malgré l’intérêt de la jeunesse de ce pays pour les tendances les plus avancées. L’évolution passera par un changement d’état d’esprit qui ira de pair avec les bouleversements rapides que connaît la société japonaise sous la pression, notamment, de son évolution démographique.

Les startupers du monde entier sont les bienvenus

En attendant, Shonan avance. Le 1er Shonan Meeting – réunion interdisciplinaire de réflexion et d’idéation sur une thématique fondamentale – a eu lieu en 2018. Le thème concernait la prévention du syndrome métabolique (voire article précédent). Le thème du prochain 2019 est défini. Ce sera la démence.

 

 

L’entrée du parc est à la mesure de ses ambitions

Avec son design somptueux, et sa volonté – partagée par les autorités politiques – de se rendre accessible – il vient d’obtenir l’ouverture d’une station de métro dédiée au Parc (une mesure pratique que Patrick Aebischer a maintes fois demandée pour l’EPFL et qu’il n’a jamais obtenue) – on comprend bien que Shonan a aussi pour mission de rendre l’entrepreneuriat et la recherche plus sexy au pays de l’emploi à vie. Le très séduisant Dr Fujimoto est un leader charismatique parfait pour la mener à bien. Il est bien appuyé par l’environnement immédiat. Yokohama et son port, à deux pas de là (en fait 50 minutes de métro à l’échelle japonaise), est une ville magnifique et, tout près, le magique Mont Fuji veille sur le futur radieux des sciences de la vie nippones.

 

 

 

Christian Jacot-Descombes

Christian Jacot-Descombes a exercé successivement les métiers de neuropsychologue, animateur et journaliste de radio, journaliste de presse écrite et responsable de la communication d’une grande entreprise. Il voyage beaucoup parce qu’il pense que ça ouvre l’esprit et aussi parce que ses différentes expériences professionnelles lui ont démontré qu’il vaut toujours mieux voir par soi-même.

Une réponse à “Comment les Japonais entendent s’inscrire sur la carte mondiale des sciences de la vie

Les commentaires sont clos.