Faire l’impasse sur les Jeux paralympiques : le bon et le mauvais côté

Après avoir renoncé aux Jeux, je me sens soulagée d’avoir considéré mon état de santé à sa juste hauteur, de ne pas avoir « tout » tenté jusqu’au bout. Quelles sont les conséquences évitées sur le long terme ?

Revenons en arrière. 2020 : les JO sont reportés. Pour quel impact sur les athlètes ? Est-il physique ? Mental ? Comment l’estimer pour ceux qui ont décidé de mettre fin à leur carrière après les Jeux ? Faut-il adapter ses plans ? Que signifie l’événement majeur de la planète tout court ? Quelles chances ratées et quelles autres opportunités ?

Je me voyais concourir à Tokyo un an plus tôt. Voyant toujours le positif au sein de chaque difficulté, c’était la chance d’encore mieux m’y préparer. Je faisais alors du sprint depuis deux ans. La marge de progression étant grande, une année supplémentaire semblait précieuse. Peut-être trop. En ai-je trop voulu ? Ai-je dépassé mes limites ? Suis-je parvenue à mon meilleur niveau pour courir le 100m (en 15 secondes) ? D’autres améliorations étaient-elles prévisibles sans mettre ma santé en danger ? Mon handicap (la spasticité de mes membres – des petits mouvements involontaires et incontrôlables) en a voulu autrement (chute en mars).

Pourtant, était-ce la peine de m’astreindre à des entraînements que je ne serais pas parvenue à réaliser dans leurs totalités ? De continuer à tout prix au risque de devoir affronter des grandes déceptions et de péjorer mon bien-être ? Bien évidemment que non.  Certes, renoncer à mon plus grand objectif puis vivre les Jeux à la télé n’est pas évident. Le pincement au cœur est présent, ma carrière sportive étant le synonyme d’un immense engagement, d’une rage de vaincre et de dépasser mes difficultés (liées au handicap) mais aussi d’avoir fait l’impasse sur ma vie privée durant des années. Est-ce un échec ? Je ne peux pas l’imaginer ainsi, considérant tout ce que le sport de haut niveau m’a apporté : l’entraînement sans relâche, les compétitions, gérer les défis de santé, la pression, et particulièrement les immenses progrès effectués et l’évolution positive de mes capacités physiques (malgré mon handicap) et mentales (l’état d’esprit).

S’adapter à tout changement important ne s’improvise pas. Ne pas participer à cette échéance de grande importance reste un crève-cœur, voyant les Jeux arriver et suivant intensément l’équipe de Suisse. C’est le synonyme de l’engagement que j’ai porté au sport d’élite durant plus de quinze ans. Il ne s’agit pas seulement d’une passion. Mais de toute une vie consacrée au sport. Cela n’a jamais été un sacrifice, pour moi. Mon moteur ? Les démarches que j’ai entreprises ont toujours été le fruit de mon impulsion et de ma volonté. Ça, je me l’étais promis.

Arrêter sans avoir un plan à la clef, est-ce la fin du monde ? Ayant tenu à maintenir une activité en dehors du sport m’a permis de ne pas me sentir dans l’insécurité. Ayant déjà vécu une (ou même plusieurs) reconversion(s), je n’ai jamais été aussi confiante avec l’idée permanente consistant à rebondir, différemment. J’ai prêté une grande importance à la formation, n’ignorant pas que le sport semi-professionnel s’arrêterait un jour. Concours de circonstances : d’autres aboutissements sont intervenus au bon moment. Concours de circonstances : mon nouveau livre « Tout est Possible, d’une situation à l’autre, éditions Slatkine » est sorti au même moment. Mon nouvel engagement : la politique. Sans oublier l’écriture via ce blog et les conférences. Tout cela m’a permis de relativiser, sans compter les dommages potentiels évités sur ma santé (les conséquences de la chute de mars s’atténuent : de moins en moins de vertiges et de maux de tête). De plus, ayant vécu un grave accident qui m’a laissé un handicap, je crois pouvoir dire que j’aimerais à tout prix sauver ma santé, mais aussi éviter de gommer les bénéfices de tous les efforts fournis ces dernières années.

Un abandon définitif ? Le sport a guidé ma vie (en partie). C’est lui qui m’a sauvé et qui m’a permis de retrouver la vie, durant les années suivant mon accident d’équitation en 2008, avant de devenir mon métier. Des prochains défis ? Ayant repris les entraînements dans le respect de mes capacités et de mon corps, je ne compte pas m’arrêter. Cependant, c’est la fin d’un chapitre (du sport professionnel) et le début d’un autre.

Quatre mois après ma fin de carrière en sprint, j’ai découvert une nouvelle vie. A commencer par le fait de me « laisser vivre » sans cadre aussi rigide ni rythmé d’entraînements aux séances de repos en passant par les soins. Mes relations sociales sont, elles aussi déjà largement étoffées (je rencontrais quasi seulement les personnes de mon cadre sportif ou mes audiences lors de conférences). Je n’ai jamais été aussi contente de rencontrer d’autres personnes, de m’inspirer et d’apprendre de leurs expériences pour la suite, mais aussi de connaître leurs préoccupations et les enjeux qu’ils rencontrent. Ne pouvant pas tout contrôler ni prévoir, je me réjouis de toutes les aventures que me réserve la vie. Je compte la « guider » par les valeurs qui sont les miennes.

Photo: Jess Hoffman

Celine van Till

Celine van Till défie l’impossible. Du dressage équestre au cyclisme sur route, en passant par le 100 mètres sprint, valide et handisport, elle court d’un extrême à l’autre. L’ennui n’existe pas. Les surprises attendent. Les limites sont remises en question. Elle gagne la Coupe du Monde 2022 et est aussi auteure et conférencière.

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