Juncker ne tolérera pas de libre circulation à la carte

«Le marché intérieur et la libre circulation des personnes ne peuvent pas être à la carte». S’il y a une phrase que les Suisses doivent retenir du discours de Jean-Claude Juncker, Président de la Commission européenne, sur l’état de l’Union européenne (UE) prononcé au Parlement européen mercredi 14 septembre, c’est celle-là. En effet, alors que le Conseil fédéral n’a toujours pas trouvé de solution concertée avec l’UE sur la mise en œuvre de l’initiative «contre l’immigration de masse», cette tirade sonne comme un avertissement. Et ce juste avant la rencontre entre le président de la Commission et le président de la Confédération, prévue lundi 19 septembre à Zurich.

Pourtant, il semblait que la Commission des institutions politiques avait trouvé la meilleure option pour résoudre le dilemme entre limitation de l’immigration et libre circulation des personnes. Elle a ainsi proposé de favoriser les travailleurs résidant en Suisse et, si cela ne suffit pas, de prendre des mesures correctives, faisant de ce fait son possible pour épargner ses relations avec sa grande voisine. Il apparaît toutefois que l’UE ne l’entend pas de cette oreille. En effet, dans un document interne de la Commission européenne daté du 12 septembre, celle-ci estime que ce n’est pas au gouvernement suisse de décider ce qui viole ou non l’accord de libre circulation. D’où l’importance, selon elle, de mettre en place un accord institutionnel. Mais c’est là que le bât blesse : cela fait des années que les négociations sont en cours pour conclure cet accord-cadre nécessaire à la poursuite des relations bilatérales entre les deux parties. Or, aucun compromis n’a pu être trouvé jusqu’à présent. Pire, les discussions semblent au point mort depuis que les Suisses ont décidé de réintroduire des contingents.

Mais alors que ces questions revêtent une importance capitale pour la Confédération, elles ne semblent pas vraiment affecter l’UE. Car en ce mercredi 14 septembre, et bien que l’acceptation du protocole avec la Croatie fût à l’ordre du jour des votes du Parlement européen, aucun mot sur la Suisse n’a été prononcé et le protocole a été accepté dans l’indifférence générale. Celui-ci est pourtant loin de laisser insensible à l’autre bout du Rhin. En effet, de la ratification de celui-ci dépend la participation de la Suisse aux programmes européens Horizon 2020, Erasmus et MEDIA. A noter que les deux chambres ont toutefois décidé de ne pas ratifier ledit protocole tant qu’aucune solution à la mise en œuvre de l’initiative sur les contingents n'aura été trouvée. Un vrai casse-tête.

Néanmoins, le silence européen envers le petit voisin bilatéral s’explique moins par un manque d’intérêt que par le fait que l’UE a bien d’autres préoccupations, trois mois après le Brexit. Jean-Claude Juncker l’a d’ailleurs exprimé clairement: l'année à venir sera décisive pour le futur de l’Europe. Dans son discours, il a ainsi énoncé des propositions concrètes et réalistes, loin du lyrisme et de l’enthousiasme dont il a pu faire preuve par le passé. Enfin, à l’issue de son bilan, il s’est même laissé aller à l’expression de quelques regrets: «J’ai l’impression que beaucoup ont oublié ce que cela signifie d’être européen. Ce que cela signifie de faire partie de cette Union d’Européens. Il faut se rappeler pourquoi les nations d’Europe ont choisi de travailler ensemble. L’Europe est synonyme de paix. Et parfois, nous nous affrontons. Mais nous nous affrontons avec des mots. Et nous réglons nos conflits autour d’une table, pas dans des tranchées». Et de conclure : «Nous devons en finir avec cette vieille rengaine selon laquelle le succès est national, et l'échec européen». 

Caroline Iberg

Caroline Iberg a travaillé entre 2013 et 2017 au Nouveau mouvement européen Suisse (Nomes). Elle est désormais chargée de communication à Strasbourg.