Le mot «jungle» ne vous choque-t-il pas?

Il a beaucoup été question cette semaine de la «jungle de Calais» et de son démantèlement.  Et pour cause. Des centaines de journalistes du monde entier ont été dépêchés sur place, cohorte hystérique dont certains n’ont eu aucun scrupule à passer outre les règles les plus élémentaires de l’éthique du métier. Ainsi, micros et flashs braqués sur une file d’hommes et de femmes au regard perdu, ils étaient plus de 700 à traquer le moindre scoop, la moindre photo qui ferait le tour du monde. Au point d’arriver à dégoûter les plus aguerris d'entre eux (lire à ce sujet l’émouvant article du Monde Journalistes à Calais : la loi de la «jungle»?).  

Mais ce qui me heurte le plus dans la longue liste de faits choquants à ce sujet – c’est-à-dire outre la récupération politique indécente, l’absence de politique d’immigration cohérente ou encore la solidarité quasi inexistante des pays voisins – c’est le terme de «jungle». Car ce dernier m’évoque immédiatement un lieu menaçant, peuplé d’espèces sauvages, où règne la loi du plus fort. En utilisant ce terme, des centaines de personnes en détresse sont comparées à des animaux dangereux et exotiques parqués dans un zoo.

Certes quand on prend le temps de rechercher l’origine de ce terme, on apprend qu’«originellement, le substantif «jungle» est la transposition littérale de l’anglais «jungle», qui désigne une végétation dense que l’on trouve dans les pays tropicaux. Le mot anglais a lui-même été inspiré du terme hindou «jangal» et de l’adjectif sanskrit «jangala» qui signifie «aride». Il y a donc eu un glissement de sens d’une zone inhabitée désertique vers celui d’une végétation dense où la forêt ne laisse pas passer la lumière, impénétrable. Les migrants de Calais ont eux-mêmes recours au terme de «jungle». Mais ils l'utilisent en anglais, et dans cette langue le terme est beaucoup moins péjoratif». [1] Bien sûr, en lisant cette explication – mais qui a déjà pris la peine de le faire ? – on comprend mieux l’utilisation de ce terme. Toutefois, voulons-nous vraiment le cautionner ?

Cette question, les milieux d’aide aux réfugiés l’ont déjà réglée, préférant le mot «bidonville» à celui de «jungle», jugé trop péjoratif. Même chose du côté de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra). Il serait donc grand temps que les médias suivent aussi cette ligne, permettant ainsi de redonner aux migrants leur vrai visage: celui d’hommes et de femmes sans ressources à la recherche d’un lieu d’accueil, loin de leur chez eux en guerre. Et non un troupeau d’animaux dangereux en quête de proies européennes. Car si le camp de Calais est désormais presque inhabité, tout laisse à croire qu’un autre viendra le remplacer, ici ou ailleurs.

[1] cf. http://www.lci.fr/societe/calais-parler-de-jungle-est-ce-raciste-1504542.html

Caroline Iberg

Caroline Iberg a travaillé entre 2013 et 2017 au Nouveau mouvement européen Suisse (Nomes). Elle est désormais chargée de communication à Strasbourg.