Aux larmes citoyens

 

Il est des journaux qui vous accompagnent au cœur de l’intime. Tout en accomplissant leur mission d’information, ils savent vous affranchir l’esprit de vos certitudes et vous délivrent une respiration indispensable. Toutes vos convenances sociales, vos codes de conduite, votre prêt-à-penser politique y sont malmenés avec une tendresse bienveillante pour vous donner envie de plus de liberté. Une respiration de l’esprit face à tout ce qui peut ressembler à une autorité, une bienséance ou une institution et qui fait ébranler vos certitudes pour vous émanciper. Cet esprit libertaire et frondeur, qui alimente régulièrement certains d’entre nous depuis notre jeunesse tous les jeudis, raisonne plus largement au cœur de tous ceux qui ont l’espoir de faire changer le monde, qui croient aux forces de progrès et qui pensent que l’homme a cette incroyable capacité à dépasser ses propres déterminismes. 


C’est toute cette intimité-là, entretenue semaine après semaine et partagée par des milliers de lecteurs, qui a été assassinée mardi dernier. Ces dernières années, l’islamisme radical et l’extrême droite catholique étaient devenus leurs principaux ennemis. Mardi dernier, le temps s’est arrêté. En disparaissant de notre réalité, les journalistes et dessinateurs de Charlie nous laissent un héritage inestimable pour la démocratie. Les anti-barbelés, les ennemis de la répression qui sont « pour le cul et contre les cons qui gagnent tout le temps parce qu’ils sont trop » ont tenu leur manifeste de liberté jusqu’au bout. C’est pour défendre notre liberté d’expression – celle de la presse, celle des politiques, celle des citoyens –, pour que cette liberté ne soit pas étouffée, ni même conditionnée par les fondamentalistes religieux qu’ils sont morts. Leur gai mariage d’antimilitarisme, d’anticléricalisme et de porno irrespectueux résonne encore de façon si bouffonne qu’il caractérise de manière monumentalement imbécile et absurde le carnage de leurs assassins.

Celsa Amarelle

Professeure de droit à l'Université de Neuchâtel, Cesla Amarelle enseigne actuellement le droit constitutionnel, les droits humains et le droit de la libre circulation des personnes. Elle est également conseillère nationale (PS/VD), membre de la Commission des institutions politiques et de la Commission des finances (présidente de la sous-commission en charge de la santé), et vice-présidente des Femmes socialistes suisses.