Congé paternité et service militaire

En refusant le congé paternité sans contre-projet le Conseil Fédéral manque de vision et de cohérence.

Un coût bien faible

Le congé paternité ne casserait de loin pas la tirelire des finances publiques. Les 420 millions de francs annuelles seraient couverts en augmentant les cotisations APG de 0.11 % du salaire – en fait seulement 0.06 % si nous prenons un compte la baisse des cotisations prévue de toute manière. C’est seulement 0.06 % du PIB. En termes « techniques » cela s’appelle une erreur d’arrondi.

Deux poids deux mesures

Mais les opposants craignent un poids trop lourd pour l’économie. A les entendre, le fait qu’un employé prennent deux congés de 20 jours chacun durant sa carrière (modulables avec son employeur) serait insupportable. En revanche, qu’il passe 3 fois plus de jours dans des cours de répétion non-modulables, à raison de 6 cours de 19 jours (6 fois plus de temps sous les drapeaux si nous considérons aussi l’école de recrue) ne semble pas poser le moindre problème. S’il grade, le contraste est encore plus saisissant. Il y a des logiques qui m’échappent…

En fait nos politiciens ont semble-t-il trouvé une recette miracle pour booster la compétitivité de nos entreprises. Avec 61’570 naissances par années, l’économie perdrait 1.2 millions de journées à cause du projet parental. Elle en perd 5 fois plus (près de 6 million) à cause du service militaire. Il suffit donc de réduire les cours de répétition pour libérer nos entreprises d’un poids écrasant. Bon, je ne retiens pas mon souffle en attendant que cela se produise.

Un peu de vision S.V.P

Tous les pays européens ont une forme de congé paternité, en particulier les pays nordiques dont l’économie ne s’en porte pas plus mal. Au lieu de faire un geste en faveur d’une meilleure répartition des charges familiales entre hommes et femmes, le monde politique reste enfermé dans une attitude de comptable angoissé. Quel gâchis, notre pays peut faire nettement mieux.

Cédric Tille

Cédric Tille est professeur d'économie à l'Institut des IHEID de Genève depuis 2007. Il a auparavant travaillé pendant neuf ans comme économiste chercheur à la Federal Reserve Bank of New York. Il est spécialiste des questions macroéconomiques, en particulier des politiques monétaires et budgétaires et des dimensions internationales comme les flux financiers.

19 réponses à “Congé paternité et service militaire

  1. Très bel éclairage économique !

    Comme pour les pères divorcés, malheureusement, on nous considère souvent comme des porte-monnaies sur pattes.

    J’aimerais bien savoir combien d’hommes au Parlement sont des pères divorcés.

    1. Merci pour le commentaire. Une modernisation de la vision des assurances publiques et autres institutions étatiques pour les mettre en phase avec l’évolution de la société est effectivement un grand chantier dans notre pays.
      Meilleures salutations
      Cédric Tille

  2. Les femmes désirent davantage d’égalité. Cela passe aussi par ce congé paternité minimal de 20 jours.
    1 jour c’est minable, tout simplement et terriblement minable!

  3. Bonjour, j’ai trois questions :
    Combien de jours avez-vous passé sous les drapeaux et sous quel grade ?
    Est-ce les nouveaux papas qui seront mobilisés en cas de catastrophes naturelles, manifestations de toutes sortes, et juste au cas où défendre notre territoire ?
    Ma grande crainte se précise, que des intellectuels tels que vous soient placés au sein de l’armée, avec un cerveau lourd de théories et zéro instinct.

    1. Chère Madame,
      Pour votre première question, si je prends volontiers part à une discussion respectueuse avec des gens d’avis contraires au mien, je ne réponds pas aux interrogatoires.
      Pour la deuxième, permettez-moi de clarifier le concept d’ironie. Le propos n’est pas d’être d’accord avec le service militaire / PV ou non, mais de souligner que si les opposants au congé paternité sont réellement soucieux du coût la cohérence leur imposerait de se préoccuper du coût du service. Pour ma part le coût financier du service ne me pose pas spécialement problème, et donc le congé paternité m’en pose encore moins. Position cohérente s’il en est.
      Quand aux intellectuels, il est vrai que je ne corresponds pas – mais alors pas du tout – au profil d’une personne qui se contente d’exécuter un ordre en disant “présent compris” sans réflechir par lui même.
      Meilleures salutations
      Cédric Tille

  4. Si je suis d’accord que faire des économies sur le congé paternité est un fausse bonne idée et un bien mauvais calcul, je trouve le parallèle avec le service militaire totalement hors propos.

    Si la plus value d’un congé paternité et à 99% personnelle, la plus value du service militaire est totalement différente pour l’économie :
    – des gens résistants au stress
    – des cadres bien formés
    – des investissements dans l’économie
    – une meilleure sécurité dans des cas exceptionnels (et donc une plus grande garantie de stabilité)

    Je vous conseille d’ailleurs la lecture suivante :
    https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-45751.html

    Je pense que nous avons bien d’autres institutions sociales qui n’apportent rien à l’économie et où l’Etat pourrait économiser.

    1. Cher Monsieur,
      Merci pour votre commentaire. Mon propos n’est pas que le coût de l’armée soit excessif. La part des dépenses publiques et du PIB allant à la sécurité est modérée, et a baissé depuis la fin de la guerre froide (en Suisse comme allieurs).
      La question est donc de comparer le coût au service prodigué par l’armée ou par le congé parental. Les bénéfices de ce dernier n’est pas seulement personnel. Par exemple cela permet aux pères de soutenir les mères dans l’activité domestique, ce qui aide pour les perspectives de ces dernières. Etant donné que la maternité est un gros facteur d’interruption de carrière (et donc d’inégalité salariale) ce soutient est bénéfique. Bien entendu il est encore mieux de renforcer d’autres mesures comme l’acceuil en crêche.
      Pour que l’argumentaire des opposants au congé paternité soit valable, à savoir un coût excessif pour le congé mais un coût tous à fait supportable pour le service militaire, il faudrait que la valeur des service prodigués par le service militaire soit très largement supérieur à celui prodigué par le congé. Je ne partage pas cette avis.
      Pour ce qui est du document du conseil fédéral dont vous indiquez le lien, je suis tout à fait d’accord que des service comme la sécurité lors du WEF sont plus efficacement fournis par l’armée. C’est bien là une fonction régalienne par excellence. Le document souligne également que les dépenses publiques dans l’armée soutiennent l’activité économique au delà. Certes, mais alors pourquoi le monde politique est-il beaucoup moins enclin à faire ce même argument pour les dépenses publiques en général, préférant plutôt une politique de rigueur? Cela n’est pas très rigoureux je trouve. On ne peut pas soutenir qu’un franc dépensé dans l’armée soutient l’activité économique, et en même temps que le même franc dépensé dans d’autres secteurs d’activité publiques ne soit pas tout autant bénéfique.
      Meilleures salutations
      Cédric Tille

    2. Bonjour Jean S.
      Je suis désolé mais je trouve vos arguments un peu courts.
      – L’armée ne développe pas forcément des gens résistants au stress, la résistance au stress est une qualité intrinsèque et ceux qu ne l’ont pas vivent de très mauvais moments à l’armée.
      – Des cades formés avec les méthodes des années 60 qui ne sont plus du tout appréciées sur le marché actuel
      – Des investissements dans l’économie pas forcément plus rentables que d’autres actions ciblées.

      Il y a un gros soucis d’analyse quand vous dites “nous avons bien d’autres institutions sociales qui n’apportent rien à l’économie et où l’Etat pourrait économiser”.
      En fait l’argent investi dans des actions de type social sont justement celles qui rapportent le plus à l’économie. Si on prends le cas de quelqu’un qui touche l’aide social, théoriquement 100% de l’argent qu’il reçoit est réinvesti dans l’économie vu qu’on lui donne le stricte nécessaire pour “survivre”.
      Par contre les subventions aux riches ou les abaissements d’impôts ciblés pour ceux-ci sont infiniment moins rentables, car elles servent juste à entasser de l’argent sur des comptes en banque : l’argent est capté et ne reviens plus dans l’économie !
      Il a été démonté que la théorie du ruissellement ne fonctionne pas du tout, c’est simplement une vue de l’esprit que les plus riches utilisent comme rhétorique pour justifier tout et n’importe quoi.
      N’hésitez pas à vous renseigner correctement, les pauvres se gèrent nettement mieux que les riches, étant donnée qu’il n’ont pas de marge de manœuvre.

      1. Cher Monsieur Chassot,
        Merci pour votre commentaire. Notez que le propos de mon article n’est pas d’analyser si les dépenses de service militaire sont plus efficientes (économiquement parlant) que d’autres dépenses. C’est un sujet très intéressant, mais aussi très large et qui dépasse le cadre de mon article.
        Mon propos est plus ciblé, à savoir que le coût du congé paternité est bien plus faible que le coût du service, et que si ce dernier ne pose pas problème, alors le congé ne devrait pas poser problème non plus.
        Meilleures salutations
        Cédric

        1. En ce qui me concerne je suis tout à fait favorable à un congé paternité. Le système tel qu’il se pratique dans les pays nordiques avec 1an de congé partageable à volonté entre le père et la mère est ici très utopique, déjà 4 semaines serait une grand victoire.
          Les gens qui usent et abusent du pouvoir politique pour défendre leurs intérêts financiers se servent toujours d’épouvantails pour nous empêcher d’aller dans le sens de l’intérêt du peuple en nous forçant à voter dans l’intérêt des élites.
          Les sempiternelles rengaines du type “l’économie ne s’en remettra pas” sont utilisées à tour de bras pour noyer le poisson et quand ça ne les arrange pas, on tempère, on nuance, on fait de la rhétorique, on tente de décrédibiliser l’interlocuteur, on cherche un bouc émissaire. Bref si nos élus étaient au dessus de tous soupçons au niveau des conflits d’intérêts, ils pourraient se permettre de dire la vérité et d’agir en conséquence.
          Tant que ça ne sera pas le cas, les discours officiels et les avis des partis seront toujours bourrés d’incohérences que chacun, au gré de ses compétences et de ses centres d’intérêt pourra, le cas échéant exposer au grand public.
          Un grand merci à vous d’avoir exposé le cas qui nous occupe. Malheureusement ce n’est que la pointe de l’iceberg et ça requiert une vigilance et une acuité des sens de tous les instants.

  5. Merci beaucoup pour cet article qui a le mérite d’être claire et concis. Je partage tout à fait votre avis et trouve tout à fait absurde de vivre dans l’un des pays les plus riche du monde et que le parlement trouve le congé paternité est trop coûteux.
    J’avais une question concernant le fonctionnement de notre politique, je ne suis pas sûr, peut-être naïvement, d’avoir saisi pourquoi ce texte avait pu être refusé. Lorsqu’une initiative récolte suffisamment de signatures je pensais qu’elle passait automatiquement en votation, pourquoi n’est-ce pas le cas ici? Merci

    1. Chère Madame,
      Merci pour votre commentaire. Le refus du Conseil Fédérale ne supprime pas la votation. Comme toute initiative, le congé paternité est analysé par le Conseil Fédéral qui peut décider d’être d’accord avec le projet ou non, et éventuellement de proposer un contre-projet. Quel que soit l’avis du Conseil Fédéral, l’objet ira ensuite devant le Parlement puis le peuple en votation.
      Meilleures salutations
      Cédric Tille

  6. L’argument économique est très bon, car il montre par les chiffre que la peut du “surcoût” est irrationnelle.

    Mais de ce que j’ai constaté au court de ces dernières décennies, les Suisse ne votent pas par la raison mais par l’emotion.
    Je pense que si on était amenés à devoir convaincre les citoyens du bien-fondé de la démarche, j’aurais plaisir à leur parler de ma semaine de congé offerte par mon employeur durant laquelle j’ai pu préparer la maison à recevoir un nouvel arrivant, ainsi que partage des moments précieux et uniques avec ma femme et ma fille.
    Je souhaites à chacun de pouvoir vivre ça.
    Il ne serait pas trop difficile de démontrer, je crois, que la possibilité de passer du temps avec ses deux parents dans les premiers jours de sa vie, soit bénéfique au développement d’un enfant et de ses relations sociales.

    1. Merci pour votre commentaire. Le surcoût est en effet très limité, et ne doit pas constituer un blocage dans les choix politiques.
      Meilleures salutations
      Cédric Tille

  7. Merci de ton engagement Cedric. Il faut que les choses bougent dans ce pays. L’OCDE publie de tres interessants comparatifs ou l’on voit que la Suisse occupe une place peu enviable de dernier de classe (ou presque) en matiere de conge paternite ET maternité et depenses pour structures accueil apres scolaire – correle bien entendu avec participation plein temps des femmes au marche du travail. Une belle perte pour le potentiel de croissance du pays et le financement a long terme des assurances sociales. Bien a toi

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