L’automatisation : une révolution bien modeste

Le développement technologique va-t-il chambouler le monde du travail au point de remettre complètement en question notre système de protection sociale ? Ce souci est très présent dans le débat sur le revenu de base inconditionnel, dont les partisans craignent que la robotisation n’amène un chômage de masse. Plus concrètement, une étude du WEF estime que « 7 millions d’emplois sont en danger dans les pays développés d’ici à 2020 ».

Voilà qui semble être un chiffre énorme et inquiétant. Mais il n’en est rien. Lorsque l’on considère les changements à l’échelle de plusieurs pays, tous les chiffres sont grands. Il convient donc de les mettre en perspective. 376 millions de personnes étaient employées en 2013 dans les principaux pays avancés (zone Euro, Etats-Unis, Royaume Uni et Japon), chiffre qui monte a 458 millions si on inclut le reste de l’Union Européenne, le Canada, l’Océanie et la Suisse. Les 7 millions d’emplois détruits par l’automatisation ne représentent donc qu’entre 1.5 et 2 pourcent du volume de l’emploi.

Ce chiffre est très modeste à plusieurs égards. Tout d’abord, le marché de l’emploi est toujours caractérisé par des flux de création et de destruction de postes qui sont nettement plus marqués. Ensuite, une simple récession entraîne des mouvements de l’emploi d’ampleur comparable à la « révolution » de l’automatisation, mouvements que l'assurance chômage est à même de gérer. Enfin, si la crise actuelle a conduit à un chômage très fort et persistent, notamment en Europe, cela n’a rien à voir avec l’automatisation. Ce chômage reflète deux causes. La première est la charge de régulation du marché du travail dans bien des pays, comme le code du travail byzantin en France. La seconde est la réponse inadéquate des politiques macroéconomiques, l’Europe ayant opté pour l’austérité budgétaire alors qu’une relance s’imposait. Si la réaction agressive des banques centrales a limité la casse, ces institutions ne sont pas omnipotentes.

Avant de vouloir chambouler de fonds en comble le fonctionnement du monde du travail et de l’état social, il faudrait plutôt s’assurer que les politiques macroéconomiques soient conduites de manière adéquate.

Cédric Tille

Cédric Tille est professeur d'économie à l'Institut des IHEID de Genève depuis 2007. Il a auparavant travaillé pendant neuf ans comme économiste chercheur à la Federal Reserve Bank of New York. Il est spécialiste des questions macroéconomiques, en particulier des politiques monétaires et budgétaires et des dimensions internationales comme les flux financiers.