Truss, Meloni : réussir avec ou sans l’Europe

Le moins que l’on puisse dire est que le slogan phare du Brexit « Take back control » (Reprendre le contrôle) ne se sera absolument pas réalisé. Depuis le vote du 23 juin 2016, la Grande-Bretagne perd pied : en six ans, le 10 Downing Street a vu défiler quatre premiers ministres conservateurs incapables de délivrer les bienfaits attendus de la sortie de l’Union européenne. La démission de la première ministre Liz Truss, au bout de 44 jours, apparaît comme la énième péripétie dans la saga d’une promesse électorale impossible à tenir.

Tous les problèmes auxquels fait face le Royaume-Uni (crise énergétique, inflation, dégringolade de la livre) ne sont pas imputables au Brexit, la COVID et la guerre en Ukraine ont accru les difficultés, mais le Brexit rend leur résolution plus complexe et incertaine.

De cette mésaventure, il y a quelques leçons intéressantes à tirer sur ce que signifie l’appartenance à l’Union européenne, au moment où, à Rome, une autre femme, Giorgia Meloni devient première ministre d’une Italie, elle aussi parfois tentée par le grand clash avec Bruxelles.

On se souvient de la très tautologique petite phrase de Theresa May, « Brexit means Brexit », lors de sa prise de fonction après la peu honorable sortie de David Cameron. Extraire la Grande-Bretagne de l’UE, oui mais comment et à quelles conditions ? La chose n’avait pas franchement été débattue pendant la campagne référendaire.

Un cadre réglementaire solide

Les défauts de l’UE sont bien connus et documentés sans complaisance : sa gouvernance est complexe, souvent lente et poussive, semblant toujours au bord de la crise. Pourtant l’étalage régulier – mais très démocratique et très transparent – de ses divisions ne l’empêche pas de forger des compromis auquel tous ses membres finissent par se rallier (non sans parfois quelques bras de fer de l’un ou l’autre état-membre jouant de son droit de veto).  Mais la focalisation sur les développements de sa législation ou sur les nouveaux défis à relever occulte une de ses plus grandes réussites depuis 1957: le bon fonctionnement du « marché commun ». Devenu en 1993 le « marché unique », celui-ci offre un cadre réglementaire solide et prévisible aux activités économiques en réglant la libre-circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes.

C’est là que la comparaison entre la Grande-Bretagne et l’Italie est éclairante. S’extraire du cadre réglementaire européen et tenter de retrouver des marges de manœuvre concurrentielles a représenté un travail herculéen et fastidieux pour Theresa May et Boris Johnson. À l’issue de ce processus, Westminster, le parlement britannique, a certes retrouvé la capacité de faire des lois comme bon lui semble, mais n’a pas été en mesure de redonner au pays la croissance économique, la prospérité et la grandeur commerciale auxquelles aspiraient nombre de ceux qui ont voté pour le Brexit.

L’industrie italienne plus robuste que la britannique

Pour l’Italie, en revanche, le cadre réglementaire du marché unique tient du phare lumineux dans la tourmente des maux qui l’afflige. Malgré son instabilité gouvernementale chronique, le Bel Paese reste une puissance commerciale exportatrice. La part du PIB imputable à l’industrie est de 22,6% en Italie, contre seulement 17,7% pour le Royaume-Uni (pour comparaison l’Allemagne est à 26,6%, la France à 16,8 % et Suisse : 25,6 %).

De longue date, les industriels et milieux d’affaire italiens se sont accommodés des pitreries de certains de leurs politiciens (tels Berlusconi, Grillo, Salvini,…), du moment que ceux-ci ne remettaient pas en cause le cadre européen leur permettant de développer leurs activités, et de participer sans entraves à la création de chaînes de valeur européennes, dans lesquelles leur inventivité et leur savoir-faire les ont intégrés. Lorsque la coupe est pleine, quand le différentiel entre les taux d’intérêt des bons du trésor allemands et italiens – le spread –  devient trop profond, le gouvernement, quel qu’il soit, est rappelé à l’ordre ou tombe (comme ce fut le cas lors du dernier gouvernement Berlusconi en 2011).

Le levier des institutions européennes

Les élites italiennes désespérant des jeux politiques romains ont de longue date misé sur les institutions européennes pour offrir à leur pays le cadre de stabilité nécessaire aux affaires que le système politique n’était pas en mesure de produire. Elles ont parié sur les leviers européens pour disposer d’un minimum d’ordre économique dans la Péninsule. La trajectoire de Mario Draghi, ancien directeur de la Banque d’Italie, puis de la Banque centrale européenne, puis président du Conseil (pour assurer que les milliards d’euros des plans de relance européens attribués à son pays seraient correctement utilisés), illustre à merveille cette stratégie d’évitement des intrigues romaines grâce au cadre de référence européen. Lorsque Mario Draghi a « sauvé l’euro » à coup de petites phrases et de politiques monétaires non conventionnelles, nul doute qu’il avait en tête l’idée de préserver la zone euro mais aussi d’éviter à son pays la banqueroute.

Si l’Italexit a animé un temps les populistes et les souverainistes, c’était surtout en raison de la crise des réfugiés et des problèmes liés à l’explosion de la dette souveraine. Mais contrairement au Royaume-Uni, la tentation de s’extraire du cadre législatif du marché unique n’a jamais saisi les milieux d’affaires transalpins, qui savent trop bien ce qu’ils lui doivent :  voir les régions du Nord du pays figurer encore et toujours parmi les plus riches du continent.

Solidarité sans précédent pour l’une, solitude pour l’autre

Face aux difficultés récentes (pandémie et crise énergétique due à la guerre en Ukraine), l’Italie a pu compter sur une solidarité européenne hors norme (220 milliards d’euros sur les 750 que l’UE entend verser à l’ensemble de ses états-membres) et une coordination des efforts pour assurer l’approvisionnement énergétique et la maîtrise des tarifs. La Grande-Bretagne s’est retrouvée seule dans son coin.

Une des rares actions politiques de Liz Truss dont on se souviendra est l’enthousiasme manifesté à l’égard de la Communauté politique européenne, réunie à Prague le 6 octobre dernier. Cette plate-forme de discussion lui est apparue comme une première bouée lancée par la famille européenne, dans le contexte toutefois bien particulier de la guerre en Ukraine.

Draghi en conseiller de Meloni ? 

Nouvelle locataire du Palazzo Chigi, Giorgia Meloni prendra soin de ne pas fâcher les partenaires européens : elle a placé au ministère de l’économie Giancarlo Giorgetti, ministre du Développement économique sous Mario Draghi. Il se murmure à Rome que la première ministre aurait demandé à son prédécesseur, si estimé dans les capitales européennes, de la conseiller de manière informelle. Quoi qu’il en soit, on peut donc s’attendre à ce que, en politique intérieure, la leader de Fratelli d’Italia donne des gages souverainistes et conservateurs dans l’éducation, la politique familiale ou la politique migratoire, mais qu’elle reste bien dans les clous européens pour tout ce qui concerne la politique économique et la politique extérieure. Garant de l’ancrage européen et du respect des traités, le président de la République Sergio Mattarella y veillera également avec autant de calme que d’intransigeance.

 

 

 

 

 

 

Mattarella, le calcul du brave homme de 80 ans    

Au premier abord, cela pourrait passer pour de la maltraitance : forcer un vieux monsieur de 80 ans à continuer à travailler alors qu’il mériterait de jouir enfin de la retraite. Mais l’Italie est un pays démographiquement déprimé, où la blanche crinière de Sergio Mattarella est autant un signe de sagesse que d’espoir. L’espoir d’en finir avec la domination des populistes dans la vie politique, et l’espoir d’un rebond économique, digne du miracle italien d’après-guerre.

Entre les élections allemandes de l’automne dernier et la présidentielle française de ce printemps, il fallait, la semaine dernière, introniser un nouveau président de la République italienne. En mains de 1009 grands électeurs (les parlementaires des deux chambres et les délégués des régions), cette échéance, prévue tous les sept ans, a été particulièrement rocambolesque : il fut question d’un comeback de Silvio Berlusconi, d’une première féminine, et même de placer à ce poste politiquement si sensible l’actuelles responsable des services secrets. Mais à la fin, au terme de 8 tours de scrutins, c’est le président sortant Sergio Mattarella qui a été plébiscité pour habiter le Palais du Quirinal. Le vieil homme de plus de 80 ans se retrouve ainsi élu, alors qu’il ne le souhaitait pas, une situation à faire pâlir d’envie les trop nombreux candidats à la présidentielle française ! Prié de rempiler par des chefs de parti (y compris celui du Mouvement 5 étoiles qui avait demandé naguère son « impeachment »), habité par un sens du devoir digne de la reine Elisabeth II d’Angleterre, le Sicilien a accepté.

Ce faisant, ce brave homme offre à la péninsule un bon cadeau pour 16 mois de stabilité politique. La coalition menée par Mario Draghi, installé à la présidence du Conseil par Mattarella il y a tout juste un an, devrait pouvoir travailler jusqu’au terme de la législature, en mai 2023. Le conditionnel est de rigueur tant l’alliance qui gouverne est hétéroclite : elle marie le Mouvement 5 étoiles, la Lega, le Parti démocrate, Forza Italia, Italia Viva et Libres et égaux, et s’appuie autant sur des politiques issus de ces formations que sur des ministres dits « techniques ». Bénéficiant d’une large majorité dans les deux chambres, elle n’en reste pas moins à la merci d’un accident, orchestré par l’un ou l’autre leader en mal de visibilité.

Le gouvernement Draghi a été institué pour gérer la manne des plans de relance européens, inspirer confiance aux partenaires et investisseurs, déployer la fermeté et la créativité qui ont fait de l’ancien patron de la Banque centrale européenne une des personnalités italiennes les plus estimées sur la scène internationale. En panne de croissance depuis son arrimage à la zone euro il y a vingt ans, projetée au fond du trou par la crise Covid qui l’affecta en premier sur le continent européen, l’Italie se doit de relever – enfin – la tête.

Mais si le pays s’est retrouvé en aussi mauvaise posture, au point de devoir confier son sort à un premier ministre eurocrate jamais soumis au verdict des urnes, il le doit à un paysage politique particulièrement émietté. Là où la politique allemande recombine ses gouvernements avec la démocratie-chrétienne, les socialistes, des libéraux et les verts, l’Italie peine depuis le scandale Mani Pulite sur le financement de partis, il y a 30 ans tout de même, à retrouver des familles politiques stables. La surenchère populiste a fait émerger le Mouvement 5 étoiles, prétendument ni de gauche ni de droite, vainqueur des élections législatives en 2018. Sur la durée le Mouvement apparaît surtout comme une girouette, sans conviction, incapable de tenir une ligne.

Premier dans les intentions de vote depuis qu’il a été repris par Enrico Letta, le Parti démocrate recueille à peine plus de 21% des suffrages. Ses concurrents de droite, Fratelli d’Italia et la Lega, engrange chacun de 18 à 19%. Le Mouvement 5 étoiles a fondu de moitié (à 14%). Au fur et à mesure que l’échéance de mai 2023 va s’approcher, la tension risque de monter, d’autant que lors de la prochaine législature le nombre de députés et de sénateurs sera réduit, par la réforme constitutionnelle votée en 2020. Les partis voudront se profiler pour mieux séduire des électeurs italiens particulièrement volatiles.

Malgré cette grande complexité politicienne, le maintien de Sergio Mattarella au Palais du Quirinal laisse augurer d’un scénario qui assure à l’Italie un rebond de son économie comme de sa crédibilité sur la scène internationale. Forcé de jouer les prolongations, le président risque d’être intransigeant face à toute tentative d’affaiblir le gouvernement Draghi par les partis de droite qui, s’ils n’avaient pas été si désorganisés et irresponsables, auraient pu mettre à sa place l’un ou l’une des leurs. Draghi pourra donc continuer à réformer et à remettre l’Italie sur de bons rails. Ses résultats vont achever de discréditer les programmes fantasques de Matteo Salvini et de Georgia Melloni aux yeux des électeurs. Garant d’une Constitution marquée par son antifascisme, le président l’est également des engagements européens de son pays. Mattarella fera tout ce qui est en son pouvoir pour que les Italiens voient à nouveau l’Europe comme une évidence positive. Puisqu’on l’a forcé à rester, il s’efforcera de concrétiser l’avenir qui lui semble le meilleur pour l’Italie.

Aux élections de 2023, si le PD maintient sa course en tête, grâce au travail de rassemblement des forces de gauche que Letta a entrepris au travers d’agoras démocratiques, il pourra reprendre la présidence du conseil. Mission accomplie, il sera alors temps pour Mattarella de démissionner afin de placer pour sept ans Draghi à la présidence de la République. Draghi au Quirinal, c’est bien le scénario qui était prévu de longue date par tous ceux qui voulaient vacciner l’Italie contre ses foucades populistes, et redorer son prestige international. Il a juste pris un peu de retard. Comme disent les Italiens : il tempo è galantuomo (littéralement : le temps est un homme galant, que l’on pourra traduire « tout vient à point à qui sait attendre »).

 

 

Le leadership européen est une hydre (et c’est tant mieux)

Ce fut la grande interrogation de 2021 : après le départ d’Angela Merkel, qui pour être le leader de l’Union européenne ? Qui pour planter ses yeux dans le regard glaçant de Poutine ou dans celui, méprisant, de Trump ou d’un de ses potentiels avatars à venir ?

Intéressons-nous d’abord à quelques candidats à cette succession. Emmanuel Macron, l’autre binôme du couple franco-allemand, apparaît naturellement en tête de liste, d’autant que la France va assumer, dès le 1er janvier et pour un semestre, la présidence du Conseil de l’Union européenne. Le président de la République est un Européen convaincu, habité par l’ambition de transformer l’UE en ce que la France n’est plus : une grande puissance politique, porteuse des idéaux humanistes et des Lumières. Toutefois, Emmanuel Macron a le défaut des ses qualités. Aux yeux de beaucoup d’autres Européens, il incarne une certaine « arrogance à la française », qui impressionne autant qu’elle exaspère. Enfin pour s’imposer parmi les 27, le magistère macronien doit surmonter l’écueil de sa réélection en avril par une majorité de Français.

C’est ainsi qu’une figure moins agaçante et plus capée sur la scène européenne s’est imposée dans cette course au leadership continental : Mario Draghi. Président du conseil depuis moins d’une année, l’ancien banquier central européen jouit d’une grande estime. N’a-t-il pas en 2012 sauvé l’euro des crocs des marchés financiers avec sa petite phrase « quoi qu’il en coûte » ?

Débarrassée pour un temps des bonimenteurs populistes qui encombrent sa vie politique, l’Italie pousse ses pions. Au moteur franco-allemand bien connu, elle vient d’ajouter le Traité du Quirinal, scellant une coopération renforcée entre Rome et Paris. Une manière d’élargir le jeu entre pays fondateurs de l’Union européenne. Mario Draghi a aussi pour lui d’incarner la perspective d’un nouveau miracle économique italien, après deux décennies d’austérité et d’absence de croissance. La péninsule reste une puissance industrielle, et les milliards d’euros des plans de relance européens devraient, grâce à l’expérimenté Draghi, lui permettre d’exprimer sa formidable créativité. Comme la chancelière, il parle peu, mais avec beaucoup d’autorité.

Alors, après le charme discret d’Angela Merkel, l’énigmatique sourire de Super Mario va-t-il personnifier la résilience du Vieux Continent ? On peut le souhaiter, tant l’intégrité et la crédibilité de Draghi sont fortes, mais il ne faut pas oublier que la vie politique transalpine place cette hypothèse à la merci d’un stupide accident d’un parcours. Fin janvier, le parlement italien doit élire un nouveau président de la République. Draghi, lui-même, avant d’être appelé au poste de premier ministre, fut longtemps pressenti pour ce poste. Président de la République, il resterait bien sûr une figure d’autorité reconnue comme celle de Sergio Mattarella avec bienveillance par les Européens, mais il ne pourrait plus jouer les premiers rôles dans les conseils européens auxquels il n’aurait plus accès.

Demeurant premier ministre, Draghi pourrait être victime d’une rupture au sein de la coalition hétéroclite qui soutient son activité gouvernementale. Sans compter que l’élection à la présidence de Silvio Berlusconi, que les partis de droite soutiennent, ruinerait le crédit que l’Italie vient à peine de reconquérir sur la scène européenne.

Formé chez les jésuites, rusé et créatif, ne craignant pas de bousculer les lignes, mais n’aimant pas les effets de manche, Mario Draghi a beaucoup d’atouts pour incarner le leadership européen, encore faut-il que les politiciens italiens ne brisent pas ses chances.

À la différence de Macron et Draghi, le nouveau chancelier allemand, Olaf Scholz, évolue dans un horizon électoral dégagé. S’il réussit à mettre en musique l’ambitieux programme de gouvernement qu’il a négocié avec les verts et les libéraux, il pourrait aussi à terme succéder à Angela Merkel dans le rôle de premier interlocuteur européen face aux puissants de la planète. Mais il est encore un peu tôt pour être certain que Scholz a l’étoffe d’un héros.

La question du leadership européen ne saurait cependant se réduire à celle du casting. Dans un monde aussi complexe que celui du 21ième siècle, la figure de l’homme ou de la femme providentiel-le apparaît très datée 20ième siècle et à bien des égards anachronique. Il conviendrait de se détacher de la perfidie attribuée à Henry Kissinger en 1970 – il y a tout de même un demi-siècle ! – « l’Europe, quel numéro de téléphone ? »

La force de l’Union européenne, mais souvent également sa faiblesse, est de coaliser 27 états. Aussi charismatique soit-il, un seul de ses dirigeants ne peut pas incarner à lui tout seul cette incroyable diversité.

Née du rejet inconditionnel des régimes fascistes et totalitaires, la construction européenne avec son système d’institutions et d’équilibre des pouvoirs démocratiques multiplie les figures légitimées à parler « au nom de l’UE », même si leurs fonctions sont différentes. Appelés à la présider six mois par tournus, tous les chefs de gouvernement des 27 états-membres peuvent revendiquer à un moment ou à un autre, compte tenu des circonstances géopolitiques, ce leadership. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le peut également. Tout comme le président du parlement européen, David Sassoli, celui de la Cour de justice, Koen Lenaerts, ou encore le président du Conseil européen, Charles Michel. De fait, l’UE s’est développée contre le mythe du leader unique, et dans l’obsession de partager la gestion et la responsabilité des décisions communes.

On peut même dire que, dans l’esprit des résistants et des partisans qui l’ont inspirée, quand une de ses figures éminentes disparaît, une autre prend sa place pour défendre inlassablement les mêmes valeurs de l’Etat de droit. Avec toutes ses têtes, l’UE a tout de l’hydre, organisme pluricellulaire complexe, aux fortes capacités régénératrices.

Médiatiquement, cependant cette multiplicité de figures en capacité de s’exprimer,  « au nom de l’UE » est un vilain défaut. Elle cadre mal avec l’hyper-personnalisation du pouvoir et sa pipolisation. Elle rend l’actualité européenne difficile à simplifier ou à mettre en scène. Écueil supplémentaire dans la recherche d’une figure de référence, peu de personnalités restent charismatiques dans une autre langue que la leur.

Revenons au « modèle » Merkel. Si Angela Merkel s’est imposée comme la leader des positions européennes, c’est surtout dans la durée, grâce à la longévité de ses quatre mandats. Elle n’a jamais été une grande oratrice, mais elle a su faire preuve de détermination à des instants-clé (comme lors de la crise des migrants avec son « wir schaffen das » ).

Sur la scène géopolitique mondiale, face aux pouvoirs chinois, américain et russe, qui semblent si avides d’en découdre, l’Union européenne n’est pas conçue pour taper du poing sur la table. Mais, privilégiant le débat à la force, elle ne manque ni de figures ni d’arguments pour résister, sur le fond comme dans la forme, aux donneurs d’ordre qui veulent imposer une vision univoque de l’histoire.