Où en est le marché de l’emploi américain ?

Le marché de l’emploi aux Etats-Unis s’est-il complètement remis de la crise ? La réponse à cette question joue un rôle central dans les décisions de la Réserve Fédérale, laquelle ne remontera les taux qu’une fois qu’elle sera confiante de la solidité de l’emploi.

La force du renforcement du marché depuis la crise est discutable, car les différentes mesures statistiques donnent une image contrastée. Toutefois ce flou est dû en grande partie à des développements démographiques. Le renforcement est bien réel une fois que nous prenons ceux-ci en compte.

A première vue le marché semble être solide, le taux de chômage étant maintenant revenu à son niveau d’avant la crise.

Dès lors, pourquoi la Fed hésite-t-elle encore ? Il convient de rappeler que le taux de chômage n’est qu’un indicateur du marché de l’emploi parmi d’autres. En particulier, il offre une vision faussée si beaucoup de personnes sans emploi se sont découragées et renoncent à chercher un travail. Plus précisément, la population en âge de travailler est scindée en trois groupes : 1) les gens qui ont un emploi (ou travaillent comme indépendant), 2) les gens qui n’ont pas d’emploi et en cherchent un (les chômeurs), 3) les gens qui n’ont pas d’emploi et n’en cherchent pas. Le taux de chômage ignore le dernier groupe car il représente le ratio entre le chômage (groupe 2) et la population active (groupes 1+2). Après une longue récession, il est possible que le groupe 3 inclue un nombre substantiel de personnes temporairement découragées, lesquelles se remettraient à chercher un emploi si l’économie repartait clairement.

Il convient donc de compléter le taux de chômage par deux autres mesures. La première est le taux de participation qui indique dans quelle mesure la population dans son ensemble est soit occupée soit en recherche d’emploi (il s’agit du ratio entre groupes 1+2 et population). La seconde mesure est le taux de non-emploi qui montre la proportion de la population totale qui n’a pas d’emploi (le ratio entre groupe 2+3 et population). Ce taux de non-emploi n’est pas affecté par le problème de découragement décrit plus haut, contrairement au taux de chômage.[1]

Les deux figures ci-dessous montrent qu’une appréciation plus large de la situation montre que la crise n’a pas encore été complètement absorbée. Une part substantielle de la population américaine n’est en effet ni employée ni en recherche d’emploi : le taux de participation a fortement chuté, et le taux de non-emploi n’a rattrapé qu’une faible partie de sa hausse de 2009.

Un bémol substantiel à cette analyse et qu’elle considère que le marché du travail ne sera pleinement remis qu’une fois que tous les indicateurs auront retrouvé leurs valeurs d’avant la crise. Mais 2007 n’est pas le bon benchmark, car la structure de la population américaine a substantiellement changé. En particulier la population a vieillie, avec une hausse de la part des 55 ans et une baisse de la part des 25-55 ans. Comme les personnes dans ce dernier groupe ont un taux de participation à la vie active nettement plus élevé que les gens plus jeunes ou âgés, la transition démographique se répercute sur les indicateurs du marché de l’emploi.

Pour examiner cela de plus près, nous scindons la population en 14 groupes [2], et prenons le premier trimestre de 2007 comme point de référence. A partir de ce point, nous pouvons calculer deux taux de chômage alternatifs. Le premier capture l’effet conjoncturel. Il est calculé en laissant le taux de chômage de chaque groupe évoluer comme il l’a effectivement fait, mais en gardant la composition démographique de la population inchangée. Le second indique l’effet démographique, et en calculé en laissant la composition de la population changer mais en maintenant le taux de chômage de chaque groupe à sa valeur de 2007.

La figure ci-dessous montre le résultat de cette décomposition pour le taux de chômage. Elle inclut son évolution effective (ligne bleue), l’effet conjoncturel (ligne verte, qui maintient la composition démographique inchangée) et l’effet démographique (ligne rouge). Ce dernier est négligeable et le taux de chômage s’explique pleinement par l’effet.

Le constant est nettement différent lorsque nous effectuons la même démarche pour le taux de participation et le taux de non-emploi. L’effet démographique ne joue initialement qu’un rôle restreint (sans surprise), mais prend ensuite de l’ampleur. Il ne représente qu’un dixième de l’évolution du taux de non-emploi entre 2007 et 2010, mais près des trois-quarts de son évolution jusqu’à présent. L’écart entre les lignes bleues et rouges montre que si l’effet conjoncturel ne s’est pas encore pleinement résorbé il s’estompe néanmoins nettement.

En résumé, les Etats-Unis ont connu un changement démographique substantiel durant la crise. Ce changement affecte les indicateurs du marché de l’emploi, et il faut donc le prendre en compte. Nous constatons alors que le marché de l’emploi a presque complètement digéré la crise. Par conséquent il faut s’attendre à une reprise de la hausse des taux d’intérêts aux Etats-Unis une fois que se seront dissipées les incertitudes qui ont récemment freiné la Fed.

 

———————————————————————————————————————————————————————

[1] Les trois mesures sont liées comme suit :     taux de chômage = 1 – ( 1 – taux de non-emploi ) / (taux de participation)

[2] Hommes, femmes, tranches d’âges de 16-19 ans, 20-24 ans, 24-35 ans, 35-44 ans, 45-54 ans, 55-64 ans, 65 ans et plus.

 

Cédric Tille

Cédric Tille est professeur d'économie à l'Institut des IHEID de Genève depuis 2007. Il a auparavant travaillé pendant neuf ans comme économiste chercheur à la Federal Reserve Bank of New York. Il est spécialiste des questions macroéconomiques, en particulier des politiques monétaires et budgétaires et des dimensions internationales comme les flux financiers.