Johann Schneider-Ammann : naïveté ou intox ?

La légende veut que le conseiller fédéral en charge de l’économie publique, le libéral-radical Johann Schneider-Ammann, ait été informé par le président de la direction générale de la Banque nationale suisse (BNS) de l’imminence de l’annonce de la décision de l’institut monétaire helvétique d’en finir avec la politique du taux plancher face à l’Euro, une heure seulement avant l’annonce publique de ce choix.

Si la légende était vraie, cela confirmerait que nous avons à la tête de la politique économique de notre pays un homme qui n’est décidément pas à la hauteur de sa tâche. Quelques annonces empreintes de candeur pourraient nous conforter dans cette appréciation. En effet, il est particulièrement maladroit de lancer quelques jours à peine après la décision de la BNS un débat national sur la réduction des prix et des salaires. En langage économique, cela s’appelle la politique de déflation. A l’instar du reste de l’Europe et des Etats-Unis, la Suisse a connu une période pendant laquelle des tentatives de réduire massivement les prix et salaires ont bloqué pendant des années la reprise économique tout en provoquant un chômage de masse (près de 8% en Suisse, près de 30% en Allemagne). C’était pendant la sombre crise économique mondiale des années 1930.

Or, pendant les années 1930 déjà, la volonté du Conseil fédéral de baisser les salaires et les prix n’a guère été suivie d’effets concrets.  Les associations faîtières du bâtiment et du commerce de gros et de détail sont convoquées à des réunions nationales sans résultats. L’« action morale » du gouvernement sur les prix comme ont la désigne à l’époque se solde par un échec. Il en devrait être de même en 2015 à moins d’introduire des instruments de contrôle véritables qui vont bien au-delà du pauvre arsenal interventionniste de « Monsieur Prix ». Cette piste est donc peu réaliste.

L’hypothèse de l’intox dont nous faisons actuellement gaillardement les frais par rapport à la concertation entre le Conseil fédéral, la direction de la BNS et probablement aussi les milieux économiques semble plus convaincante. Pour une fois, la comparaison historique peut nous être utile.

Quand le Conseil fédéral choisit en septembre 1936 de dévaluer le franc suisse, il prétend devant la presse que cette décision serait tombée comme une bombe (« ein Blitz aus heiterem Himmel »). En réalité, il s’agissait d’un pur mensonge. De fait, le gouvernement, les hauts fonctionnaires des départements fédéraux des finances et de l’économie et la direction générale de la BNS s’étaient concertés depuis longtemps pour préparer la dévaluation du franc. Comme l’admettent les gardiens de la monnaie, deux semaines après ce choix monétaire majeur : « Au cours de cette année la direction générale a mené une série de discussions avec la délégation financière du Conseil fédéral au cours desquelles ont été clarifiées entre autres des questions techniques relatives à une éventuelle dévaluation. Si la Banque nationale s’était laissée surprendre par les événements, des reproches justifiés auraient été adressés à la direction de la banque Il est cependant dans la nature de tels préparatifs qu’ils s’effectuent dans le plus grand secret. La moindre information concernant des préparatifs d’une dévaluation par la Banque nationale aurait provoqué des remous et du désarroi dans le public (…). »

L’histoire nous dira plus tard comment les événements se sont déroulés ces dernières semaines. En attendant, il s’agit de se battre avec la dernière énergie contre les tentatives de dérégulation du marché du travail, les velléités de libéralisation des services publics et autres projets absurdes de baisse de la fiscalité qu’appelle par ses vœux la droite néolibérale emmenée par l’UDC.

Ce combat passe par la mise en œuvre d’un programme de démocratisation économique et sociale. Et par une mise en œuvre euro-compatible de l’initiative contre l’immigration de masse acceptée par une très légère majorité le 9 février 2014. Au-delà de la naïveté ou de l’intox de Johann Schneider-Ammann, il en va de notre avenir à tous.

Celsa Amarelle

Professeure de droit à l'Université de Neuchâtel, Cesla Amarelle enseigne actuellement le droit constitutionnel, les droits humains et le droit de la libre circulation des personnes. Elle est également conseillère nationale (PS/VD), membre de la Commission des institutions politiques et de la Commission des finances (présidente de la sous-commission en charge de la santé), et vice-présidente des Femmes socialistes suisses.