Faut-il un financement public de la presse ?

La disparition soudaine de l’Hebdo est un choc qui interpelle sur la richesse de l’offre médiatique dans les années à venir. Tout d’abord, je tiens à exprimer ma reconnaissance à toutes celles et ceux qui y ont travaillé pour offrir un angle critique et informé durant toutes ces années. Disposer de voix qui remettent les certitudes en question sur base d’analyses solides est un élément crucial dans une société. Un grand merci pour votre travail.

Le cas de l’Hebdo n’est hélas pas isolé et soulève la question du maintien d’une offre médiatique suffisamment riche. La migration des revenus publicitaires vers des plateformes spécialisées déconnectées de l’activité journalistique implique que le modèle actuel de financement de la presse doit être revu. En particulier, faut-il impliquer les pouvoirs publics ?

D’un point de vue économique la question est de savoir si l’activité journalistique présente des « externalités », c’est-à-dire un impact sur la société plus large que la simple somme des impacts individuels sur les lecteurs. Ceci est je pense le cas. La présence de contributions critiques alimente le débat public, lequel est essentiel au fonctionnement d’une démocratie. Lorsqu’un membre de mon entourage lit un point de vue dans un journal et l’amène dans la discussion, je bénéficie du fait d’y être exposé (même si je suis en désaccord avec le point de vue en question) sans avoir eu besoin de payer un abonnement au dit journal.

De ce point de vue la presse est similaire à la culture. Nous acceptons qu’une offre culturelle diversifiée soit utile à la richesse de notre société, quand bien même le prix des billets de spectacles ne suffit de loin pas à les financer. L’apport de fonds publics, qui se complètent mutuellement avec ceux de mécènes privés, fait partie de la pratique courante.

Pourquoi alors ne pas appliquer ce modèle à la presse ? Soulignons qu’il n’implique pas que les pouvoirs publics soient la seule source de financement. Leur rôle serait plutôt de compléter des financements privés. La principale objection est que les pouvoirs publics ne doivent pas dicter la ligne éditoriale. C’est un point pertinent, mais il s’applique aussi au financement privé (la forte mainmise de Berlusconi sur les médias italiens ne laisse pas un bon souvenir). En outre il est tout à fait possible de gérer cet point en chargeant un comité de l’allocation des subsides sur base de critères clairs, comme le besoin d’une offre diversifiée, ou le nombre de lecteurs afin d’éviter de financer des publications qui personne ne lit. Après tout, l’état ne décide pas des programmations des théâtres qu’il soutient financièrement.

Cédric Tille

Cédric Tille est professeur d'économie à l'Institut des IHEID de Genève depuis 2007. Il a auparavant travaillé pendant neuf ans comme économiste chercheur à la Federal Reserve Bank of New York. Il est spécialiste des questions macroéconomiques, en particulier des politiques monétaires et budgétaires et des dimensions internationales comme les flux financiers.

4 réponses à “Faut-il un financement public de la presse ?

  1. Monsieur, je suis tombé sur un article sur le site theconversion.com de Stephen Smith le 6 décembre 2017

    https://theconversation.com/the-news-industry-has-always-needed-government-support-a-look-back-to-the-1800s-87299

    qui va dans le sens de votre article. Son exemple est celui des journaux canadiens et étasuniens vers 1830, qui se voyaient en tant que “the printing fraternity, ever the ardent friends of Liberty … no matter what the barriers”. On oublie que les débats d’aujourd’hui ressemblent fortement à ceux du passé.

    1. Cher Monsieur Bammmerlin,
      Merci pour cet intéressant article. Effectivement la problématique de production de l’information ne date pas d’aujourd’hui.
      Meilleures salutations
      Cédric Tille

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