«A Lugano, j’ai appris ce que sont les valeurs européennes»

Italo-américaine et Suissesse, née au Tessin, Elly Schlein est une députée italienne au Parlement européen. Lors sa venue en Suisse le 29 avril dernier, elle a évoqué la crise actuelle que traverse l’UE, proposé quelques pistes pour relancer le processus d’intégration européenne et rappelé l’importance des relations entre la Suisse et l’UE.

 

Elly Schlein, vous êtes née et vous avez grandi en Suisse, au Tessin, un canton particulièrement opposé à l’UE. D’où vient alors votre sentiment proeuropéen?

Elly Schlein : Il me vient de mon père, qui, bien que de nationalité américaine, est l’une des personnes les plus proeuropéennes que je connaisse. Peut-être parce que sa famille a connu la tragédie de la Seconde Guerre mondiale et que celle-ci lui a fait comprendre la nécessité historique de créer l’Union européenne (UE). Il est vrai que j’ai grandi dans un canton qui n’est pas particulièrement proeuropéen, mais je porte dans mon cœur l’expérience d’avoir été à l’école à Agno et à Lugano où j’ai appris que la diversité est une richesse. J’ai eu la chance de pouvoir grandir au milieu de camarades suisses, italiens, portugais, albanais, bosniaques et kosovares et cela m’a appris que nous sommes finalement tous égaux. Ces valeurs, je les ai en moi et ce sont les valeurs au cœur du projet européen.

Quelle a été l’influence du vote du 9 février 2014 [l’acceptation en Suisse de l’initiative « contre l’immigration de masse »] sur votre fonction de députée européenne?

Le vote m’a beaucoup déçue. C’était un vote émotionnel qui n’a pas permis aux citoyens de comprendre quel était l’enjeu véritable, à savoir les relations de la Suisse avec l’UE. Nous ne pouvons pas demander à l’UE de renoncer à l’un de ses piliers fondamentaux qu’est la libre circulation des personnes. Quand des citoyens sont confrontés à des incertitudes, à des problèmes économiques, au chômage, c’est une constante historique qu’ils s’en prennent aux étrangers. Mais je crois que l’histoire de la Suisse montre que la diversité est une richesse. Nous avons un pourcentage élevé d’étrangers, mais notre pays a une grande tradition d’intégration, d’accueil et de compréhension du bénéfice que nous pouvons en tirer. L’influence de cette tradition explique que je m’occupe beaucoup des questions migratoires dans l’UE et que je le fasse dans cet esprit de recherche de solidarité au niveau européen: les personnes ne fuient pas vers l’Italie ou la Grèce, mais vers l’UE, et c’est pour cette raison qu’il importe de partager les responsabilités.

Vous parlez de la menace sur la libre circulation. Comment faire en sorte que ce principe fondateur de l’UE ne disparaisse pas ces prochaines années?

Aujourd’hui, une minorité d’Etats-membres doivent affronter seuls la majorité des demandes d’asile de toute l’UE. Cet état de fait contrevient à la solidarité et à la répartition égale des responsabilités dont parlent les traités. Ces principes ne sont pas respectés, car l’égoïsme national règne dans certains Etats qui ne veulent pas remplir leur devoir. Il faut que les Etats-membres comprennent que renoncer à Schengen coûte plus cher que de mettre en œuvre des solutions communes dans les domaines de la migration et de l’asile. Le Parlement propose de mettre en œuvre un mécanisme de distribution des responsabilités entre les Etats membres, des voies légales et sûres d’accès pour les réfugiés; d’autre part, il essaie de rappeler qu’aucun Etat ne peut affronter seul ces questions, alors que, répartie également entre les Vingt-huit, la situation deviendrait non seulement acceptable pour tout le monde, mais de plus bénéfique pour les communautés locales.

Vous faites partie des plus jeunes parlementaires européens.Comment assurez-vous concrètement que la voix des jeunes soit entendue à Strasbourg?

Je pense que les jeunes ne devraient pas avoir besoin d’autres personnes pour faire entendre leur voix. Ils devraient le faire eux-mêmes en participant et en s’intéressant davantage à la vie politique. Je n’avais jamais envisagé de devenir aussi active en politique, mais je ne me sentais pas représentée au sein de cette politique désillusionnée. J’ai fait le saut au moment où j’ai compris qu’en nous éloignant de la politique par dégoût, nous renforçons en fait la position de ceux qui continuent de l’exercer. Ainsi, si nous voulons changer les choses, nous n’avons pas le choix : il nous faut retrousser nos manches et essayer d’incarner le changement que nous voulons voir venir dans la société.

Et qu’en est-il du Brexit dont les premiers effets négatifs se sont fait sentir ? Cela pourrait-il convaincre les Etats qui seraient tentés de sortir de l’UE d’y rester ?

Il faut faire comprendre aux gens que les Etats ne peuvent pas sortir de l’UE et né- gocier des conditions analogues à celles qu’ils avaient en étant membres. Si l’idée se propage qu’il soit possible de sortir de l’UE tout en gardant les avantages sans partager les responsabilités ou la libre circulation, ce sera un désastre. Parce que d’autres pays pourraient alors se mettre sur la liste pour bénéficier du même traitement. Il nous faut donc rester unis.

Malgré ces menaces, on a vu ces derniers mois une grande mobilisation des citoyens en faveur de l’UE. Est-on en train d’assister à un effet-Trump inversé?

Oui, j’en suis convaincue. C’est dommage qu’aujourd’hui les partis, les mouvements et les syndicats ne réussissent plus à stimuler une mobilisation pareille, mais je trouve très positif qu’elle ait lieu et qu’elle marque un premier pas vers le rapprochement de la population et des corps intermédiaires de la politique, comme les partis. Une grande mobilisation populaire est essentielle pour accompagner et renforcer notre action institutionnelle, afin de surmonter l’égoïsme national des gouvernements qui bloquent l’UE et pour déjouer la rhétorique nationaliste en démontrant que les défis à venir ne se résoudront pas au niveau national, mais au niveau supérieur, soit au niveau européen.

Sous quelle forme voyez-vous l’UE de demain?

Nous sommes en train de vivre l’une des crises les plus graves de l’UE depuis sa création. En arrivant au Parlement, je n’aurais jamais imaginé voir s’écrouler Schengen, assister au Brexit, être confrontée à l’impuissance des gouvernements européens face à la crise des réfugiés. Mais, et il y a un mais, il importe de dénoncer une grande hypocrisie dans cette histoire. De nombreux gouvernements ont nationalisé les succès de l’UE tout en faisant jouer à celle-ci le rôle de bouc-émissaire de tous les échecs, y compris nationaux et pour lesquels l’UE n’a pas de compétences, ni de responsabilités. Presque tous les gouvernements utilisent cette rhétorique anti-Bruxelles quand ils en ont besoin. Dans ces conditions, il ne faut donc pas s’étonner que les citoyens ne voient plus quels sont les effets concrets du projet européen dans leur vie quotidienne.

Comment remédier à cela?

Il faut renforcer la démocratie au sein de l’UE et du Parlement. Il faut avoir une opinion publique vraiment européenne, des mouvements, des syndicats et des partis européens, et aussi une presse plus européenne. Il faut un fact-checking constant à propos de toutes les fausses déclarations qui la concerne, il faut mettre sur pied une grande campagne relative à toutes les prestations positives de l’UE que les citoyens semblent ne pas percevoir et construire des solutions communes pour résoudre les défis actuels de l’UE. Les gouvernements, prisonniers de leur égoïsme, doivent enfin comprendre qu’il n’y a pas de sens à défendre un intérêt national face à de tels défis, l’intérêt national devant rejoindre l’intérêt commun. L’effort commun est d’abord de se doter d’une vision commune pour surmonter cette crise.

Pour finir, quels sont les trois mots qui définissent l’UE pour vous?

Fragile, nécessaire et ouverte. Plus que jamais, il est clair que le projet européen est fragile. Il est jeune et doit être encore complété, mené à terme, car l’UE actuelle est encore fort éloignée de ce que l’Union des Fédéralistes Européens (UEF) avait revendiqué dans le Manifeste de Ventotene. Nécessaire, car les défis de ce monde interconnecté et globalisé ont besoin de ré- ponses qui dépassent le niveau national. Ouverte, car c’est ce que doit être l’UE, ce que doit raconter son histoire qui est celle de la diversité et de l’union dans la diversité, celle qui fait valoir l’égalité dans les différences.

 

Biographie

Née à Lugano en 1985 de mère italienne et de père américain d’origine ukrainienne, Elly Schlein a suivi toute sa scolarité au Tessin en Suisse avant d’étudier le droit à l’université de Bologne. Elle s’est ensuite rendue à deux reprises aux États-Unis comme volontaire dans la campagne électorale de Barack Obama. Elle a été une des principales animatrices d’Occupy Pd, le mouvement né après l’échec de la candidature de Romano Prodi à la pré- sidence de la République. En février 2014, elle a présenté sa candidature au Parlement européen dans la circonscription Nord-Ouest et a mené une campagne électorale appelée slow foot. Le 25 mai 2014, elle est élue au Parlement européen avec 53 681 voix et devient membre de la Commission du développement.

Caroline Iberg

Caroline Iberg a travaillé entre 2013 et 2017 au Nouveau mouvement européen Suisse (Nomes). Elle est désormais chargée de communication à Strasbourg.

Une réponse à “«A Lugano, j’ai appris ce que sont les valeurs européennes»

  1. Pour commencer, l’égalité n’existe pas, c’est un concept, une théorie, de l’abstrait, qui s’oppose à la réalité et au concret.

    Tellement de naiveté dans tous ces propos, tellement de naiveté que ça devient affligeant de voir que c’est ce genre de personnes qui est appelé à avoir des responsabilités dans l’UE de demain.

    Quand on lit de tels propos, on a envie de voter UDC. La Suisse avec 25% d’étrangers et près de 75% d’étrangers dans ses prisons n’est plus la Suisse dans un certain nombre d’endroits, tels Genève.

    Genève qui ne ressemble à rien, on ne sait pas trop ou on est. Ce sont les mêmes qui vous expliqueront que la Suisse sera encore la Suisse si elle avait plus de 50% d’étrangers dans sa population.

    Finalement, le dénominateur commun de tous ces “jeunes idéalistes” n’est pas leur sottise immense et insondable mais le fait que cela fasse partie de la vie.

    Soupir.

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