Le scandale Car Postal s’invite en terres neuchâteloises

Samedi 14 décembre 2013. Malgré la pluie et le froid, une bonne centaine de personnes s’est rassemblée à Boudry, petite ville à l’ouest de Neuchâtel, pour l’inauguration des lignes de bus 612 et 613. Deux lignes qui desservent à une cadence élevée (jusqu’à 15 minutes aux heures de pointe) des communes du Littoral neuchâtelois jusqu’ici largement négligées par les transports publics. Ce qui explique l’enthousiasme des citoyens de cette région un peu excentrée.

Pour les élus des communes concernées (dont j’étais, à l’époque), cette inauguration représente l’aboutissement d’un travail acharné mené main dans la main avec TransN, la compagnie de transports publics du canton. Sans son implication sans faille, la création de ces dessertes aurait tout bonnement été impossible. Bref, ce jour-là, c’est la fête.

Mais la fête est de courte durée et TransN se voit bien mal récompensé de ses efforts. Le 2 février dernier, à peine plus de quatre ans après l’inauguration de ces deux lignes, le Conseil d’Etat indique que Car postal en reprendra l’exploitation à la fin de l’année. La filiale du géant jaune a remporté l’appel d’offre décidé par le gouvernement sur de ces deux lignes. A « qualité équivalente », selon l’exécutif cantonal, le mastodonte des transports est moins cher. C’est l’histoire de David contre Goliath. Sauf que dans la vraie vie, le petit se fait généralement écraser par le gros.

 

Sous-enchère salariale

Mais quelle mouche a donc piqué le Conseil d’Etat ? Pourquoi démanteler une ligne qui fonctionne à la satisfaction de tous, gérée de surcroît par une compagnie dont le canton est actionnaire majoritaire, pour l’octroyer à une entreprise prise dans le plus grand scandale de l’histoire suisse en matière de transports publics ? J’en vois déjà qui pensent : « Encore une neuchâteloiserie ». Difficile de leur donner tort.

Devant le Grand Conseil, j’ai demandé au gouvernement de s’expliquer sur cette invraisemblable maladresse politique. Visiblement mal à l’aise, le ministre des transports Laurent Favre, en bon libéral, a évoqué la « saine concurrence » que permet selon lui le procédé. Les 17 chauffeurs TransN qui risquent de se retrouver à grossir les rangs des chercheurs d’emploi dans ce canton qui détient le record suisse du taux de chômage apprécieront. Pas certain d’ailleurs qu’il faille leur souhaiter de retrouver de l’embauche chez Car Postal : fin février, une pétition a été lancée au plan national pour demander la fin du « travail gratuit » au sein de l’entreprise, tant les employés sont sous pression. Et comme le Tribunal fédéral a confirmé qu’il n’était pas illégal de faire une soumission à perte, voilà une voie royale ouverte vers la sous-enchère salariale. Une saine concurrence, vraiment.

 

Chamailleries de cour de récré

Le problème de fond, c’est que Neuchâtel n’a jamais pris la peine de mettre en place une politique cantonale en matière de transports publics, comme l’a fait par exemple Vaud. Alors même que l’enjeu, notamment en matière de cohésion cantonale, est de taille, ce sont aujourd’hui les communes qui se débrouillent comme elles le peuvent, souvent chacune de leur côté. Et cela laisse la porte ouverte aux manoeuvres politiques, voire aux rancoeurs personnelles. Dans le monde de la politique neuchâteloises, peu de gens ignorent que le directeur de TransN, ancien chef du Service cantonal des transports, n’est pas dans les petits papiers de Laurent Favre, ni dans ceux de l’actuel chef de ce service. Et au final, ce sont les usagers et les employés de TransN qui risquent bien de pâtir de ce qui ressemble furieusement à un règlement de compte.

Ces chamailleries de cour de récré sont d’autant plus regrettables que du travail, il y en a. Des pistes aussi. Pour encourager le transfert modal des Neuchâtelois-e-s, on pourrait lancer une campagne de communication, envisager des prix plus bas, voire la gratuité des transports publics (comme cela se fait de plus en plus dans toute l’Europe). Une meilleure desserte des deux vallées du canton permettant de les désenclaver ou des correspondances avec les CFF améliorées figurent aussi au nombre des idées à creuser.

Oui, ce genre de mesures coûte. Mais ce que ça rapporte en contre-partie est énorme, tant au niveau de la qualité de l’air que de la diminution des nuisances sonores et de la sécurité. D’autant que moins de véhicules individuels, c’est aussi moins de dommages aux bâtiments, moins d’investissements dans les infrastructures routières et dans les parkings, donc davantage pour les crèches ou les écoles. Tout cela dans un seul but : une meilleure qualité de vie.

 

Céline Vara

Avocate indépendante à Neuchâtel, Céline Vara exerce la politique depuis près de quinze ans au sein des Verts. Après une législature au législatif puis une seconde à l’exécutif de sa commune, elle siège actuellement comme députée au Grand Conseil et préside la section cantonale depuis août 2016. Depuis une année, elle est maman d'une petite Mathilde.

2 réponses à “Le scandale Car Postal s’invite en terres neuchâteloises

  1. J’estime qu’il est injuste de laisser La Poste continuer dans sa politique réductrice de fermeture des bureaux postaux si elle est, en même temps, accusée d’agissements délictueux ou répréhensibles.
    Nous nous appuyons sur les faits signalés par les médias et dont certains ont déjà été abordés dans la session de printemps 2018 du Parlement fédéral. S’il s’avère que La Poste a agi dans certains domaines, et sur une période de 15 ans et plus, d’une manière illicite ou frauduleuse, il est inimaginable qu’elle puisse continuer comme si de rien n’était.

    Voici la liste des agissements qu’on peut lui reprocher, signalés par les médias:
    1. Expertises fictives d’environ 1400 véhicules en 2003 au moment où leur immatriculation passa sous la responsabilité des cantons.
    2. Allocations d’indemnités illicites de 78.3 millions de francs à CarPostal de 2007 à 2015.
    3. Accusations de concurrence déloyale en France, concernant trois compagnies de transport, et condamnation à une amende de 11,5 millions de francs en 2016 par le Tribunal de commerce de Lyon pour avoir été au bénéfice de subventions étatiques suisses.
    4. Délocalisation du déchiffrage des lettres mal adressées au Vietnam en 2016, avec la perte de 100 emplois en Suisse.
    5. Choix d’un modèle comptable, depuis 2016, qui double le calcul des déficits du réseau postal.
    6. Obligation pour des exploitants privés de signer avec la Poste une déclaration de confidentialité absolue, février 2018.
    7. « Dumping » salarial concernant 800 chauffeurs chez des sous-traitants de CarPostal.
    8. Avantages tarifaires de dédouanement accordés à Amazon.com. au moment de la signature du contrat avec la Poste pour les livraisons rapides.

  2. Intéressant d’apprendre que « le Tribunal fédéral a confirmé qu’il n’était pas illégal de faire une soumission à perte ». Il n’y a donc pas de « saine concurrence » et tout le système libéral s’écroule. J’espère que Laurent Favre en prendra conscience assez vite.

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