La solidarité reste passible de sanctions

Ces dernières semaines, plusieurs actualités concernant une «aide illégale» accordée à des réfugiés ont fait la une des journaux. Ainsi, Cédric Herrou, agriculteur français, a été condamné à 3000 euros d’amende pour avoir aidé des migrants à passer la frontière. Manuel Donzé, député vaudois, a été perquisitionné le 14 février pour avoir hébergé un jeune Afghan.

Des réfugiés marchent le long d’une route, l’air épuisé et affamé. Sans nul doute, ils se sont égarés. Un homme de la région les voit et décide de les emmener à la gare, ce qui relève de l’aide la plus élémentaire, la plus naturelle. Et pourtant. C’est pour cet acte, entre autres aides accordées à des migrants, que Cédric Herrou, agriculteur français de 37 ans, a été condamné le 10 février dernier à 3000 euros d’amende.

14 février 2017, 6h15. La police débarque dans un appartement vaudois visiblement à la recherche de quelqu’un. Un dangereux suspect ? Non, un réfugié afghan débouté qui doit être expulsé vers l'Allemagne que le député Manuel Donzé loge chez lui depuis novembre 2016. Un accueil qui a par ailleurs été annoncé au Service de la Population.

Est-on ici face à ce qu’on appelle un «délit de solidarité»? Ce même délit que Manuel Valls affirmait en 2012 avoir «abrogé», malgré le fait qu’il n’existe pas en tant que tel dans les textes de lois?

Si l’on se plonge dans le code français de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), on constate que la loi sur l’immigration stipule qu’aucune poursuite ne peut être engagée si l’acte d’aide «n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consiste à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien tout autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de ­celui-ci». Cependant, et l’affaire Cédric Herrou le montre, de nombreux cas de poursuites sont encore et toujours recensés. La raison en est simple : lors de la modification de la loi, l’article L. 622-1, qui prévoit que toute personne qui «aura facilité le séjour et la circulation d’un étranger» encourt jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, a été conservé. Ceci dans le but de lutter contre les réseaux clandestins de passeurs et de trafics humains, même si ce sont souvent des citoyens et des bénévoles qui ont font les frais.

Côté suisse, l’article 116 de la loi fédérale sur les étrangers punit «l’incitation à l’entrée, à la sortie ou au séjour illégaux». Ainsi, héberger un étranger sans permis de séjour est passible d’une amende, voire d’une peine de prison. C’est l’expérience que M. Donzé vit actuellement, malgré l’annonce faite auprès des autorités. Mais d’un côté comme de l’autre, il semble que ces articles de loi soient surtout le fruit d'une interprétation trop large de la convention de Schengen du 19 juin 1990 qui oblige les États membres à «instaurer des sanctions appropriées à l’encontre de quiconque aide ou tente d’aider, à des fins lucratives, un étranger à pénétrer ou à séjourner sur le territoire d’un État de l’espace Schengen». Alors que l’infraction prévue par la convention de Schengen vise très explicitement et exclusivement les comportements motivés par «des fins lucratives», elle a été étendue à toute forme d’aide aux réfugiés.

S’il apparaît que ces mesures sont surtout là pour intimider et n’aboutissent pas souvent – en tous les cas pour ce qui est de la France et de la Suisse – à de lourdes peines, elles poussent tout de même à la non-assistance à personnes en danger. En outre, elles s’inscrivent dans une volonté de plus en plus accrue de fermeture des frontières et de renforcement des contrôles en Europe. Le site «asile.ch» dénonçait en 2007 déjà cette politique «qui pousse les migrants à choisir des itinéraires toujours plus dangereux et à dépendre toujours plus de filières mafieuses. [Elle] entraîne ainsi la mise en danger accrue de populations particulièrement vulnérables. Elle est la cause effective de la mort de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants. »

La semaine dernière, des rassemblements ont été organisés à Paris pour soutenir ce qu’ils appellent les «délinquants solidaires». Mais plus qu’une mobilisation française ou suisse, c’est une réforme européenne du système Schengen-Dublin qui doit être mise en place et ce urgemment. Le problème, et non des moindres, est qu’aucun consensus sur les propositions faites jusqu’à présent par la Commission européenne n’est en vue, les pays de l’Est de l’Europe faisant bloc contre celles-ci. Le projet exprimé par Robert Schuman dans sa déclaration du 9 mai 1950 reste donc d’une nécessité brûlante: «L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble: elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait».

Caroline Iberg

Caroline Iberg a travaillé entre 2013 et 2017 au Nouveau mouvement européen Suisse (Nomes). Elle est désormais chargée de communication à Strasbourg.