L’envie du défi bouleverse la vie

Il y a un an, j’annonçais ma conversion. L’équitation, une passion aujourd’hui transformée. Une carrière nouvellement orientée vers l’athlétisme. Je ressens un mélange d’émotions qui me rejette au stade de départ avec optimisme : le nouveau défi est aujourd’hui choisi et non pas subi.

 Comment s’approprier des nouvelles conditions de vie ? Avec l’âge, le changement est-il possible ? Les défis sont-ils surmontables ? 

 L’on se pose ces questions lorsqu’on est tenté par une envie. En même temps, on est retenu par la peur de d’échouer ou de “tomber”. Malgré l’envie de passer à l’action, nos intentions ne dépasseront souvent pas le stade de l’hésitation… Ainsi, la question se pose pourquoi certains parviennent à franchir le cap et d’autres non.

Est-ce une question de bonne ou de mauvaise volonté ? Quelle est l’importance de notre passé ? En quoi les événements auxquels nous sommes confrontés peuvent-ils tant être constructeurs que destructeurs selon les personnes ?  

N’étant pas une spécialiste des neurosciences (loin de là !), ce sont néanmoins les questions que je me pose aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle je livre mes premières expériences en athlétisme, étant handicapée et âgée de 27 ans…

“N’est-ce pas complètement fou ?”, m’a lancé un coureur élite lorsque j’ai annoncé ma conversion sportive il y a un an. Consciente des (et de mes) difficultés, ignorais-je encore trop les interrogations qui se posaient quant à sa simple faisabilité ? J’étais déjà dans le feu de l’action sans me poser cette question… Pour moi, il n’y avait qu’une voie.

Comment apprivoiser cette nouvelle activité ? Pourquoi m’infliger une telle souffrance de l’effort et rendre ma vie d’autant plus compliquée ? Est-ce risquer d’autant plus léser un corps déjà handicapé ?

L’importance majeure est la passion et l’amour de la vie, en passant par ses beautés et ses irréversibles cruautés. Il s’agit de vivre intensément le moment présent, sans remords ni regrets.

Dans mon cas, je l’explique par l’acharnement et le travail quotidien également. Passionnée nouvellement par le mouvement du corps humain, je voulais résoudre un mystère peu commun : comment y arriver avec mes difficultés ? Même si mes capacités étaient encore loin du compte, je commençai par bâtir une base (plus) solide sur laquelle démarrer cette nouvelle activité.

Certes, je ne m’attendais pas à ressentir des émotions ressemblant à des « montagnes russes ».

Les hauts et les bas tentent de faire chavirer l’esprit de l’espoir au doute, du réalisable à l’impossible…

Prise par le doute, les personnes par qui j’ai décidé d’être entourée (mon entraîneur, le groupe, les professionnels de la santé, les amis, la famille…) ont le plus d’impact sur mes pensées. Ils croient en moi et en mon projet. Ils m’ont rassuré.

Certes, je n’ai jamais ignoré une difficulté et l’ai travaillé. Je me suis remise en question et adapté la situation. Cet apprentissage m’a permis de m’améliorer.

Il s’agit surtout de tirer quelque chose de positif de chaque situation et de s’en servir comme tremplin pour aller plus loin.

En réalité, je devais récupérer d’anciennes cassures, retrouver d’avantage mes facultés d’équilibre et de coordination, en grande partie disparues lors de mon accident d’équitation il y a 10 ans (traumatisme crânien et un mois de coma !) Enfin, je devais avant tout apprendre les bases de l’athlétisme et du sprint ! Cela faisait beaucoup…  Après plusieurs mois de soins et d’exercices, un bon travail de renforcement, une reprise progressive de la course (et des chocs !) ainsi que cinq semaines d’entraînement spécifique sur le tartan, j’ai pu concourir à mon premier meeting d’athlétisme, le Berlin Open Para-Athletics Grand Prix 2018 !

Cette première compétition était avant tout une évaluation. Vaut-il alors la peine de continuer ? Pour moi, c’était une évidence. D’autres personnes en doutaient encore ; non pas de mes capacités mais de la réalité. Pourquoi serait-ce possible ? Je me demandais pourquoi cela ne le serait pas.

Pendant les six premiers mois de l’année, j’étais totalement dévouée à cette nouvelle activité. Cela dit, j’ai sacrifié tant ma vie professionnelle (le travail en entreprise) que personnelle (une partie de mes hobbys) pour l’athlétisme. Cependant, ma vie privée a également changée (ce qui ne se voit pas)…

 C’était le prix à payer pour espérer un jour y arriver.

Je traversais les petites victoires et défaites que l’on vit au quotidien qui font partie de la vie… Qu’en est-il des résultats réels sur papier que l’on ne peut changer (les chronos) ? Je pouvais seulement tenter de les améliorer…

Ainsi, au premier entraînement spécifique (je visais encore le 400m), je tombe à la quatrième course. Pouvais-je y arriver ? Au deuxième, je finis debout et gagne confiance. Au troisième, la RTS est là. Sans expérience ni connaissances, je me sens perdue. Au quatrième, je finis mon premier 400m (découpé en 100m, 150m, 100m, 50m) en 1 minute 20, ce qui équivaut à la limite internationale pour les européens (mais encore à 10 secondes de la limite suisse !) Cela allait être compliqué… Au cinquième entraînement, j’ai fait 2 courses de 200m, chronométré par un ami. Étant coureur de haut niveau lui-même, j’avais encore plus l’impression d’être à l’ouest… Très vite, c’était déjà la compétition !

Malgré mes appréhensions, continuer était la seule option.

A Berlin, je passe par une expertise médicale et je suis classifiée en « T36 ». Dans cette catégorie de handicap, malgré avoir préparé le 400m, je devais être prête à tout. Deux heures avant mon premier départ, j’apprends que je devais directement m’orienter sur le 100m et le 200m !

Bien que je ne sache pas à quoi m’attendre, je finis le 100 mètres en 16 secondes 21 ! L’entraîneur national semblait satisfait (j’avais de la chance de l’avoir avec moi !) Certes, je ne savais pas encore ce que cela signifiait… J’appris seulement après la première course qu’il y aurait une finale… que je pus disputer !

Lors du 200 mètres le lendemain, prenant du temps à démarrer, je rattrape mes concurrentes petit-à-petit et soudain, juste avant la ligne d’arrivée, j’ai chuté ! Ne l’oublions pas que je ne contrôle pas toujours mes jambes… Cérébrolésée, après une nouvelle commotion, peut-on dire que ce sport est trop dangereux pour moi ? Ayant un côté têtu et étant convaincue (cherchez l’erreur !), je dirai même que cela fait partie du jeu.

 Sans aucun risque, on ne peut espérer évoluer…

Quel bilan peut-on alors en tirer ?

Après que mon coach se soit renseigné sur les résultats, il se pourrait que je puisse réaliser de belles choses… Pour autant que je progresse beaucoup… Malgré plusieurs conditions, pour lui, cela valait la peine d’essayer !

Depuis, c’est un changement de vie. Il était hors de question de manquer un entraînement ou de ne pas me rendre en pleine forme à une séance. Après mes premières heures de courses (sprints à répétition) et de musculation, j’étais vite épuisée… J’ai vite compris que je devais prendre plus de temps pour récupérer. Ma vie devait alors être encore plus centrée sur mon but : les Jeux Paralympiques à Tokyo en 2020.

Il était clair dès le départ qu’avoir un objectif ambitieux nécessite de prendre sa vie en main à la même hauteur.

Je dois souvent me rappeler de fixer les priorités et de les respecter ! Une chose à la fois. Étant passionnée, c’est une démarche m’obligeant régulièrement à trier mes activités et à me décharger.

L’été était le moment idéal afin de préparer mon corps aux nouvelles contraintes… Il devait s’adapter à ce genre d’efforts. Certes, même si ce n’était pas souhaité, dès la rentrée, je n’ai pas épargné ma santé : j’enchaînais deux petites blessures de la vie quotidienne… C’était stupide, bien évidemment, mais je devais à présent passer constamment par une prise de conscience de mes déplacements dans l’espace…

 C’est parfois contraignant voir éprouvant. Or, des choix sont nécessaires si l’on vise le plus haut niveau…

Trois semaines de camps d’entraînement à Macolin au Centre National du Sport étaient ensuite planifiées. Une chose était sûre : j’allais les faire toutes. Je tenais à mettre toutes les chances de mon côté.

Sept entraînements sur cinq jours. Je rentrais du vendredi soir au dimanche. Il fallait être “fraîche” pour attaquer les sprints dès le lundi matin ! Nous y étions en groupe, deux athlètes élites, l’entraîneur et moi. J’avais de superbes exemples ; un élément de plus afin d’évoluer… Je m’améliorais en vitesse, en technique et en force. Je m’entraînais. Je mangeais. Je dormais. Parfois, j’étais épuisée.

Certes, être focalisée sur mon activité a payé. A la fin de l’année, cerise sur le gâteau, je suis sélectionnée dans les cadres suisses “espoirs”. Je fis l’expérience des entraînements en commun organisés par la Fédération suisse pendant l’hiver. De nouveaux essais étaient au rendez-vous ! Même si, au fond, j’ai conscience que mon défi reste un peu fou…

Le bonheur vient-il avec le résultat final ? 

Il se vit à travers les joies quotidiennes, parfois à travers la douleur et la remise en question. Je définis le bonheur comme un mode de vie. Si je devais attendre la victoire pour être heureuse, j’abandonnerais aussitôt ! J’espère avancer malgré la difficulté : pas à pas, au profit de beaucoup d’efforts, je découvre des émotions, du plaisir dans ces conditions et des nouvelles sensations. Je savoure chacune d’entre elles ! Elles me donnent de l’espoir, me procurent une sensation de force, me remplissent d’adrénaline… Cela se traduit en auto-motivation de poursuivre l’aventure et en volonté de travailler. Pensant que le résultat est à la taille de l’énergie investie, cela me permet d’estimer ce qu’il faut faire afin de continuer ! Le cercle vertueux est ainsi formé et permet d’avancer pour espérer gagner.

Remarque: cet article a été écrit dans la réflexion d’établir un futur manuscript.

Photo principale: le groupe d’entraînement, de g. à d. moi, notre entraîneur Kenny Guex, Bastien Mouthon et Alain-Hervé Mfompka, ©Jess Hoffman

Celine van Till

Celine van Till défie l’impossible. Du dressage équestre au cyclisme sur route, en passant par le 100 mètres sprint, valide et handisport, elle court d’un extrême à l’autre. L’ennui n’existe pas. Les surprises attendent. Les limites sont remises en question. Elle gagne la Coupe du Monde 2022 et est aussi auteure et conférencière.