Un dédain choquant envers les retraités modestes

Les opposants à la réforme des retraites s’offusquent qu’un tiers des bénéficiaires de l’AVS soient domiciliés à l’étranger, arguant que ces retraités ne font pas bénéficier l’économie suisse de leurs dépenses. L’impact économique est cependant minime, et ces vives critiques montrent bien que le 24 septembre nous voterons essentiellement sur une vision de société.

Les rentes payées à l’étranger sont minimes

Si les rentiers domiciliés hors de nos frontières représentent un tiers des bénéficiaires, ils ne touchent que 14 pourcent des prestations versées par l’AVS (13 pourcent si nous nous concentrons sur les seules rentes vieillesse). En d’autres termes, la rente moyenne perçue à l’étranger est nettement plus faible que celle perçue en Suisse (563 francs par mois contre 1’818 francs). Les personnes concernées ont donc travaillé dans des emplois à faible salaire, ou n’ont passé que quelques années à travailler et cotiser en Suisse. C’est leur droit le plus strict de vivre leurs années de retraite ou bon leur semble.

Le montant total des rentes AVS payées hors Suisse (5’968 millions de francs par année) est une goutte d’eau par rapport à notre économie, ne représentant que 0.9 pourcent du PIB. En fait, les dépenses de tourisme des Suisses voyageant à l’étranger sont trois fois plus importantes (les importations de service tourisme représentent 15’768 millions de francs). Or aucun politicien ne jette la pierre aux vacanciers suisses qui vont chercher le soleil sous d’autres cieux.

Au fonds, nous ne parlons pas vraiment d’argent, n’est-ce pas ?

Il est frappant de lire qu’un politicien regrette que les gens aillent vivre une « belle retraite » hors de nos frontières. En quoi au juste le fait de vivre dans la dignité est-il un problème ?

Cette remarque a au moins le mérite de la clarté. Les opposants à la hausse mensuelle de 70 francs des rentes AVS sont-ils vraiment soucieux des aspects financiers, ou considèrent-ils au fonds que les personnes touchant des rentes auraient comme un devoir de vivre chichement ?

Nous voterons donc bien sur un choix de société, à savoir la place que les personnes avec un revenu modeste ont dans notre pays. C’est clairement un choix, et non pas une contrainte. Il est vrai que le système de retraite doit être ajusté, mais il faut encore et toujours rappeler que la Suisse est un pays prospère qui peut pleinement se permettre les ajustements prévus par la réforme.

Cédric Tille

Cédric Tille est professeur d'économie à l'Institut des IHEID de Genève depuis 2007. Il a auparavant travaillé pendant neuf ans comme économiste chercheur à la Federal Reserve Bank of New York. Il est spécialiste des questions macroéconomiques, en particulier des politiques monétaires et budgétaires et des dimensions internationales comme les flux financiers.

17 réponses à “Un dédain choquant envers les retraités modestes

  1. Il me semble que vous omettez que si ces retraités habitaient en Suisse ils ne pourraient vivre sans les retraites complémentaires eux aussi aux frais de la société suisse. Je leur suis donc. reconnaissante de ne pas le faire. Par ailleurs je considère que ce n’est que justice qu’ils bénéficient de leur travail.

    1. Chère Madame,
      Je vous remercie pour votre commentaire. Effectivement, le fait que ces retraités vivent dans des pays où la vie est moins chère que chez nous contribue à limiter les dépenses de l’AVS.
      Meilleures salutations
      Cédric Tille

  2. Il est regrettable de s’en prendre à des personnes qui ont travaillé toute leurs vie. Il ne faut pas oublier que la plupart des retraités paient plus d’impôts que des travailleurs. Ma mère paie plus de 1000chf par mois. Il faut aussi réfléchir sur le fait que certains retraités ne peuvent pas aller chez le dentiste ou le pédicure et j’en passe. Alors que le nombre de cas sociaux augmente et de faux réfugiés, je pense que se sont ces derniers qui coûte le plus à la société. Certain se vente, de gagner plus que des personnes qui travaille, alors que nous les travailleurs ont nous pressent comme des citrons. Refuser ces 70chf c’est une honte.

    1. Chère Madame,
      Merci pour votre commentaire. Je partage votre observation que – hélas – bien de nos retraités vivent chichement.
      Je ne vous suis toutefois pas sur deux points.
      Premièrement, vous soulignez le coût des “cas sociaux” et “faux réfugiés”. Je rappelle que le coût de l’asile est très faible par rapport aux dépenses publiques (je mets le lien en fin de message sur un de mes billets sur ce sujet). Ensuite, ce n’est pas en mettant nos retraités en opposition avec les bénéficiaires d’autres prestations que nous ferons avancer les choses, au contraire. De plus, la hausse des prestations de l’aide sociale est en partie due au fait que d’autres partie du système de protection sociale sont devenues plus restrictives (par exemple l’assurance chômage). Y-a-t’il des abus de certains bénéficiaires de prestations? C’est le contraire qui m’étonnerait: vu le nombre de personnes impliquées il y a forcément quelques abus, mais je n’ai jamais vu la moindre preuve que ceci serait un problème endémique.
      Deuxièmement, je ne vois pas en quoi refuser l’augmentation de 70 francs arrangerait la situation. Peut être trouvez-vous que le montant est trop faible. Je comprends tout à fait ce point de vue, et aurais préféré l’augmentation prévue par l’initiative AVS plus. Mais cette option a clairement été refusée par le peuple, dont acte. Refuser les 70 francs n’ouvrira par la porte à des hausses plus généreuses. Au contraire, les opposant auront beau jeu de dire “les Suisses ont refusé 70 francs, donc vous pensez bien qu’ils ne vont en tout cas pas accepter plus”.
      Meilleures salutations
      Cédric Tille

      Billet sur le coût de l’asile (4 juillet 2016): https://blogs.letemps.ch/cedric-tille/2016/07/04/remettre-le-cout-de-lasile-en-perspective/

  3. Cher Monsieur, je ne partage pas votre point de vue, et ne crois pas que ce soit du dédain envers les retraités modestes. Les 70 francs mensuels qui sont dans toutes les bouches, sont destinés non aux rentiers actuels, mais aux rentiers futurs, dont le taux de conversion du 2e pilier obligatoire baissera progressivement. Je fais partie de cette génération et pense que ces 70 francs ne sont pas dus a ma génération qui bénéficiera déjà de la dégressivité de la baisse du taux de conversion… ou qui la subi déjà pour le 2e pilier sur-obligatoire. Les 70 francs sont une forme d'”AVS plus” que nous avons refusé l’an dernier.
    Les arguments quant aux rentiers à l’étranger sont par contre ridicules et sont un distracteur du vrai sujet.

    1. Cher Monsieur,
      Merci pour votre commentaire. Il est tout à fait exact que les 70 francs affecteront les retraités futurs, en compensation de la réduction des prestations du 2ème pilier.
      D’autres compensations auraient-elles été préférables? Je pense tout d’abord que simplement augmenter les cotisations au deuxième pilier aurait été trop étroit au vu de la baisse durable des taux de rendements. Ces rendements étaient nettement plus élevés par le passé, ce qui rendait le 2ème pilier attractif. La baisse des rendements demande de déplacer le curseur vers le 1er pilier, d’où les 70 francs.
      Il est vrai que les 70 francs se rapprochent de la proposition AVS plus. Notez cependant que les montants sont nettement moins élevés que les 10% proposés alors. En outre, un montant fixe est plus égalitaire qu’un pourcentage fixe, lequel bénéficie plus aux rentes les plus larges (sur ce point les 70 francs sont plus en faveur des petites rentes que ne l’était AVS plus). Je concède que le système des 70 francs n’est pas parfait car il est distribué à tous les bénéficiaires plutôt que d’être concentrés sur les rentes les plus faibles. Cette imperfection n’est pas à mon sens un problème fatal avec la réforme proposée.
      Permettez moi également de relever que l’argument comme quoi la réforme est injuste car les retraités actuels ne bénéficieront pas des 70 francs est pour le moins “étonnant”. En effet, je n’ai pas souvenir que les politiciens soulevant vivement cet argument aient proposé d’étendre ces prestations à tous les retraités lors des discussions au parlement.
      Pour finir, j’ai été interpellé par le côté vif de la critique envers les retraites payées à l’étranger. Les montants concernés sont secondaires, et donc je me demande pourquoi une critique aussi marquée. J’en déduis, comme indiqué dans mon billet, que nous sommes en fait sur une discussion plus fondamentale sur notre société.
      Meilleures salutations
      Cédric Tille

  4. Cédric Tille,

    Merci pour votre article qui est sans passion et montre les chiffres comme ils sont. J’en déduit que les retraités AVS qui sont à l’étranger sont avant tout des étrangers qui sont venus travailler chez nous quelques années, ont de ce fait contribués au développement de la Suisse et sont rentrés chez eux ensuite.

    1. Cher Monsieur,
      Merci pour votre commentaire. Effectivement, le profil des retraités vivant à l’étranger correspond à celui que vous décrivez.
      Meilleures salutations
      Cédric Tille

  5. Cher Monsieur,
    Oui 2.3 millions de retraités actuel dont 30% ont que l’AVS ou petite rente vivent dans la précarité.Il y en a qui vivent à l’étranger comme bon leur semble, mais il y une grande partie qui vit reclus chez eux sans se pouvoir offrir un peu des vacances, cinéma, théâtre, un repas au restaurant.
    Maintenant avec la réforme PV2020 ils n’ont pas d’augmentation, juste TVA et hausses caisse maladie!
    Comme il en a beaucoup qui n’ont que l’AVs (dont 500.000 femmes) ou avec petite rente ils ne peuvent pas profiter de non-baisse de taux de conversion……
    Mais pour eux pas d’augmentation AVS 70/225 Fr ; c’est une grande injustice et un AVS à 2 vitesses.
    Par contre on va augmenter les futurs retraités qui n’ont pas de baisse de conversion (45-64 ans) et qui n’ont souvent pas besoin de plus d’AVS p.e fonctionnaires d’état et communes qui ont des confortables rentes….Selon certains analyses les faibles revenus pourront pas profiter beaucoup de flexibilité de cette réforme et la déduction de coordination va profiter aux employeurs pour baisser le taux de travail des femmes dans certaines branches…..donc pas très heureux tout cela…..avec mes meilleures salutations.

    1. Chère Madame,
      Merci pour votre commentaire. Effectivement la réforme est imparfaite et n’aide pas toutes celles et ceux qui en ont besoin. Cependant, la petite hausse des rentes AVS pour les nouveaux retraités est le maximum que le parlement pouvait accepter, comme en témoigne le passage de la loi à 1 voix de majorité. On peut le regretter, mais avec le rejet net d’AVS plus par le peuple, c’est le maximum qui “passe” politiquement.
      Meilleures salutations
      Cédric Tille

  6. Si ces personnes étaient restées en Suisse elles coûteraient entre 10’000 a 65 ans et 100’000.- a 100 ans au travers de la LAMAL. Donc c’est un très bon deal pour nous.

    1. Cher Monsieur
      Merci pour votre commentaire. Effectivement, si on veut faire le calcul du coût des personnes, il faut alors prendre tous les aspects en compte.
      Meilleures salutations
      Cédric Tille

  7. De nombreux retraités AVS dont les moyens financiers sont misérables doivent malheureusement recourir à une aide qui vient compléter leur rente AVS. Cette aide appelée Caisse Complémentaire AVS n’est pas automatique, il faut la demander, elle obéit à des règles très compliquées, tatillonnes et insidieuses raisons pour lesquelles des retraités ayant droit à cette aide renoncent parfois à en faire la demande. Voilà la situation actuelle en Suisse. Donc si des retraités vivent à l’étranger sans toucher de rentes complémentaires bravo ce qui démontre la complète inadéquation de notre système de rente avec le coût de la vie en Suisse. Un réel progrès serait d’instaurer l’automaticité de la rente complémentaire à chacun ne touchant pas une rente minimum. En plus il faudrait revoir le système de calcul des rentes complémentaires qui fait qu’à chaque augmentation de l’AVS les rentes complémentaires diminuent ce qui est un non sens au vu des diverses augmentations du coût de la vie.

    1. Cher Monsieur,
      Merci pour votre commentaire. Etant donné que la grande majorité des retraités vivant à l’étranger sont des personnes de nationalité étrangère, je présume que le facteur déterminant pour elles est de revenir au pays, plutôt que des aspects financiers. Certes, ce n’est là qu’une conjecture car les données ne permettent pas de le dire de manière certaine, et il n’en demeure pas moins que le système des prestations complémentaires peut être amélioré.
      Meilleures salutations
      Cédric Tille

  8. Bonjour Monsieur Tille,
    Les passions sont retombées, et suite au refus (malheureux à mon avis) de l’initiative “Prévoyance 2020” l’ouvrage devra être remis sur le métier…
    Entrant moi-même dans la catégorie des retraités modestes que vous décrivez au début de ce blog, il serait intéressant de connaître les causes qui font qu’un couple de retraités voit ses revenus devenir insuffisants (petite retraite) alors que tout le reste augmente. Une de ces causes est la conséquence de la perte de la part patronale versée à la caisse de retraite lors du changement d’employeur. En effet, la loi désignée sous le nom de LFLP n’est pas entrée en vigueur tout de suite. Je me pose souvent la question suivante: où est passé cet argent avant l’instauration du libre-passage ?
    Un grand merci pour votre disponibilité et avec mes cordiales salutations

    J.-L. Monnard

    1. Bonjour Monsieur Monnard,
      Merci pour votre commentaire. Un des points que je trouve effectivement trop peu mentionné dans le débat est le problème de la fragmentation des caisses de pension. Cela conduit à de forts coûts administratifs, des coûts lors de changement de travail, et même des fiascos retentissants dû à un manque de professionalisme (comme le cas du Fonds de prévoyance de l’Association des communes de la Sarine pour les services médico-sociaux jugé récemment à Fribourg).
      Espérons que ces aspects seront mieux examinés à l’avenir.
      Avec mes meilleures salutations
      Cédric Tille

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