Le charme (très, très) discret du nouveau président du Parlement européen

Dire que le nouveau Président du Parlement européen élu hier à Strasbourg est peu connu sous nos latitudes est un euphémisme. Dire qu’il ne fait pas vraiment rêver l’est tout autant. Car Antonio Tajani, 63 ans, n’a pas vraiment le profil ni la volonté d’un révolutionnaire européen. Loin de là.  

Tout s’annonçait pourtant plutôt bien ces dernières semaines: Guy Verhofstadt, fédéraliste convaincu prônant des réformes de fond au sein de l’UE, avait annoncé sa candidature et semblait relativement bien placé pour l’emporter. Puis, patatras, il s’est lui-même tiré une balle dans le pied, ce qui l'a conduit à se retirer de la course juste avant le scrutin. En effet, l’ancien Premier Ministre Belge a tenté à la rentrée de janvier de s’allier avec le Mouvement 5 Etoiles de Beppe Grillo – connu pour ses positions nationalistes et anti-euro – s'attirant ainsi les foudres de son parti et se privant de toute chance d’accéder à la présidence.

C’est donc un homme âgé et, selon ses collègues parlementaires, peu charismatique, qui occupera désormais le plus haut siège du Parlement européen. Autant dire une très mauvaise nouvelle pour l’UE, qui, en ces temps de doutes et de montée des extrêmes, doit pouvoir s'appuyer sur des figures fortes et dynamiques, capables de porter le projet et de le réinventer. Catégorie dans laquelle M. Tajani ne peut manifestement pas être compté. Ce d’autant plus qu’il traîne quelques casseroles dont sa fonction d’ancien porte-parole de Silvio Berlusconi et son engagement en faveur de la monarchie dans l’Italie de sa jeunesse, ainsi que son inaction dans le cadre de l’affaire des moteurs truqués de Volkswagen alors qu’il était Commissaire européen à l’industrie. Sans parler de ses positions en faveur de l’austérité et des politiques anti-sociales. Seuls points positifs, il préconise le maintien du siège du Parlement à Strasbourg – garantie de la séparation des pouvoirs au sein de l’UE – et ne compte que peu d’ennemis à Bruxelles. Fantastique.

Dans un tel contexte, il ne reste plus qu’à espérer que M. Tajani crée la surprise et incarne réellement «le président de tous les députés» comme il l’a déclaré et, surtout, le digne représentant de tous les Européens. Quant à sa promesse de mettre «les vingt ans de mon expérience de la vie politique européenne à notre service», pas sûr qu’elle soit synonyme de grands changements à l’ordre établi…

Valls et Peillon décevants sur le plan européen

Article écrit pour le magazine eurocitoyen Le Taurillon.

Dans le cadre de la primaire socialiste en France, Vincent Peillon et Manuel Valls ont présenté mardi 3 janvier leurs programmes respectifs, dont un volet sur l’Europe. Forts d’une dizaine de pages chacun, ces deux chapitres recensent des propositions qui, outre leur manque d’ambition européenne réelle, sont très similaires.

Il est même plus approprié de parler de nuances d’opinion que de réelles divergences entre les deux politiciens. Et ce même si Vincent Peillon mise sur des réformes essentiellement économiques et un « new deal européen », tandis que Manuel Valls insiste sur la nécessité de recouvrer un consensus européen par une « conférence de refondation ».

Priorité à la résolution de la crise migratoire

Les deux socialistes placent ainsi la résolution de la crise migratoire et la lutte contre le terrorisme au centre de leur projet européen. Tous deux souhaitent pour cela instaurer des contrôles systématiques aux frontières extérieures de l’UE, un partage de fichiers entre les Etats membres, ainsi qu’un renforcement de la politique migratoire de l’UE, le droit d’asile étant, à leurs yeux, une valeur européenne fondamentale. A cela, M. Peillon adjoint la nécessité de créer un corridor humanitaire et de lutter contre le financement du terrorisme, tandis que M. Valls veut créer une Europe de la défense et faire en sorte que chaque Etat membre participe de manière égale à l’effort d’accueil des réfugiés.

Parallèlement, les deux anciens ministres préconisent de « sortir des ambiguïtés de la politique européenne » — sans vraiment définir ce qu’ils entendent par là — prônant une Europe à deux vitesses si nécessaire et une « pause » dans l’élargissement de l’Union européenne. Enfin, parmi les autres priorités communes se trouvent en vrac la transition énergétique, la lutte contre le dumping ou encore la défense de la propriété intellectuelle, ainsi que le refus d’accords internationaux contraires aux normes européennes (et de citer le TAFTA en exemple). M. Valls y ajoute l’instauration d’un « salaire minimum européen », ainsi qu’un renforcement de « la place des parlements nationaux ».

Des idées peu convaincantes

Si les idées ne sont pas mauvaises en soi et rejoignent majoritairement les propositions de réformes faites ces derniers mois sur la scène de politique europhile, elles manquent toutefois cruellement d’âme et de concrétude. Sans compter qu’aucun des deux ne semble vraiment convaincu par des propositions si imprécises qu’elles pourront aisément être contournées, modifiées ou bafouées si besoin.

Par conséquent, il paraît désormais évident que les Français qui souhaiteront voir leur pays faire bouger l’UE ces cinq prochaines années devront opter pour Emmanuel Macron ou Jean-Luc Mélenchon. Ils devront ainsi choisir entre la méthode douce du premier — dont la ligne européenne, bien que similaire à celle de ses deux anciens collègues, est au centre de son programme — et la méthode radicale du second qui entend renégocier les traités européens et, si cela n’est pas possible, en sortir, au rythme de son slogan « l’Europe, on la change ou on la quitte ».

 

Un mot pour Noël

En cette veille de fêtes, la volonté affichée ces derniers jours par le Parlement et le Conseil fédéral de relancer la discussion sur les relations Suisse-UE aurait pu représenter une étoile brillante au sommet d’un sapin helvétique encore chargé d’isolationnisme et de populisme. Aurait pu. Car les événements de lundi à Berlin ont fait remonter les émotions de Paris, doubles, de Nice ou encore de Bruxelles. Car, à chaque fois, il faut se relever et recommencer, encore, plus fort. Recommencer la lutte pour une Suisse et une Europe ouvertes. Ne pas laisser le discours de peur prendre le pas sur les messages d’espoir. Ne pas succomber à la tentation de l’amalgame et rejeter les valeurs qui font de notre continent un lieu de paix et d’unité. Ne pas oublier que la lueur de l’étoile de notre engagement est plus forte que les ténèbres du terrorisme et du nationalisme.

Je souhaiterais aussi préciser, au nom de l’Europe, que non, la prochaine fois nous ne voulons pas de camion pour Noël. Ni plus jamais d’ailleurs. Pas d’horreur, ni de violence. Pas de morts, ni de blessés. Juste de la tolérance, de la solidarité et de l’entraide.

L’UE est responsable. Vraiment ?

Ces derniers mois, chaque vote qui passe donne de nouveaux défis au camp de l’ouverture et aux proeuropéens. Du Brexit à l’échec du référendum de Matteo Renzi, en passant le non des Hollandais à l’accord avec l’Ukraine, tout semble plaider pour une dislocation prochaine de l’Union européenne (UE). Cette UE décriée, dénigrée, discréditée. Cette UE sur laquelle tous les torts sont rejetés, coupable de facto de tous les échecs électoraux dans les Etats-membres.

Certes, la responsabilité de l’UE n’est pas nulle et nous ne pouvons pas nier la nécessité de mettre en place des réformes. Mais les Etats-membres et leurs dirigeants en portent également une large part. En effet, c’est David Cameron lui-même qui a décidé de lancer le référendum pour la sortie de l’UE et c’est son euroscepticisme qui a mené le peuple britannique à accepter sa proposition. En Italie, c’est Matteo Renzi qui, lors des derniers jours de la campagne pour son référendum, a volontairement ôté les drapeaux européens lors de ses allocutions, choisissant ainsi de mettre l’UE en lien direct avec le vote et de la diaboliser.

Ces deux exemples illustrent parfaitement le peu de soutien que les chefs des Etats-membres accordent à l’UE, soutien qui lui manque cruellement. Comment demander aux Britanniques de refuser un référendum que leur Premier Ministre a lui-même lancé? Comment les Italiens pourraient-ils croire en l’Union, alors que leur représentant auprès de celle-ci ne la défend pas? Si les dirigeants mettaient à profit le temps qu’ils passent à élaborer des critiques contre l'UE pour la promouvoir, ils pourraient faire changer le climat europhobe dans leur pays, inverser cette tendance dans les médias et prôner les réformes que de nombreux Européens demandent.

Ils pourraient par exemple souligner l’importance d’une Europe forte dans un monde globalisé pour pouvoir mener à bien les défis relatifs à l’environnement, à la paix, à la sécurité et aux droits humains notamment. Rappeler le soutien financier, la prospérité et les libertés que l’UE garantit. Mais bien sûr, il est toujours préférable de désigner l’Union comme responsable de tous les maux européens que de devoir se remettre en question.

Seule lueur d’espoir dans le sombre paysage de l’euroscepticisme actuel: la victoire dimanche 4 décembre en Autriche d’Alexander van der Bellen, écologiste engagé et Européen convaincu. Loin de cacher ses convictions, il a ouvertement déclaré qu’il profiterait «de chaque occasion pour souligner que la paix, la liberté, la prospérité et la sécurité pour les États-membres de l'Union européenne sont bien mieux assurées en commun que ce qui serait le cas si chaque nation le tentait de manière individuelle». Il n’a pas sacrifié ses valeurs sur l’autel de potentiels votes populistes et nationalistes. Il est resté lui-même et c’est ce qui a payé. Car les Européens ne sont pas europhobes, ils en ont simplement assez des belles promesses jamais tenues et des revirements pour plaire à l’électorat. Ce qu’ils souhaitent, c’est une Europe unie, démocratique et forte. Et pour cela, il serait urgent de faire preuve de réaction et d’engagement et non de lâcheté et de faiblesse. 

 

«C’est parce que je suis un fervent défenseur du projet européen que je plaide si vivement pour une réforme»

Guy Verhofstadt, ancien Premier ministre belge et député européen, a publié ce printemps un ouvrage intitulé «Le mal européen». Dans cet essai, il présente des solutions pour relancer le projet européen et sortir de la crise actuelle. J'ai eu la chance de pouvoir l'interviewer à ce sujet.

Dans votre livre «Le mal européen», paru cette année, vous êtes extrêmement critique envers l’Union européenne. Ne risquez-vous pas de démotiver ceux qui soutiennent ce projet et de donner du grain à moudre à l’euroscepticisme?

Guy Verhofstadt: Je reste bien sûr un des plus grands défenseurs du projet européen et de l’idée européenne. C’est juste- ment pour cette raison que je plaide si vivement pour une ré- forme de l’Union européenne. Nous devons la réformer, afin qu’elle puisse de nouveau répondre aux défis importants aux- quels nous faisons actuellement face. Pour surmonter la crise des réfugiés, par exemple, nous avons besoin de garde-côtes et de garde-frontières européens qui soient réellement opérationnels, d’une politique migratoire et d’asile commune; pour la lutte contre le terrorisme et les questions de sécurité, nous devons avoir une Communauté européenne de défense et des services de renseignements eux aussi opérationnels. Lorsque nous proposerons des solutions dans ces domaines précis, dont la valeur ajoutée sera reconnue par les citoyens européens, alors la foi en l’UE sera à nouveau restaurée. Si nous ne faisons que continuer à défendre l’Union européenne sous sa forme actuelle, sans la réformer réellement, alors nous encourageons sa propre désintégration.

Ces solutions pour refonder l’Europe, vous les évoquez dans votre livre: armée européenne, budget européen, politique d’immigration commune, service de renseignement européen, marché numérique commun, union bancaire à part entière, meilleure mobilité d’emploi en Europe, révision du système institutionnel, etc. Puisque toutes ces mesures sont connues et pourraient être mises en œuvre sans trop de difficultés, pourquoi n’est-ce pas encore fait?

Ces dix dernières années, nous sommes arrivés à une situation d’immobilisme au sein de l’UE. La raison qui se cache derrière ce phénomène est toujours la même: Le tempo des réformes et des décisions à Bruxelles n’est en fait déterminé que par une minorité d’Etats membres. Lorsque ces derniers souhaitent bloquer toute avancée ou évolution commune au sein de l’UE, alors ils peuvent tout à fait le faire. A travers des décennies de compromis et d’exceptions aux règles, nous n’avons pas seulement atteint un chaos institutionnel, mais nous avons bel et bien créé une Europe à la carte. A mon avis, nous pouvons contrer cet immobilisme en mettant en place deux types de vitesse au sein de l’Union européenne: ainsi, les Etats qui le souhaitent pourront poursuivre l’intégration et se rapprocher davantage les uns des autres sans que les autres, qui ne partagent pas cette position, ne les bloquent.

L’an prochain marquera les 60 ans du Traité de Rome. Ne serait-ce pas l’occasion idéale de dépasser cet immobilisme et relancer le projet tel que les Pères fondateurs l’ont imaginé, voire de trouver de nouveaux Pères fondateurs?

Oui, en effet. Les 60 ans du Traité de Rome que nous fêterons en mars 2017 représentent à mes yeux un moment idéal pour démarrer un processus de réforme ambitieux de l’UE, et rendre cette dernière porteuse d’une ambition pour les décennies à venir. Nous souhaitons aussi profiter de cette occasion pour rendre l’Europe plus efficace dans son ensemble, et moins bureaucratique: par exemple, la Commission pourrait devenir un gouvernement, petit, mais efficace. Nous n’avons pas besoin de 28 ministres. Nous n’avons besoin également que d’un seul siège pour nos institutions. Les résultats du référendum britannique ont été un signe clair: nous ne pouvons plus continuer ainsi si nous ne voulons pas faire face à 27 autres référendums de sortie de l’UE. Nous devons nous libérer de cette stagnation, de sorte qu’un processus de réforme puisse enfin voir le jour.

En Suisse, comme ailleurs dans l’UE, la libre circulation des personnes est remise en question: comment faire en sorte que ce principe fondateur de l’Union européenne ne disparaisse pas ces prochaines décennies?

Fermer les frontières n’est pas la solution au problème, et encore moins la réponse à la source de celui-ci. Au contraire, il est tout simplement impossible de nous détacher de nos voisins et partenaires européens et de nous renfermer ainsi sur nous-mêmes. Nous devons renforcer notre coopération si nous souhaitons subsister dans ce monde. Nous devons introduire de réelles compétences européennes, au lieu de nous recroqueviller dans nos coquilles en espérant que la crise ne se reproduise plus. Les réponses à donner face à l’angoisse du terrorisme et de l’immigration massive doivent pouvoir se confronter à de réelles solutions européennes: des garde-frontières et des garde-côtes européens aux frontières extérieures de l’UE, qui puissent faire la différence entre les migrants économiques et les réfugiés, une politique d’asile commune, plus de moyens pour Europol. Le repli sur soi représente un recul. Ce repli se traduit par une montée du nationalisme en Europe – y compris en Suisse.

Comment en est-on arrivé là alors que les ravages qu’il a commis durant la Deuxième Guerre mondiale sont indiscutables?

Je pense que les populistes de droite ne sont bons qu’à exacerber nos peurs et désigner les problèmes. Mais ils ne proposent aucune solution. Les Etats membres doivent coopérer pour exister. Nous devons doter l’UE de capacités effectives. Nous ne pouvons pas nous retirer et espérer que les problèmes se résolvent d’eux-mêmes, comme pour le cas de l’accord douteux conclu avec la Turquie au sujet de la crise des migrants. Il y aura toujours des voix qui demanderont que l’on accorde plus de souveraineté aux Etats membres. Je ne peux que les contredire de tout mon cœur. Avec un tel recul, nous ne faisons pas qu’affaiblir l’Europe, mais nous mettons aussi en danger la paix et la prospérité acquises depuis des décennies.

Le 23 juin dernier, les Britanniques ont voté en faveur du Brexit. Pourtant, personne ne semble pressé de le mettre en œuvre. Pourrait-il ne pas avoir lieu?

Je ne doute pas que cela soit mis en œuvre. La notification exigée de l’article 50 auprès des institutions n’est pas une punition – ce n’est qu’une question de respect de la décision du peuple britannique. Nous devons également faire en sorte que cette situation d’insécurité pour les entreprises, les investisseurs, etc, dure le moins longtemps possible. Je pense ainsi qu’il est possible de conclure une sortie du Royaume-Uni d’ici 2019. Sans quoi débuterait alors un nouveau mandat, avec une multitude d’insécurités.

Cette sortie pourrait-elle se faire par un statut d’ «associé» pour la Grande-Bretagne dont vous parlez? Sous quelle forme?

Il est évident que les avantages du marché intérieur sont liés à la libre circulation des personnes. La liberté de travailler dans un autre pays de l’UE est un des principes de l’Union européenne et de son marché unique, mais également un élément clé d’une société libérale européenne, que nous devons défendre. Si la Grande-Bretagne souhaite rester au sein du marché unique, si n’importe quel pays souhaite prendre part au marché unique, il faut que celui-ci en respecte les règles. Une nouvelle relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne pourrait se baser sur un «statut d’associé» – avec moins d’obligations, mais également moins de droits pour les Britanniques. De la même manière qu’un traité de libre-échange.

Pour conclure notre entretien et au vu de tous les points évoqués, une question s’impose encore: pourquoi restez-vous pro-européen?

Je reste fermement convaincu que les solutions aux crises de notre époque ne peuvent pas être nationales. La crise économique, la crise des migrants, la lutte contre le terrorisme – tous ces défis ne peuvent être relevés qu’à l’échelle européenne. Et quand nous serons en mesure de combattre et de résoudre ces problèmes, alors la confiance dans le projet européen sera retrouvée. J’en suis parfaitement convaincu.  

 

Interview paru dans le magazine du Nomes: http://bit.ly/2gpxdVO

Une journée de la tolérance pour clore une année d’intolérance

Ironie du calendrier, nous célébrons aujourd’hui la Journée internationale de la tolérance, une semaine exactement après l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis dont l’intolérance chronique n’est plus à démontrer. Son élection a d’ailleurs marqué une multiplication des actes racistes, antisémites, islamophobes ou encore homophobes outre-Atlantique. L’un des derniers en date a visé Michelle Obama en personne qui s’est vue comparée à un singe par une fonctionnaire de Virginie.

Si les actes d’intolérance sont (re)devenus chose courante aux Etats-Unis ces derniers jours, il me semble essentiel de rappeler qu'ils ont également marqué l’actualité européenne de 2016 et qu'il ne s'agit pas là d'une particularité des Américains. L'Europe pourrait-elle donc elle aussi suivre la voie de la «trumpisation» ces prochains mois? On est en droit de se le demander. Car, tout comme c'est le cas aux Etats-Unis, les migrants sont une cible importante de rejet en Europe, suivis de près par les Musulmans et la communauté LGBTI (entre autres) et les derniers mois ont vu le nombre de «faits divers» impliquant ces trois minorités croître dramatiquement.

Ainsi, plusieurs cas d'incendies de centres d’accueil de migrants ont été répertoriés dernièrement en France, faisant écho aux manifestations protestant contre leur accueil organisées dans le pays. En Hongrie, c'est carrément un référendum «anti-migrants» qui a été lancé par le Premier ministre Viktor Orban début octobre, heureusement invalidé faute de participation suffisante au scrutin. Même l’Allemagne, dont Angela Merkel avait ouvert tout grand les frontières, subit la montée du parti d’extrême-droite AfD et de sa politique anti-migrants.

Ces actes vont souvent de pair avec les mouvements racistes et antimusulmans, qui ont été nombreux en Europe durant l’année 2016. La Corse a ainsi été secouée par de violents affrontements en août en marge de la polémique concernant le burkini, tandis que le groupe anti-islam PEGIDA a organisé près de 2000 manifestations en février dernier dans de nombreuses villes d’Europe. En Suisse, ce n'est rien de moins qu'un immense concert néonazi qui a été organisé dans le canton de St-Gall il y a quelques semaines. Car notre pays n’est pas épargné par ces agissements, loin de là : en 2015, 53 actes de racisme ou de discrimination à l’égard des musulmans ont été recensés, soit 11% de plus qu’en 2014. Au total, 400 incidents ont été signalés, et 239 d’entre eux ont fait l’objet d’une intervention directe.[1]

Quant à la communauté LGBTI, elle a vu de nombreux pays d’Europe s’élever contre ses droits comme par exemple en Roumanie, où des milliers de personnes ont manifesté cet automne pour exprimer leur opposition au mariage homosexuel. Ou encore en Lettonie, où une loi contre la «propagande homosexuelle» souhaite faire disparaître tous les symboles LGBTI de la sphère publique. Sans oublier la Pologne dont le gouvernement licencie les personnes qui s’engagent pour les droits de la communauté LGBTI. En France enfin, des dizaines de milliers de manifestants ont défilé à Paris le 16 octobre dernier pour s'opposer à la loi de 2013 légalisant le «mariage pour tous».

Ces actes qui en cachent de nombreux autres doivent nous inquiéter et ne peuvent en aucun cas être minimisés. Car il semble que la tolérance représente actuellement une bien petite goutte d’eau face à la vague d’intolérance qui ne cesse de grandir et sur laquelle surfent de nombreux politiciens plus soucieux de s’assurer une place au pouvoir que de défendre les minorités et les droits fondamentaux qui font la force d’une Europe – et d’une planète – unie. Une bonne journée pour en parler.

 

Retour 60 ans en arrière pour les Américaines

Il y a quelques années, dans le cadre de mon travail de maturité, je m’étais penchée sur la question du droit de vote des femmes en Suisse et du combat mené par nos aïeules pour permettre aux femmes des générations suivantes de pouvoir non seulement exprimer leur voix dans les urnes, mais aussi d'exercer des postes à responsabilités qui étaient alors réservés aux hommes. J’avais rencontré deux femmes, Judith Widmer-Straatman à Schaffhouse et Gabrielle Ethenoz-Damond à Nyon, qui m’avaient raconté leur combat extraordinaire qui avait mené à la délivrance en 1971 (plus tôt pour certains cantons comme Vaud, plus tard pour d’autres comme Appenzell). Ce qui m’avait le plus frappé dans leur récit était le fait que l'opposition la plus forte contre le suffrage féminin venait souvent des femmes elles-mêmes. «Pourquoi devrais-je voter, je ne comprends de toute façon rien à la politique», était l'explication donnée à ce refus.

Quarante-cinq ans après, au lendemain de l'élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, la situation semble similaire: comment des millions de femmes ont-elles pu choisir de voter pour un homme qui affirme, entre autres, qu’il faut les traiter comme de la m***, qu’on peut les attraper par le sexe et qu’il est normal qu’elles se fassent agresser au travail dans la mesure où l'on accepte qu'elles y côtoient des hommes? Nous trouvons-nous face au même cas de figure que dans les années qui ont précédé le droit de vote en Suisse, à savoir que les Américaines n’ont pas vu en l’une des leurs la capacité de présider un pays et ont alors préféré voter pour son parfait contraire?

En tous les cas et quelle que soit la réponse à ces questions, force est de constater que les Américaines ne vont pas au-devant de progrès majeurs dans le domaine de l’égalité homme-femme. Pire, elles risquent de sérieusement régresser. Ainsi, parmi tous les dangers de l’accession au pouvoir de Donald Trump qui ont été soulignés ces dernières heures, la misogynie tient le haut du panier. Car comment imaginer qu’avec un tel exemple à la tête du pays le plus puissant du monde les nombreux défis qui sont encore à relever pour les femmes du monde entier puissent l’être? C’est là que l’Europe – y compris la Suisse – a un grand rôle à jouer. C’est à elle de prendre la responsabilité de promouvoir les valeurs que nous défendons – qui seront peut-être piétinées outre-Atlantique – et de mener les combats qui sont encore nécessaires. Parmi ceux-ci, notons tout particulièrement l’égalité des salaires puisque la plupart des Européennes travaillent «gratuitement» entre septembre et décembre (21 octobre pour les Suissesses[1])…

 

Le mot «jungle» ne vous choque-t-il pas?

Il a beaucoup été question cette semaine de la «jungle de Calais» et de son démantèlement.  Et pour cause. Des centaines de journalistes du monde entier ont été dépêchés sur place, cohorte hystérique dont certains n’ont eu aucun scrupule à passer outre les règles les plus élémentaires de l’éthique du métier. Ainsi, micros et flashs braqués sur une file d’hommes et de femmes au regard perdu, ils étaient plus de 700 à traquer le moindre scoop, la moindre photo qui ferait le tour du monde. Au point d’arriver à dégoûter les plus aguerris d'entre eux (lire à ce sujet l’émouvant article du Monde Journalistes à Calais : la loi de la «jungle»?).  

Mais ce qui me heurte le plus dans la longue liste de faits choquants à ce sujet – c’est-à-dire outre la récupération politique indécente, l’absence de politique d’immigration cohérente ou encore la solidarité quasi inexistante des pays voisins – c’est le terme de «jungle». Car ce dernier m’évoque immédiatement un lieu menaçant, peuplé d’espèces sauvages, où règne la loi du plus fort. En utilisant ce terme, des centaines de personnes en détresse sont comparées à des animaux dangereux et exotiques parqués dans un zoo.

Certes quand on prend le temps de rechercher l’origine de ce terme, on apprend qu’«originellement, le substantif «jungle» est la transposition littérale de l’anglais «jungle», qui désigne une végétation dense que l’on trouve dans les pays tropicaux. Le mot anglais a lui-même été inspiré du terme hindou «jangal» et de l’adjectif sanskrit «jangala» qui signifie «aride». Il y a donc eu un glissement de sens d’une zone inhabitée désertique vers celui d’une végétation dense où la forêt ne laisse pas passer la lumière, impénétrable. Les migrants de Calais ont eux-mêmes recours au terme de «jungle». Mais ils l'utilisent en anglais, et dans cette langue le terme est beaucoup moins péjoratif». [1] Bien sûr, en lisant cette explication – mais qui a déjà pris la peine de le faire ? – on comprend mieux l’utilisation de ce terme. Toutefois, voulons-nous vraiment le cautionner ?

Cette question, les milieux d’aide aux réfugiés l’ont déjà réglée, préférant le mot «bidonville» à celui de «jungle», jugé trop péjoratif. Même chose du côté de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra). Il serait donc grand temps que les médias suivent aussi cette ligne, permettant ainsi de redonner aux migrants leur vrai visage: celui d’hommes et de femmes sans ressources à la recherche d’un lieu d’accueil, loin de leur chez eux en guerre. Et non un troupeau d’animaux dangereux en quête de proies européennes. Car si le camp de Calais est désormais presque inhabité, tout laisse à croire qu’un autre viendra le remplacer, ici ou ailleurs.

[1] cf. http://www.lci.fr/societe/calais-parler-de-jungle-est-ce-raciste-1504542.html

Macron l’Européen?

La course  à la primaire Les Républicains bat son plein en France. Si l’on peut se plaindre de l’âge des uns et de la ligne très extrême des autres, on peut également souligner la grande absente des débats – bien que cela ne représente pas en soi en un phénomène inhabituel – l’Union européenne. Or, il semblerait qu’en ces temps de défis brûlants pour l’UE, celle-ci devrait justement être au centre des discussions, l’élément clé de chaque discours. Or, rien, le néant absolu. Sauf peut-être Alain Juppé qui a promis que sa campagne sera «bientôt l’occasion de [s']exprimer plus longuement sur l’ambition européenne [qu'il veut] redonner à la France dans les temps qui viennent». Nous attendons.

A gauche, pas de différence notable, alors même que François Hollande aurait pu (dû) profiter de la brèche ouverte par le Brexit pour faire des propositions concrètes qui lui auraient permis de redorer un blason qui en a bien besoin. Quant à Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, ils ont tellement peu évoqué la question qu’il est difficile de savoir quel est leur programme à ce sujet.

C’est donc «ni de gauche, ni de droite» qu’est venue la première vraie proposition susceptible de convaincre l’électorat pro-européen de France. En effet, Emmanuel Macron a présenté son programme pour l’Europe le 24 septembre dernier lors du Sommet des réformistes européens à Lyon. Voici en substance ce qu’il propose. L’idée principale de l’ancien ministre est de lancer un vaste débat en 2017 dans toute l’UE. Pour cela, les Etats-membres organiseraient des conventions démocratiques pendant un an afin de discuter du contenu de l’action de l’UE, de ses politiques et de ses priorités – le tout de façon coordonnée afin de ne pas avoir 27 projets différents. L’objectif serait, à terme, de construire une réponse commune qui permettrait aux dirigeants de mettre en place une feuille de route et un calendrier de mise en œuvre pour les quinze prochaines années. Feuille de route qui contiendrait notamment les points suivants: consolidation de la zone euro, création d’un budget commun, renforcement de la politique commerciale, mise en place d’une politique anti-dumping et création d’un fonds européen de défense. Avec, pour finir, la possibilité laissée à chaque Etat-membre d’avancer à son propre rythme, c’est-à-dire la création d’une Europe à deux vitesses.

Alors certes, sur les trente-cinq minutes qu’a duré son intervention, ce n’est que lors des dix dernières que M. Macron a réellement avancé une ébauche de projet. Certes, on peut s’interroger sur la manière de mettre en œuvre une telle action. Certes, on peut se demander si cela n’est pas uniquement une stratégie du candidat Macron, se voyant seul sur la thématique européenne, pour conquérir le vote de l’électorat pro-européen. Certes, il faudra attendre quelques mois encore pour savoir s’il tient cette ligne, si celle-ci tient la route et si lui-même a une chance l’an prochain. Mais on peut également se réjouir de voir le thème de l’UE débarquer dans les débats en vue de la présidentielle 2017, ouvrant ainsi la porte à d’autres idées lancées par les opposants, ne serait-ce que pour concurrencer le jeune premier. Et louer le fait que certains parlementaires européens, des fédéralistes convaincus tels que Sylvie Goulard, soutiennent cette initiative.

Juncker ne tolérera pas de libre circulation à la carte

«Le marché intérieur et la libre circulation des personnes ne peuvent pas être à la carte». S’il y a une phrase que les Suisses doivent retenir du discours de Jean-Claude Juncker, Président de la Commission européenne, sur l’état de l’Union européenne (UE) prononcé au Parlement européen mercredi 14 septembre, c’est celle-là. En effet, alors que le Conseil fédéral n’a toujours pas trouvé de solution concertée avec l’UE sur la mise en œuvre de l’initiative «contre l’immigration de masse», cette tirade sonne comme un avertissement. Et ce juste avant la rencontre entre le président de la Commission et le président de la Confédération, prévue lundi 19 septembre à Zurich.

Pourtant, il semblait que la Commission des institutions politiques avait trouvé la meilleure option pour résoudre le dilemme entre limitation de l’immigration et libre circulation des personnes. Elle a ainsi proposé de favoriser les travailleurs résidant en Suisse et, si cela ne suffit pas, de prendre des mesures correctives, faisant de ce fait son possible pour épargner ses relations avec sa grande voisine. Il apparaît toutefois que l’UE ne l’entend pas de cette oreille. En effet, dans un document interne de la Commission européenne daté du 12 septembre, celle-ci estime que ce n’est pas au gouvernement suisse de décider ce qui viole ou non l’accord de libre circulation. D’où l’importance, selon elle, de mettre en place un accord institutionnel. Mais c’est là que le bât blesse : cela fait des années que les négociations sont en cours pour conclure cet accord-cadre nécessaire à la poursuite des relations bilatérales entre les deux parties. Or, aucun compromis n’a pu être trouvé jusqu’à présent. Pire, les discussions semblent au point mort depuis que les Suisses ont décidé de réintroduire des contingents.

Mais alors que ces questions revêtent une importance capitale pour la Confédération, elles ne semblent pas vraiment affecter l’UE. Car en ce mercredi 14 septembre, et bien que l’acceptation du protocole avec la Croatie fût à l’ordre du jour des votes du Parlement européen, aucun mot sur la Suisse n’a été prononcé et le protocole a été accepté dans l’indifférence générale. Celui-ci est pourtant loin de laisser insensible à l’autre bout du Rhin. En effet, de la ratification de celui-ci dépend la participation de la Suisse aux programmes européens Horizon 2020, Erasmus et MEDIA. A noter que les deux chambres ont toutefois décidé de ne pas ratifier ledit protocole tant qu’aucune solution à la mise en œuvre de l’initiative sur les contingents n'aura été trouvée. Un vrai casse-tête.

Néanmoins, le silence européen envers le petit voisin bilatéral s’explique moins par un manque d’intérêt que par le fait que l’UE a bien d’autres préoccupations, trois mois après le Brexit. Jean-Claude Juncker l’a d’ailleurs exprimé clairement: l'année à venir sera décisive pour le futur de l’Europe. Dans son discours, il a ainsi énoncé des propositions concrètes et réalistes, loin du lyrisme et de l’enthousiasme dont il a pu faire preuve par le passé. Enfin, à l’issue de son bilan, il s’est même laissé aller à l’expression de quelques regrets: «J’ai l’impression que beaucoup ont oublié ce que cela signifie d’être européen. Ce que cela signifie de faire partie de cette Union d’Européens. Il faut se rappeler pourquoi les nations d’Europe ont choisi de travailler ensemble. L’Europe est synonyme de paix. Et parfois, nous nous affrontons. Mais nous nous affrontons avec des mots. Et nous réglons nos conflits autour d’une table, pas dans des tranchées». Et de conclure : «Nous devons en finir avec cette vieille rengaine selon laquelle le succès est national, et l'échec européen».