Savoir « contenir » son émotion au travail…

Aujourd’hui, j’avais rendez-vous à la rédaction d’un magazine romand pour aller manger à midi avec 2 journalistes. Impossible d’entrer à la rédaction pour moi « étrangère » : entrée de l’immeuble fermée, il faut un code d’accès, puis entrée de la rédaction fermée aussi. Tout est bien sécurisé, déjà avant les terribles évènements de Paris me précise-t-on. Je sens la peur instinctive monter en moi suscitée par le drame de Charlie Hebdo. Nous sommes tous affectés par ce drame. Je demande à une des journalistes comment a-t-elle vécu ce jour tragique ? Elle me raconte que le matin de ce mercredi-là, toute son équipe était aussi en séance de rédaction. La réunion terminée, ils ont appris la nouvelle. D’abord c’est l’état de choc : c’est pas possible… tous tués ? Puis une sorte de détermination intérieure : il faut participer activement à médiatiser ce sujet. Exercice difficile : comment donner l’information avec professionnalisme, sous-entendu de façon neutre, tout en étant personnellement concernée ? Les médias parlent des leurs qui ont été sauvagement assassinés dans l’exercice de leur métier. La journaliste me dit avoir oscillé entre être affectée par ses émotions et rester professionnelle. Elle a su assumer son rôle toute la journée. Ce n’est qu’une fois chez elle, le soir, auprès de ses proches, qu’elle a pleuré, qu’elle s’est autorisée à vivre son émotion librement.

Cette femme a su contenir son émotion : « Je reviens à moi un instant, j’accepte de sentir l’émotion, je prends le temps de l’identifier, de la reconnaître, je diffère son expression et je l’évacue plus tard, au bon endroit et de façon saine ».

Elle s’est probablement appuyée sur son ressenti pour trouver la force de travailler efficacement durant cette sombre journée. Le soir, une fois à la maison, elle lâche son rôle, elle peut être vulnérable. Entourée de ses proches, en confiance, elle prend le temps et l’espace pour sentir et vivre pleinement les émotions qu’elle ne pouvait pas exprimer dans l’exercice de son métier.

Il est ainsi tout à fait possible de différer l’expression des émotions sans conséquences négatives sur notre équilibre. Lorsque, au contraire, les émotions sont réprimées, niées, non assumées, si la personne ne prend pas le temps ni l’espace pour sentir et digérer ses émotions, elles vont s’accumuler. Elles risquent alors de se manifester par la confusion et l’inefficacité ou pire par des passages à l’acte déplacés : coups tordus, abus de confiance, ironie, résistance au changement, insensibilité relationnelle, attitude négative et dégradante avec les autres. Un désastre pour une collaboration efficace et l’ambiance d’équipe !

Le cadre donné à notre vie émotionnelle au travail est très exigeant : il faut savoir s’affirmer, argumenter, être motivé, parfois être discret, encaisser les coups sans réagir.

Savoir contenir ses émotions au travail sans les nier ni les réprimer est une gestion saine et respectueuse de l’être humain que nous restons au-delà de notre rôle professionnel.

Catherine Vasey

Catherine Vasey, psychologue et gestalt-thérapeute, auteur, spécialiste du burn-out depuis 2000. Elle anime des séminaires de prévention du burn-out en entreprise, donne des conférences, traite les patients en burn-out et accompagne aussi les professionnels de la santé en supervision dans son cabinet à Lausanne, en Suisse. Références : Le site de Catherine Vasey : www.noburnout.ch Publications : « Comment rester vivant au travail ? Guide pour sortir du burn-out », C.Vasey, éd. Dunod 2017 « Burn-out le détecter et le prévenir », C. Vasey, éd. Jouvence 2015 « Vivant au travail », jeu de cartes, C. Vasey, éd. Noburnout 2012