Taxe sur les billets d’avion : un combat d’arrière-garde ?

Taxing plane tickets : a rearguard battle ?

L’IATA monte au créneau contre la taxe sur les billets d’avion discutée au parlement. C’est regrettable car cette taxe se justifie et le transport aérien est un secteur en bonne santé.

Quelle taxe faudrait-il avoir ?

Un aspect étrange du transport aérien est que le kérosène n’est pas taxé, contrairement à l’essence utilisée dans le transport routier. Or la justification économique pour une taxe s’applique tout aussi bien aux avions qu’aux voitures : lorsqu’une entreprise où un ménage utilise un service dont le prix ne reflète pas la totalité du coût – incluant la pollution – elle en fait une utilisation excessive du point de vue de l’efficacité économique. Les économistes ayant horreur du gaspillage résultant d’une mauvaise allocation des ressources, la réponse standard est d’ajouter une taxe dite Pigouvienne afin que le coût de la pollution soit inclus dans le prix. Libre ensuite aux entreprises et ménages de décider comme bon leur semble sur base de ce prix économiquement correct.

Il conviendrait donc de taxer le kérosène (ainsi que le carburant des bateaux océaniques) sur base de ce raisonnement économique standard. Si la taxe sur les billets d’avion ne représente pas exactement une taxation du kérosène, les deux mesures ne sont au final pas si différentes car la taxe sur le billet dépend de la durée de vol.

La situation économique du transport aérien

L’IATA s’oppose à la taxe sur les billets, et indique qu’il serait préférable de recourir à la compensation carbone via le système Corsia. Ce système, ainsi que les progrès techniques ayant substantiellement amélioré l’efficacité énergétique des avions, est bon à prendre. Un système de quota de pollutions échangeables sur un marché est un moyen de limiter la pollution, comme une taxe. Pour qu’il fonctionne il doit cependant être implémenté sous l’égide d’une organisation qui peut s’assurer que tous les acteurs jouent le jeu, avec le pouvoir d’amender les tricheurs. Il n’est pas clair à ce stade si un tel pouvoir crédible sera effectivement en place. La taxe a le mérite de pouvoir être gérée par un pays. Certes cela n’affectera que la pollution des vols passant en Suisse, mais le fait que notre pays soit petit ne nous empêche pas pour autant de taxer l’essence.

La taxe fera augmenter le prix des billets d’avion. C’est après tout le but, et un système de quotas aurait le même impact car le coût de la compensation carbone devrait bien apparaître dans le prix final. Est-ce que le volume de passagers sera impacté ? C’est bien possible, et alors ? Si un passager renonce à voyager du fait de la taxe cela indique que la valeur qu’il retire de son voyage est inférieure au coût effectif de celui-ci, auquel cas ce voyage n’est pas une utilisation efficiente des ressources.

En outre le secteur du transport aérien se porte très bien en Suisse et un fléchissement du trafic ne serait pas un drame. Le graphique ci-dessous montre le taux de croissance du nombre de passagers à Genève (ligne rouge) et Zürich (ligne bleue), ainsi que la croissance du PIB réel (ligne verte) et de la population (ligne orange). Nous voyons clairement que le transport aérien s’est développé depuis des années à un rythme bien plus soutenu que l’économie dans son ensemble (avec une exception notable pour Zürich après le grounding de Swissair). En fait, cette forte expansion commence à buter contre les contraintes physiques de capacité des aéroports suisses, et elle devra ralentir dans un futur pas si lointain.L’IATA souligne que des restrictions au transport aérien se traduiraient par un coût substantiel en termes d’activité et d’emplois. Selon elle le secteur représente 207’000 emplois dans notre pays. A y regarder de plus près, le calcul est un peu « poussé ». Le secteur n’emploie directement que 67’000 personnes, et l’IATA compte aussi les activités dans les secteurs fournissant des services au transport aérien, les dépenses des employés, et les activités comme le tourisme pour lesquelles le transport est important. Comme dans chaque calcul incluant les emplois générés dans d’autres secteurs, l’analyse tend à être à géométrie variable (l’IATA est loin d’être la seule dans ce cas). A chaque fois les calculs pour un secteur incluent les emplois générés par les dépenses de ce secteur dans le reste de l’économie, mais  – comme par hasard – omettent les emplois du secteur qui sont générés par les dépenses des autres. Inclure le tourisme comme résultant du transport aérien est assez remarquable. En fait c’est plutôt l’inverse. L’activité touristique fait venir des gens, et le transport est un fournisseur de prestations au secteur touristique. Il conviendrait donc de déduire les emplois correspondant, pas de les ajouter.

Cédric Tille

Cédric Tille est professeur d'économie à l'Institut des IHEID de Genève depuis 2007. Il a auparavant travaillé pendant neuf ans comme économiste chercheur à la Federal Reserve Bank of New York. Il est spécialiste des questions macroéconomiques, en particulier des politiques monétaires et budgétaires et des dimensions internationales comme les flux financiers.

11 réponses à “Taxe sur les billets d’avion : un combat d’arrière-garde ?

  1. Oui, pourquoi pas une taxe de Pigou à l’aviation, correspondant à ses coûts externes. Mais alors, pour être logique, pas de subventions au chemin de fer, justifiées par le fait que ses coûts externes sont modestes.

    1. Bonjour,
      Merci pour votre commentaire. L’idée de la taxe Pigouvienne est de taxer ce qui a une externalité négative (plus de pollution, et de congestion) et de subventionner ce qui a une externalité positive (moins de congestion). Cela dit, tant que la taxe relative avion-train est positive, cela peut prendre une forme de “taxe avion” ou “subside train”, reste encore à voir les ordres de grandeur.
      Meilleures salutations
      Cédric Tille

      1. Vous avez écrit: “lorsqu’une entreprise ou un ménage utilise un service dont le prix ne reflète pas la totalité du coût – incluant la pollution – elle en fait une utilisation excessive du point de vue de l’efficacité économique. Les économistes ayant horreur du gaspillage résultant d’une mauvaise allocation des ressources, …”
        Le subventionnement du train n’a-t-il pas pour effet que l’entreprise ou le ménage qui l’utilise sans en payer l’entier du coût “en fait une utilisation excessive du point de vue de l’efficacité économique”? Ne vaudrait-il pas mieux, bien mieux encore qu’en incitant à choisir le train plutôt que l’avion, ne pas subventionner le train pour assurer l’efficacité économique en réduisant les déplacements?

        1. Bonjour,
          Le point clef est que le prix payé reflète le coût de production, y compris les effets non-marchands. Ceux-ci peuvent être négatifs (augmentation de la congestion) ce qui demande une taxe, ou positifs (reduction de la congestion) ce qui demande un subside. Un bon système est de combiner taxes et subsides afin que la ponction financière sur les ménages et entreprises soit nulle dans l’ensemble. Comme cela on ne prélève pas des resources, mais on fournit aux agents économiques des prix plus réalistes sur lesquels ils basent leurs décisions.
          Meilleures salutations
          Cédric Tille

          1. Les chemins de fer sont eux aussi affectés par la congestion. Entre Lausanne et Genève, par exemple. Comme la congestion ferroviaire augmente, il s’agit selon vous d’un “effet non marchand négatif” qui devrait “demander une taxe”. Pas une subvention. Non?

            Il ne fait pas de doute que, si le prix payé par les voyageurs pour les voyages qu’ils effectuent entre Lausanne et Genève augmentait, le risque de congestion se réduirait.

          2. La question est plutôt de comparer la congestion selon les modes de transport. S’il y a beaucoup plus de gens qui veulent voyager entre Genève et Lausanne, le problème de congestion est-il plus marqué s’ils voyagent en voiture ou en train? C’est clairement la voiture, donc la voiture devrait être taxée relativement au train.
            Meilleures salutations
            Cédric Tille

  2. Même sans taxe la pression existe pour des avions plus efficace comme le montre l’abandon du quadrimoteur A380 pourtant récent.
    A mon avis on devrait plutôt afficher (sur internet) la dépense chaque année dans ce secteur de tout résident du pays.

    1. Bonjour,
      Il y a effectivement un progrès substantiel dans les performances énergétiques des avions. Dans le cas de l’A380 cependant le problème était un mauvais choix de marché, les compagnies préférant des avions plus petits (B787, A350) pour des liaisons directes plutôt que des gros pour des liaisons entre centres majeurs avec correspondances pour les autres aéroports depuis ces centres.
      Meilleures salutations
      Cédric Tille

  3. Pourquoi, ne pas dire simplement
    “taxer le kérosène” ?
    On embrouille les choses avec un libellé équivoque!

    1. L’anglicisme est maintenant corrigé dans le texte.
      Meilleures salutations
      Cédric Tille

  4. Taxer ce qui pollue, et taxer au maximum ce qui pollue énormément. Ce me semble aller de soi tant pour le transport aérien que maritime. Les prix vont grimper et j’en espère un effet dissuasif. ET les lignes de crédit pour mettre en œuvre des moyens de protection pour toutes et tous vont gonfler? Au bout du compte on trouvera un nouvel équilibre plus près des réalités environnementales.

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