La nomination de Guy Verhofstadt est une bonne nouvelle pour l’UE

Beaucoup de nouvelles préoccupantes nous sont parvenues du côté de l’Union européenne (UE) ces derniers mois. Mais il y en a aussi de bonnes. Preuve en est l’annonce faite le 8 septembre par le Parlement européen de la désignation de Guy Verhofstadt en tant que représentant de l’assemblée pour mener les discussions avec le Royaume-Uni concernant sa sortie de l’UE.Trois raisons principales justifient que l’on se réjouisse de cette nomination.

En premier lieu, l’ancien Premier Ministre belge n’a cessé de prôner la tenue d’une position sévère de l’UE envers le Royaume-Uni en cas de Brexit. Ainsi, il l’a déclaré très fermement le 1er septembre dernier lors d’un débat à Bruxelles[1] : «Le Brexit aura lieu, il n’y aura pas de deuxième référendum»[2]. Il a également insisté sur la nécessité de la part des «chefs d’Etat et de gouvernement d’obliger les Britanniques à annoncer l’utilisation de l’article 50 et à commencer les négociations»[3]. Par ailleurs, ces dernières devront se terminer par «un accord de libre-échange» ou alors sous forme de «statut associé qui donne uniquement accès au marché intérieur, dont toutes les conditions devront néanmoins être respectées»[4]. En effet, selon lui, la seule possibilité pour la Grande-Bretagne de rester dans le marché intérieur est d’appliquer «les quatre libertés dont la libre circulation des personnes»[5]. Car ce principe est, pour Guy Verhofstadt, «nécessaire parce qu’on est libre et parce qu’on est en Europe. C’est ça la normalité (…) et non pas de se faire arrêter aux frontières»[6].

Cette vision de l’Europe nous amène à la seconde raison de se réjouir de la nomination du député européen: sa vision pour l’UE de demain. Ainsi, l’homme qui ne cache pas son penchant pour le fédéralisme, est convaincu «que nous devons saisir l’opportunité d’une discussion autour du Brexit. Nous avons là une occasion unique de remodeler l’Union en profondeur»[7]. Cependant ce qui préoccupe le plus Guy Verhofstadt, ce n’est pas «la réaction des Britanniques, mais celle des 27 autres. Ils devraient se dire qu’ils sont enfin débarrassés de certains obstacles. [Or,] ce que je vois ce sont des chefs d’Etat et de gouvernement qui ne disent rien du tout à part qu’il ne faut pas aller trop vite. C’est le moment ou jamais de faire changer l’Union qui n’en est pas une!»[8]. Il voit ainsi en cette nouvelle configuration européenne une «chance extraordinaire de mettre fin à la politique de déminage et de rafistolage qui caractérise l’Europe depuis le traité de Rome en 1957»[9]

Pour mettre en place ces changements, et c’est la troisième raison de mon soutien, Guy Verhofstadt ne se contente pas de critiquer la situation actuelle en Europe, il propose également des solutions réalistes. Selon lui, «le problème actuellement est que nous sommes incapables de voir la réalité»[10] et que «ceux qui sont au pouvoir manquent de vision».[11] Or, de nombreuses solutions existent pour parvenir à une Union européenne telle que celle voulue par les Pères fondateurs. Parmi elles se trouve par exemple la mise en place d’une armée européenne, d’un budget européen, d’une politique d’immigration commune, d’un service de renseignement européen, d’un marché numérique commun, d’une union bancaire à part entière, d’une meilleure mobilité d’emploi en Europe, d’une révision du système institutionnel[12], et j’en passe. En outre, le Belge estime qu’il faut «créer un lien direct entre les citoyens et l’UE.(…) Les votes doivent avoir lieu au niveau européen, car c’est là que se trouve la vraie échelle de nos possibilités et de nos défis»[13]. Enfin, la nouvelle Europe ne se fera pas sans les jeunes car ce sont eux qui «vont faire basculer l’UE. C’est par les jeunes que va arriver la révolution, la révolte»[14]. Une révolution de la jeunesse qui pourrait bien se faire à travers les réseaux sociaux qui offrent «une possibilité de créer une communauté de millions de citoyens qui peut changer les choses»[15].

Alors, certes, ce ne sont que des paroles pour l’instant, qu’il s’agira de mettre en œuvre. De plus, une difficulté majeure résidera certainement dans le fait de convaincre Michel Barnier et Didier Seeuws, qui représenteront respectivement la Commission et le Conseil lors des négociations avec le Royaume-Uni, du bien-fondé de ces idées. Mais c’est déjà un premier pas décisif que le Parlement a choisi de faire par la nomination de Guy Verhofstadt: celui vers une «autre» Europe, plus unie, plus fédérale et surtout… plus européenne.

 


[1] Voir le débat « Guy Verhofstadt et Sandro Gozi – Brexit: Et Après? » en intégralité : https://www.youtube.com/watch?v=0LQiYKVTmYY (consulté le 9.09.2016)

[2] Cf. Débat mentionné ci-dessus.

[3] Op.cit.

[4] Guy Verhofstadt, «Le mal européen », Bruxelles, Editions Plon, 2016. P. 315.

[5] Op.cit.

[6] Op.cit.

[7] Op.cit. P. 314.

[8] Cf. Débat «Brexit: Et après?».

[9] Cf. Guy Verhofstadt, «Le mal européen », 2016. P. 314.

[10] Cf. Débat «Brexit: Et après?».

[11] Op.cit.

[12]Ces solutions sont expliquées en détail dans l’ouvrage « Le mal européen ».

[13] Cf. Débat «Brexit: Et après?».

[14] Op.cit.

[15] Op.cit.

 

La roue de l’Histoire tourne plus vite qu’on ne le pense…

Bien sûr que les uns sont dans une situation économique critique. Bien sûr que les autres pourraient être plus souples dans leurs exigences envers les uns. Mais que la Grèce réclame le paiement de réparations pour l'occupation nazie 70 ans après, alors même que l'Europe traverse une grave crise d'identité, c'est risquer de mettre en péril tout le fragile édifice que constitue la paix sur le continent, rajouter des tensions là où elles sont déjà si nombreuses et menacer tout un ensemble. 

Pourquoi la Grèce ne se contente-t-elle pas d'évoquer un épisode plus récent de l'histoire allemande? Elle pourrait ainsi simplement rappeler qu'en 1953, son pays avait accepté avec 21 autres créanciers d'annuler plus de 60% de la dette contractée avant et après-guerre par la RFA. La dette de cette dernière était ainsi passée de 38 milliards de Deutschmark à 14 millions. Ceci constituerait un argument bien plus rationnel, plutôt que de rappeler à tout un peuple les folies commises par leurs aînés. 

Cependant, les Grecs ne sont pas les seuls à  blâmer dans cette affaire. Si les Allemands ne souhaitent pas faire ressurgir les heures les plus noires de leur histoire, ils pourraient toutefois se souvenir que, il y a 63 ans, c'est eux qui se trouvaient dans la situation économique de la Grèce aujourd'hui. Et que c'est à la solidarité des pays riches qu'ils doivent leur prospérité actuelle. Car on le voit, la roue tourne… Qui peut prédire ce qu'il en sera en 2079? 

 

La lutte continue pour les proeuropéens

L’UDC déposera le 12 août prochain son initiative dite d’«autodétermination»[1], qui souhaite que le droit suisse prime sur le droit international. Ce texte a des airs de déjà-vu puisqu’il attaque directement la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) comme ce fut déjà le cas le 28 février dernier avec l’initiative dite de «mise en œuvre». Avec ce nouveau texte, les initiants souhaitent désormais que seuls les traités qui ont été soumis à un référendum soient contraignants pour le Tribunal fédéral. Or, la ratification de la CEDH par la Suisse en 1974 n’y a pas été soumise, l’adhésion ayant été effectuée par le Parlement selon les règles de ratification de traités internationaux de l’époque, donc résiliable, et non par référendum.

Pour préparer le terrain médiatique en vue du dépôt de son initiative, l’UDC a également repris sa lutte contre la signature d’un accord-cadre avec l’UE, accord que le texte vise aussi indirectement. Ce cheval de bataille n’est pas nouveau, mais le parti l’avait quelque peu perdu de vue depuis l’acceptation de l’initiative dite «contre l’immigration de masse» le 9 février 2014. Il l’a repris avec force ces derniers jours en publiant un argumentaire et une interview de Christoph Blocher en pleine page de plusieurs quotidiens nationaux. Rappelons que l’accord-cadre entre la Suisse et l’UE (les fameuses «questions institutionnelles») est en cours de négociation depuis des années et est nécessaire à la poursuite de l’intégration européenne de notre pays, même si celui-ci continuerait d’être exclu du processus législatif européen et resterait un satellite de l’UE.

Une nécessité que l’UDC est loin d’avoir comprise, comme le montre l’argumentaire mentionné ci-dessus, dans lequel le parti ne cesse de se contredire. Ainsi, il souhaite d’un côté empêcher la signature d'un accord-cadre et de l’autre conserver la voie bilatérale «qui a fait ses preuves», selon ses propres termes, tout en souhaitant la limitation de l’immigration par des contingents à travers la mise en oeuvre de son initiative acceptée le 9 février. Ces propos ne pourraient être plus contradictoires puisqu'aucune solution compatible avec la libre circulation – et par extension les Bilatérales I – n’a pu être trouvée avec l’UE pour la mise en œuvre de cette initiative. Il est donc impossible de combiner une mise en oeuvre stricte du texte de l'initiative du 9 février et un abandon des négociations sur les questions institutionnelles sans aboutir à une résiliation des accords bilatéraux.

Pourtant, l’UDC déclare ensuite que la «voie bilatérale» peut être poursuivie sans signer d’accord-cadre, ce qui est faux, celle-ci n’étant plus viable dans sa forme actuelle. «Les gens s’imaginent souvent que le statu quo est possible. Or, chaque jour de nouveaux développements du droit de l’UE dans les domaines de nos accords réduisent peu à peu la portée de nos accords d’accès au marché et provoquent une érosion de ceux-ci», nous avait expliqué Jacques de Watteville dans une interview en mai dernier. «En effet, il faut […] que les accords évoluent parallèlement au développement du droit UE: c’est ce qu’on appelle la reprise dynamique du droit de l’UE, par décision commune des parties. Ensuite, il faut qu’il soit interprété de la même manière et que l’on sache quoi faire en cas de différend». 

C’est justement le règlement des différends qui amène à une autre invraisemblance de l’UDC dans son argumentaire. Celle-ci prétend ainsi qu’avec un accord-cadre, la Suisse reprendra automatiquement le droit européen et que cela sera à la Cour de Justice de l’UE (CJUE) – ceux que le parti appelle «juges étrangers» – de décider en cas de litige. Or, ce n’est pas le cas: «l’interprétation homogène du droit de l’UE repris dans les accords bilatéraux sera assurée conformément aux principes du droit international public et à la jurisprudence pertinente de la CJUE. Les comités mixtes des accords concernés seront compétents pour le règlement des différends»[2]. La CJUE ne sera donc pas seule à décider en cas de litige sur l’interprétation du droit, mais les décisions seront prises par un Comité mixte, composé de membres des deux parties, la Suisse et l’UE.

Ce mois d’août doit marquer le début d’une mobilisation sans précédent pour lutter contre ces arguments erronés et simplistes et surtout pour nos valeurs, celles-là même que nous partageons avec les autres Européens. Car il faut nous battre pour l'intégration européenne de la Suisse, pour les droits de l’homme et pour toutes les autres valeurs fondamentales pour lesquelles nos aînés se sont engagés et que nous voulons assurer aux générations futures.


[1] Cf. http://www.watson.ch/!697399256

[2] Cf. https://www.eda.admin.ch/content/dam/dea/fr/documents/fs/11-FS-Institutionelle-Fragen_fr.pdf

 

Ode à Erasmus

Imaginez. Vous êtes jeune, vous avez soif d’aventure, vous rêvez de voyager en Europe. Vos connaissances du continent se limitent à quelques clichés: en Italie, on mange des pâtes, en Espagne de la paëlla et les Allemands boivent de la bière. Quant aux pays de l’Europe de l’Est, c’est à peine si vous connaissez leur capitale. Vous savez qu’il y a la Lettonie, l’Estonie, par là-bas, mais c’est tout. Comme la plupart de vos collègues, il faut bien le dire. Car l’enseignement que vous avez reçu sur l’Union européenne est bien pauvre. Fort de ces (grandes) connaissances donc, vous apprenez en débutant votre cursus universitaire qu’il est possible de faire un séjour à l’étranger que l’on appelle «Erasmus».

Ni une ni deux, alléché par cette possibilité, vous envoyez le formulaire d’inscription. Et là, bingo! Vous apprenez que vous avez été retenu. Votre pays sera l’Allemagne, votre ville Munich. Quelques mois plus tard, ça y est, vous débarquez dans la capitale bavaroise. Un 2 octobre, en pleine Oktoberfest. Très vite, vous rencontrez plein d’autres jeunes qui, comme vous découvrent l’Allemagne: Portugais, Français, Tchèques, Suisses ou encore Britanniques. Et des Allemands, bien entendu. Et là, vous vous dites: mais au fond, nous partageons les mêmes valeurs, la même identité, la même histoire. Quand vous parlez d’Europe, ce qui n’était au départ que de petits compte-rendu de vos activités se transforment en plaidoyers rendant compte de la réalité de l’Europe et de ses relations avec votre pays, en l’occurrence la Suisse. Réalisant que vos connaissances sur l’UE sont limitées, vous vous renseignez, vous lisez de nombreux articles, vous échangez avec les autres Européens qui participent au programme. Et vous vous demandez pourquoi vous ne l’avez pas fait avant, tant le sujet est captivant. De fil en aiguille et de ville en ville – vous visitez Hambourg, Berlin, Nuremberg, Bamberg, Freiburg, Leipzig, Dresde et j’en passe – le temps file à vive allure, les neuf mois touchent déjà à leur fin. C’est l’heure du bilan. Largement positif.

Lors de votre séjour vous avez ainsi pu constater plusieurs choses: partir à la découverte, seul, d’un pays vous a apporté un enrichissement incomparable. Beaucoup des préjugés que vous aviez concernant l’UE ont disparu, ainsi que votre scepticisme face à ce que vous appeliez «Bruxelles». Votre participation au programme Erasmus vous a ainsi permis de déconstruire ces mythes, de renforcer l’attractivité de l’UE à vos yeux de Suisse, de vous sensibiliser aux relations existantes entre les pays d’Europe (y compris la Suisse), de favoriser les échanges avec de jeunes Européens et d’encourager l’ouverture. Bien sûr, en cherchant à en savoir davantage, vous avez pu aussi renforcer considérablement vos connaissances sur un continent aux richesses incomparables.

Du côté de vos proches, certains étaient plutôt critiques par rapport à votre engouement pour l’Europe. Mais vous avez su trouver les arguments pour leur répondre et vous avez su expliquer pourquoi cette expérience était enrichissante. Vous ne doutez donc pas qu’Erasmus soit un programme incontournable pour les étudiants qui souhaitent découvrir d’autres cultures en Europe et accéder à d’autres sources de formation – pour les jeunes par les jeunes. Il encourage à découvrir une autre Europe, renforce les liens entre les jeunes Européens et contribue à déconstruire les mythes négatifs au sujet de l’UE.

Vous étiez parti Suisse, vous êtes revenu Européen.

Mémoires d’un fédéraliste convaincu

Alors que nous traversons une période charnière de l’histoire de l’Union européenne, il est bon de se replonger dans les prémisses de celle-ci. C’est ce que nous avons fait, mes collègues du Nomes et moi, jeudi dernier en nous rendant à Paris. Nous y avons rencontré Jean-Pierre Gouzy, 91 ans, ancien journaliste et fédéraliste convaincu.

Nous avons rendez-vous à 11h sous la coupole du Grand Hôtel de Paris. Très vite, il nous plonge dans ses souvenirs du lendemain de la Guerre – « j’avais alors 22 ans et étais journaliste» – à l’heure où tout était à (re)faire en Europe. A l’époque, raconte-t-il, il régnait une grande attraction pour le fédéralisme. L’objectif était l’organisation de la paix, il fallait éviter de réitérer les bêtises faites avant la Guerre et transcender les clivages gauche-droite. Parmi les pays impliqués, la Suisse était très présente dans les discussions et faisait office d’exemple pour les fédéralistes. C’est donc tout naturellement que suite à deux premières conférences qui eurent lieu en septembre 1946 à Hertenstein en Suisse, puis une en octobre de la même année à Luxembourg, que les fédéralistes décidèrent de fonder l'Union européenne des fédéralistes (UEF) et de se réunir pour un premier Congrès à Montreux en 1947. 

Deux cents délégués et observateurs de seize nationalités participent au Congrès de Montreux. Jean-Pierre Gouzy l’évoque avec animation: l’Allemagne et l’Autriche étaient représentées pour la première fois depuis la Guerre dans un congrès international sur un pied d’égalité avec d’autres européens (et non en simples observateurs). La France était venue avec 17 groupes, l’Italie 7. Quant à la Suisse, elle avait des représentants de Bâle et de Lausanne et présidait le Congrès. Jean-Pierre Gouzy souligne également que les Britanniques étaient certes présents, mais «en curieux», respectant ainsi la volonté énoncée par Winston Churchill dans son discours de Zurich en 1946 selon laquelle la Grande-Bretagne devait rester un observateur bienveillant: «la Grande-Bretagne, le Commonwealth des nations britanniques (…) doivent être les amis et les protecteurs de la nouvelle Europe et défendre son droit à la vie et à la prospérité.»

Lors du Congrès, une motion de politique générale est adoptée, revendiquant la constitution d'un gouvernement fédéral européen. En outre, le professeur suisse Denis de Rougemont, énumère les principes du fédéralisme dans un discours que M. Gouzy décrit comme capital : renoncement à toute hégémonie, renoncement à tout esprit de système, sauvegarde des minorités, préservation des qualités propres à chaque entité fédérée. A noter également que les textes adoptés à Montreux furent précurseurs sur plusieurs points. Ainsi, Jean Monnet fut inspiré par l’idée de collectivité européenne de richesse pour la fondation de la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier, alors que la notion de «fédération économique de l’Europe» fut reprise en 1957 pour le traité de Rome et en 1968 pour l’Acte unique européen.

Nous quittons Jean-Pierre Gouzy en milieu d'après-midi, après trois heures d'un retour passionnant 70 ans en arrière. Par ses souvenirs, il nous a rappelé que c'est dans une Europe en ruine, remplie d'espoir(s) européen(s) que s'est tenu le Congrès de Montreux et que Denis de Rougemont avait déclaré: «les Etats prétendus souverains sont impuissants à résoudre leurs problèmes et, en cherchant des solutions purement nationales, ont réussi seulement à plonger leurs peuples dans la misère, à faire perdre aux citoyens leurs libertés personnelles et à créer ainsi une situation dangereuse qui peut mener à chaque instant à une catastrophe terrible et peut-être définitive.» En 2016, dans une Europe post-Brexit, ces paroles sont plus actuelles que jamais.

Les jeunes britanniques voyaient leur avenir dans l’UE

Quelques chuchotements, çà et là un rire nerveux. Sur tous les visages se lit la stupéfaction, voire l’effarement. Voilà l’ambiance qui régnait tôt ce matin à l’Ambassade du Royaume-Uni à Berne. Invités pour un «suprisingly early Referendum Results Breakfast», ce que nous espérions être une fête pour le «Remain», s’est transformé en cauchemar du «Brexit».  Chacun savait que cela serait serré, personne n’avait osé l’envisager.

Beaucoup de choses ont été dites depuis ce matin dans les médias et sur les réseaux sociaux et tous les opposants au Brexit s’accordent à dire que c’est une victoire des peurs et du nationalisme, qu’une crise européenne est en marche et que des réformes sont plus que jamais nécessaires au sein de l’Union européenne. D’autres rappellent que c’est en réaction aux crises graves que les plus grandes avancées politiques ont pu être réalisées. Enfin, du côté suisse, il paraît clair que trouver une solution concertée avec l’UE d’ici à février 2017 s’annonce de plus en plus illusoire.

Quand le temps de la tristesse, de l’énervement et de la déception du camp proeuropéen sera passé, il faudra tirer un bilan de ces derniers mois et surtout des leçons de cette défaite afin de forger une Union forte dont les membres n’auront plus envie de sortir. Par des réformes bien sûr, mais aussi en réaffirmant les valeurs européennes et en adoptant un discours différent – bien sûr qu’il y a des points qui ne fonctionnent pas, mais pourquoi ne pas parler plus souvent de ce qui marche (voir l'article de Guy Sorman à ce sujet)? L’an prochain, nous fêterons les 60 ans du traité de Rome de 1957 dont l'objectif était d'«établir les fondements d'une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens». Le Royaume-Uni sorti, cette phrase est plus actuelle et essentielle que jamais. 60 ans après, c’est l’occasion rêvée de la concrétiser.

La jeune génération aura un rôle décisif à jouer dans la nouvelle configuration européenne et devra montrer la voie vers une plus grande intégration. Car, et c’est l’un des seuls points positifs du résultat du référendum, les jeunes britanniques ont voté à 66% en faveur du «Remain». Ils sont nés européens et sont donc conscients des apports de l’UE dans leur vie et pour leur avenir. Ils savent que nous partageons non seulement un continent, mais aussi des valeurs, une identité, une histoire. Leur voix n'a pas été assez forte et ils n'ont pas pu empêcher leurs aînés de compromettre leur futur. Faisons en sorte que cela n'arrive plus et mettons la mobilisation des jeunes sur la liste des priorités pour l'Europe de demain.

Vendredi dernier, nous apprenions avec horreur la mort de Jo Cox, députée britannique europhile, assassinée pour ses idées. Ce vendredi, c’est un autre terrible coup de massue pour les convictions européennes qui nous a été asséné. Il est temps que cela cesse, l’Europe a urgemment besoin de bonnes nouvelles. 

«Croire que l’on peut renoncer à la libre circulation des personnes sans que cela n’ait aucun impact sur nos relations avec l’UE n’est pas réaliste»

Il pleut des cordes en ce lundi après-midi sur le bâtiment imposant de la Bernerhof à côté du Palais fédéral. A l’intérieur, dans son bureau du troisième étage, Jacques de Watteville, Secrétaire d’Etat et négociateur en chef auprès de l’Union européenne, nous attend. Malgré son emploi du temps surchargé, il a accepté d’accorder une heure à une petite délégation du Nouveau mouvement européen Suisse (Nomes) afin de réaliser une interview pour le journal de l’organisation. Entouré de trois de ses collaborateurs, M. de Watteville paraît détendu, et ce malgré les soucis qui pèsent actuellement sur ses épaules de diplomate et les nombreux déplacements à l’étranger – il était tout juste de retour de Washington.

La première des questions qu’on lui pose est incontournable: pourquoi diable les médias ont-ils toujours parlé de lui comme d'un «super-négociateur», est-il une sorte de superhéros? «Je ne sais pas d’où me vient l’étiquette de super-négociateur, pas de moi en tout cas. Nous travaillons en équipe sur la base des instructions du Conseil fédéral et je suis surtout là pour renforcer la coordination entre les différentes instances compétentes et faciliter le dialogue avec l’UE». La question de son rôle résolue, nous entrons dans le vif du sujet: l’après-9 février 2014 et l'avenir des relations entre la Suisse et l’UE. «Le Conseil fédéral avait averti des conséquences d’un «oui» à l’initiative». Et de rajouter que «l’immigration européenne en Suisse est importante et a des répercutions que l’on ne peut nier [ce qui] crée un malaise dans certaines régions dont il faut prendre acte et auquel il faut remédier. Cependant, croire que l’on peut renoncer à la libre circulation des personnes sans que cela n’ait aucun impact sur nos relations avec l’UE n’est simplement pas réaliste».

Très vite, la conversation bifurque sur la double annonce faite le 4 mars dernier par le Conseil fédéral de sa volonté de signer le protocole d'extension de la libre circulation des personnes à la Croatie et de mettre en place une clause de sauvegarde unilatérale si aucun accord ne devait être trouvé avec l’UE. Un pas en avant et deux en arrière? «Ce sont tous des pas en avant, mais pas tous sur les mêmes rails, répond le Secrétaire d'Etat. La Constitution impose, sur la base de la volonté populaire, que nous ayons une solution en place d’ici à février 2017. Pour ce faire, le dernier moment pour présenter un projet de loi au Parlement était mars 2016. A cette date, et en l’absence d’une solution négociée avec l’Union, il ne restait pas d’autre choix que de présenter une solution non négociée, à savoir une solution unilatérale». Ainsi, ce ne serait donc pas par choix que cette clause a été présentée et une solution en accord avec l’UE resterait privilégiée: «Nous avons fait tout un travail d’explication au niveau européen, en soulignant que la priorité pour la Suisse est d’arriver à trouver une solution agréée par les deux parties».

Enfin, le dernier gros volet que nous abordons concerne les questions institutionnelles. En effet, avant la votation du 9 février 2014, les négociations allaient bon train pour mettre en place un accord-cadre, à savoir des «mécanismes devant permettre aux accords d’accès au marché de mieux fonctionner et donc à terme de renforcer la voie bilatérale». Où en sont les travaux? «Trois quarts du travail est fait. Il ne reste que deux aspects importants encore ouverts: le règlement des différends et les conséquences d’un différend persistant». Une broutille? Pas sûr, car tout dépend de «la volonté politique des parties».

Conscient d’avoir brossé un portrait plutôt sombre des relations entre la Suisse et l’UE, Jacques de Watteville tient à nuancer: «Il est vrai que les problèmes sont réels, que la situation est complexe, mais il est aussi vrai qu’il y a un réel intérêt du côté de l’UE d’améliorer le cadre de ses relations avec la Suisse. Notre pays est un partenaire important sur le plan commercial et économique. Il y a plus de 300'000 frontaliers qui viennent tous les jours en Suisse, le commerce entre la Suisse et l’UE dépasse 1 milliard de francs par jour ouvrable. Cela se traduit par une ouverture au dialogue des deux côtés et une disponibilité à chercher ensemble des solutions qui soient réalistes». Car n'oublions pas que les chiffres évoqués par le Secrétaire d'Etat représentent aussi (surtout?) un intérêt pour la Suisse dont l'UE est le principal partenaire économique.

C’est sur ces réflexions que nous prenons congé, songeurs. Les défis paraissent nombreux, mais à aucun moment M. de Watteville ne semble se départir d’un optimisme indéfectible. Un gros point noir pourrait cependant venir ternir cet enthousiasme: un Brexit le 23 juin prochain qui verrait tout espoir d'aboutir à une solution concertée avec l'UE avant le délai de février 2017 anéanti…

L’intégralité de l’interview est à retrouver dans la nouvelle édition du magazine du Nomes « europa.ch »

Commémorations de Verdun ou comment se perdre en polémique inutile

Quelle plus belle façon de commémorer le passé qu’à travers la jeunesse réunie de deux anciens ennemis? C'est ce que l'on aurait dû retenir de la cérémonie qui s'est déroulée à Verdun en ce 29 mai 2016 pour le centenaire de l’une des batailles les plus sanglantes de la Première Guerre mondiale. Retenir les discours émouvants et l'accent mis sur l'importance de l'Europe – l'importance de porter une ambition européenne et de ne pas céder aux nationalismes afin que l'Histoire ne se répète pas.

Car les mots prononcés aujourd’hui ne sont pas de ceux qu’on oublie: «(…) Reconnaissons lucidement que l’Europe est fragile. La France et l’Allemagne ont des responsabilités particulières. Celle de porter une ambition européenne. De donner les moyens à l’Europe d’agir dans le monde. De mettre fin à des conflits qui sont à nos portes», a notamment déclaré François Hollande. Et Jean-Claude Juncker d’ajouter: «Ceux qui ont des doutes sur l’Europe devraient visiter nos cimetières de guerre. L'Europe est née du «plus que jamais ça» de Verdun et plus que jamais l'Europe doit rester unie.» Et Angela Merkel de conclure: «Le souvenir est omniprésent et nous devons préserver cette mémoire. Seuls ceux qui connaissent le passé peuvent en tirer des leçons et forger un bel avenir».

Malgré la solennité des discours qui invitaient à la réflexion sur l’avenir de notre continent, nombreux sont ceux – le Front National (FN) en tête – qui se sont perdus en futilité et en polémique inutile autour de la mise en scène qui a eu lieu durant la cérémonie. Au cours de celle-ci, 3400 jeunes Français et Allemands ont évoqué les combattants de la Grande Guerre, en surgissant de la forêt au son de la Marche héroïque, avant de venir s'effondrer au pied de l'ossuaire au rythme des Tambours du Bronx, fauchée par la Mort juchée sur des échasses. Une belle image dans laquelle les mécontents ont vu un manque de respect aux morts dont les jeunes ont foulé la tombe en courant.

Pour ma part, je trouve le symbole de cette mise en scène très fort. Parce que dans ces tombes reposent des soldats qui avaient peut-être le même âge que les jeunes présents ce dimanche à Verdun. Parce que les commémorations servent à penser à avant pour mieux réussir l’après. Parce que ce sont les jeunes d'aujourd'hui qui construiront l'Europe de demain et qui devront faire en sorte que les soldats d'hier ne soient pas morts en vain. Parce que ce sont 3400 jeunes qui n'oublieront pas ce 29 mai 2016 et que, pour eux, l'Europe signifiera quelque chose désormais. Et, enfin, parce qu’un peu de dynamisme et de couleur sont porteurs d’espoir sous la pluie battante d’un nationalisme grandissant.

Le 9 mai 2082

En ce 9 mai 2016, nous célébrons la Journée de l'Europe, en souvenir d'un autre 9 mai, en 1950, où la première pierre du projet européen a été posée. Car il y a exactement 66 ans, Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères français, a uni dans un même futur la France, l'Allemagne de l'Ouest, l'Italie, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg en suggérant la création d'une Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA).

Six décennies après, la CECA a laissé place à une alliance agrandie de pays, l'Union européenne (UE). Malgré ces avancées importantes qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, auraient semblé impossibles, de nombreux défis attendent l'UE ces prochaines années  et non des moindres  qui mènent tous à cette question: l'Europe est-elle encore fidèle à ce qu'avaient imaginé les pères fondateurs? En ce 9 mai 2016, il serait bon de se replonger dans la Déclaration Schuman du 9 mai 1950.

«La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent». C'est par ces mots centraux que commence la Déclaration Schuman, rappelant que rien ne pourra être atteint sans un travail intense. A cela s'ajoute également la solidarité nécessaire pour accomplir ces efforts, ainsi que de la patience: «L'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble: elle se fera par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait». C'est donc un appel à la solidarité, aux efforts et à la patience qui a formé «les premières assises concrètes d'une Fédération européenne indispensable à la préservation de la paix» et a permis de changer à jamais «le destin de ces régions longtemps vouées à la fabrication des armes de guerre dont elles ont été les plus constantes victimes»[1].

Que reste-t-il aujourd'hui de ces premières pierres, valeurs centrales du projet européen? Force est de constater qu'elles sont en proie à des maladies ayant pour nom nationalisme, isolationnisme et frontières et qu'elles ont revêtu une couverture noire cousue des peurs de l'Autre et brodée de fausses promesses de sécurité et de prospérité.

Et si nous tournions l'horloge du temps jusqu'au 9 mai 2082, soit dans exactement 66 ans, que sera devenue l'UE? Sera-t-elle ravagée par une guerre civile entre ses Etats-membres ou au contraire les réformes nécessaires auront-elles été appliquées, la démocratie renforcée et les nationalismes maîtrisés? Les citoyens de l'Europe auront-ils dû immigrer en Syrie et en Afganistan, devenus un Eldorado de paix et de richesse ou vivront-ils en harmonie sur un territoire multiculturel?

Je n'ai pas de réponse à ces questions mais je sais une chose: nous sommes à mi-chemin entre 1950 et 2082. Il n'est donc pas trop tard pour remettre l'UE sur la voie imaginée par les pères fondateurs. Mais ne perdons pas trop de temps pour créer cette «Europe qui parle d’une seule et même voix […] dans toutes ses langues, de toutes ses âmes»[2], car l'horloge tourne. Inexorablement.

 


[1] Retrouvez la déclaration dans sa totalité sur le site http://europa.eu/about-eu/basic-information/symbols/europe-day/schuman-declaration/index_fr.htm

[2] Citation du poète portugais Fernando Pessoa (1888-1935)

 

Cher Monsieur Köppel…

Cher Monsieur Köppel,

Bravo, depuis hier et votre coup d’éclat face à Mme Sommaruga, vous avez enfin réussi à faire parler de vous en Suisse romande. Car jusqu’ici, il faut bien dire que les Romands avaient plutôt été épargnés par vos frasques et n’avaient pas pris pleinement conscience des nébuleux méandres de votre personnalité.

Ainsi, bien que beaucoup se soient indignés de la montée de l’UDC lors des dernières élections fédérales, peu sont ceux qui ont prêté une grande attention au fait que vous ayez été le conseiller national le mieux élu de Suisse. Quant au fait que vous exerciez la double fonction de parlementaire et de rédacteur en chef de la Weltwoche, cela n’a semblé gêner personne, parlement de milice oblige.

Cette gémellité pose cependant quelques questions fondamentales: n’y a-t-il pas un conflit d’intérêt entre les deux fonctions – l’une invoquant la prise de décisions et l’autre consistant à recueillir, vérifier ou commenter des faits pour les porter à l'attention du public? De plus, la Weltwoche n’est-elle pas devenue purement et simplement un journal de propagande UDC?

En effet, l’hebdomadaire que vous dirigez depuis 2001 et que l’ouest de la Suisse connaît surtout pour son article publié en 2012 qui prétendait que les travailleurs romands étaient «les Grecs de la Suisse», est depuis sa création en 1933 clairement positionné à droite. Voire très à droite puisque les fondateurs se sont tout d’abord montrés favorables au nazisme avant de changer progressivement d’opinion, tout en gardant le cap à droite au gré des changements successifs à sa tête.[1] Enfin, sous votre houlette, le journal s’est fixé sur la ligne conservatrice et néo-libérale, montrant un soutien indéfectible à l’UDC. Dernièrement, vous avez même osé opérer un retour en 1933 en publiant, alors même que vous étiez déjà conseiller national, un éditorial vantant les mérites de Hermann Göring, le bras droit de Hitler. Fait choquant s’il en est, il est resté absolument sans conséquences. Pire encore, seul Le Temps s’en est inquiété en Helvétie francophone.  

Ce qui est également choquant sous votre double casquette, c’est la visibilité qu’elle donne à vos propos. Ainsi, en Suisse alémanique, vous apparaissez non seulement chaque semaine dans la Weltwoche, mais aussi très souvent dans les autres médias en raison de vos fréquentes provocations. Mais la dernière en date fut certainement l’une des plus productives: quoi de mieux en effet de pouvoir utiliser votre casquette parlementaire pour déverser votre venin sur Mme Sommaruga, sur l’Union européenne et sur les étrangers, ce que vous aviez déjà largement fait en tant que journaliste? Et être récompensé pour cela par une large visibilité dans le pays?

Cher Monsieur Köppel, il me reste une dernière chose à vous dire: aussi anti-européen que vous soyez, vous n’êtes finalement pas si différent de vos collègues européens du Front national en France, de l’Alternative pour l’Allemagne ou encore du Parti de la liberté en Autriche. Sauf que chez nous, vous pouvez l'être en toute impunité, avec une visibilité médiatique certes, mais sans réelle contestation. Pour l'instant.

 

 


[1]CF. Kreis, G, Historisches Lexikon der Schweiz: http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/d/D43056.php (27.04.2016)