Extrait de séance

Extrait de séance – c’est de nouveau moi le problème

La neige les a retardés d’un quart d’heure. John lui avait proposé de m’appeler pour annuler la séance mais Emily voulait se battre pour venir. Ils sont en froid, électriques.

 

John :

Ça m’énerve déjà. On va parler de ça et c’est de nouveau moi le problème

 

John se sent facilement humilié et inférieur, et Emily a un côté sauveuse et battante qui l’amène à valoriser John et à tenter de lui donner confiance ; cet élan noble a un effet inverse : John est alors catapulté dans ses souvenirs d’enfance où l’attitude supérieure de la maîtresse d’école lui fait se sentir inculte, incapable et imbécile. Leur situation est en elle-même un déclencheur : John a été cancre à l’école et est actuellement au chômage, Emily a fait de hautes études et son entreprise compte plusieurs dizaines d’employés.

 

John :

C’est la 3ème séance où on parle de ça. Toute l’attention est portée sur moi et je ne le supporte pas. J’ai l’impression d’être un mauvais petit garçon qui se fait gronder par sa maîtresse, et que c’est moi le problème. Elle est tellement intelligente que vous vous faites avoir aussi, et de nouveau on ne parle pas d’elle

Emily (à lui) :

On ne s’est pas trouvés par hasard, et moi aussi j’ai mes trucs perso que t’actives, tu le sais très bien

Moi :

Vous me tendez une perche et je vous remercie. On pourrait parler de vous bien sûr, et ce serait sans doute important, mais juste là on est en face de ce schéma que vous connaissez si bien et qui à nouveau constitue un obstacle à votre relation

John :

Ça y est

Moi :

J’aimerais aussi vous dire que pour moi ce n’est pas vous le problème, mais le fait que vous ne souhaitez pas ou n’avez pas le courage de regarder en face cette partie inconsciente. Je vous trouve au contraire intelligent et plein de ressources

           

Je sens qu’on est au cœur de la problématique, et pourtant qu’il ne faut pas en parler. Il existe deux élans contradictoires en moi…

 

Moi :

Je suis pris entre deux mouvements apparemment incompatibles : d’un côté je suis votre thérapeute de couple et donc c’est important pour moi de répondre à votre demande de couple, et de l’autre (je me tourne vers John) c’est également important pour moi de respecter mon ressenti qu’il ne faut pas parler de ce schéma répétitif, en tout cas pas maintenant

John :

Vous auriez continué tout à l’heure, je serais parti

Moi :

Oui, j’ai bien senti. Et parce que je ne suis pas capable de mentir et de faire semblant que je n’ai pas vu ce schéma ou qu’il n’existe pas, je suis très embêté. Je vois trois possibilités : vous êtes d’accord de l’aborder sous la forme d’un travail individuel, de le travailler dans nos séances de couple, ou vous n’êtes pas d’accord et dans ce cas je crois qu’il faut mettre un terme à nos rencontres. Je vous laisse réfléchir, sentir, et vous me dites dès que vous avez une réponse

 

Un silence de quelques secondes remplit l’espace, puis j’annonce la fin de la séance.

 

 

 

Extrait de séance est une série d’articles qui propose un aperçu de ce que peut être la réalité de notre travail de psy, en mettant en lumière des instants particuliers. NB : Pour respecter le secret professionnel certaines informations sont modifiées.

 

Credit photo: Madison Mc
(Elle a fait ce montage suite à une proposition que lui a fait son thérapeute d’illustrer son expérience des séances).

 

Découvrez des extraits de séances et d’autres moments inédits de dévoilement du thérapeute dans mon ouvrage « Dans la peau du psy »

Thomas Noyer

Thomas Noyer travaille comme psychologue-psychothérapeute (adultes et couples) et superviseur au Cabinet Sens à Neuchâtel. Il anime des groupes sur le masculin et les troubles alimentaires. Il écrit dans un blog personnel et contribue aussi à un blog collectif, où il s'exprime surtout sur la psychothérapie humaniste. Il est aussi l'auteur de "Dans la peau du psy" (2023).

5 réponses à “Extrait de séance – c’est de nouveau moi le problème

  1. Ce n’est pas du couple que vous nous présentez que je désire parler, puisque je ne sais presque rien de lui, mais de la simple situation de départ :

    Deux personnes s’aiment et souffrent pour quelque chose. Elles viennent chez vous pour tenter de comprendre « ce qui se passe » entre elles en vous décrivant les situations, ce qu’elles disent et font, sans parvenir à aboutir à une entente.

    Et la question que je voudrais vous poser, excusez-moi si je n’arrive pas à bien l’exposer, ce n’est pas facile quand j’y pense, je vais essayer de ne pas me perdre, la question sera à la fin.

    Un couple s’aime, se dispute parfois, ce n’est pas grave parce que ces courts évènements s’inscrivent dans une vie partagée qui apporte le bonheur à tous les deux. Et quand lui un jour s’est senti désolé d’avoir peut-être été de nouveau l’initiateur de la dispute, elle lui dit : « c’est bien qu’on se soit disputé, on veut se connaître mieux, on ne s’aimera pas moins, au contraire ! »

    Un autre couple va chez le psychiatre, ce qu’ils vivent ensemble n’est pas un voyage de bonheur où survient parfois l’orage, mais le parcours au travers d’une tempête de bonheurs et de chagrins où ils se donnent la main, plus fort que tout, jusqu’à épuisement. Puis un court et profond sommeil, pour récupérer et se réveiller ensuite avec le sentiment d’une immense paix faite de douceur et de bien-être. Mais ce n’est qu’une courte pause : « Que s’est-il passé ? Sommes-nous morts ?… »
    Lui : Ces tempêtes c’est nous qui les faisons, et nous recommençons chaque fois.
    Elle : C’était si fou, si heureux, à en mourir !
    Lui : De quoi est-ce qu’on pleurait ?
    Elle : De vivre !..
    Lui : Comme avant de mourir ?
    Elle : Peut-être, rien ne nous arrêtera !

    Le psychiatre dit au couple :
    « Si vous n’arrêtez pas de faire les fous, cela pourra vous mener jusqu’à la mort… »
    Lui : Comment parvenir à faire moins les fous, si on freine le malheur on freinera en même temps le bonheur…
    Psy : Vous devez faire un choix, prendre des décisions, faire l’effort de les respecter. Si c’est trop difficile, une possibilité est de vous séparer, et vous retrouver chaque week-end par exemple…
    Lui : (Silence)
    Elle : (Silence)
    Lui : Vous nous avez plongés dans le vide.
    Psy : Vous devez vous donner des chances, à chacun, d’évoluer. Dans le continuum que vous me décrivez, si vous ne faites pas des pauses, vous ne vous en sortirez jamais, vous perdez toute la vie…
    Elle : Si chacun de nous parvient à évoluer, ensuite, est-ce qu’on s’aimera toujours aussi fort ?.. On sera encore ensemble ?..
    Psy : Il y a peu de chances…
    Lui : On ne pourrait donc jamais tout gagner sans tout perdre, ou pire oublier vivant ?
    Psy : Ce n’est qu’une question philosophique…

    Avez-vous une fois aidé un couple comme celui-ci ? Comment avez-vous fait ? Un couple qui aurait continué les entretiens, aurait évolué, serait toujours ensemble dans une deuxième vie calme et heureuse. Avez-vous été témoin de cette petite chance ?

    1. Je ne comprends pas très bien l’exemple que vous donnez, mais je peux tenter de répondre à votre question par rapport à mon expérience.
      Je crois que ce qu’on nomme “aider” comporte des facettes multiples et complexes. Dans un cas, ce sera sauver un couple de la séparation. Dans un autre, ce sera au contraire l’aider à se séparer, en bons termes ou pas. Encore dans un autre cas, comme peut-être celui de l’article, ce sera de partager une observation qui permettra au couple de se positionner librement et ainsi de sortir d’une impasse.
      Donc à votre question, seules les personnes qui sont venues en consultation pourraient répondre, et certaines l’ont fait. Il y a des expériences où ces personnes se sont senties aidées, et d’autres où elles ne se sont pas senties aidées.

  2. L’homme, dans le deuxième et le troisième exemple, c’était moi. Dans le premier, nous n’avions pas eu besoin d’aller trouver un psychiatre, nous ne sommes plus ensemble mais encore vivants. Dans le second, nous ne trouvions aucune issue, se séparer était comme mourir, et rester ensemble était mourir aussi. Triste et heureux n’étaient pas en opposition, c’était ce qui nous soudait. Notre comportement était celui de ces personnes qui se retrouvent après la guerre, qui se serrent l’une contre l’autre en pleurant, mais si celles-ci se calment ensuite, mon amie et moi ne nous calmions pas. Nous nous « retrouvions chaque fois » pleins d’émotions comme si c’était la première fois. J’aurais voulu que le psychiatre nous aide à comprendre s’il y avait eu une guerre derrière nous, où nous n’étions pourtant pas ensemble, qui ne nous avait donc pas séparés, mais chacun était pour l’autre la personne longtemps perdue. Le psychiatre nous répondait : « Cessez cette folie ! » Nous ne la faisions pas, elle nous emportait et nous aurions voulu la comprendre, la guérir, est-ce que cela était impossible ? Il nous proposait de nous séparer, ou évoluer en s’éloignant l’un de l’autre, avec la forte probabilité de perdre à ce que nous tenions le plus : « Toi et moi, nous… » J’étais alors allé seul chez un autre psychiatre, après quelques entretiens j’avais osé lui poser la question : « Y a-t-il une issue pour ne pas mourir ? Nous n’arrivons pas à freiner notre vie, nous allons la perdre, et si nous nous séparons aussi !.. » Le psychiatre m’avait répondu : « Votre histoire, vous et votre amie, c’est mourir d’aimer… »

    Nous avions choisi de ne pas mourir sans aimer. Elle en est morte et moi pas. L’explication que m’avait donnée un médecin qui la soignait adolescente avait été : « Cela s’est passé très vite. On appelle cela un raptus. Elle vous a emmené avec elle dans un rêve en se jetant dans la mort ». L’enquête des policiers, les messages qu’ils avaient trouvés et d’autres indices matériels leur avaient permis de me dire : « Tout s’est passé en vingt minutes. Elle avait d’abord planifié votre mort en même temps que la sienne, puis a changé d’avis. Le testament écrit en dernier lieu, où vous êtes désigné comme héritier de tous ses biens, le confirme ».

    Laissons tomber la question que je vous posais, c’était pour savoir s’il y aurait eu une autre voie possible (je ne le saurai jamais), et la question qui ne me quitte pas : « Pourquoi est-ce que je ne suis pas mort ? Je l’ai aimée moins qu’elle ne m’a aimé ? » Merci de m’avoir répondu ce que vous pouviez.

    1. Votre commentaire me semble comporter une souffrance importante, en tout cas une question importante pour vous.

      Et cette question est sans rapport avec l’article (sinon qu’il s’agit dans les deux cas d’un couple). Je suis embêté, parce que d’un côté j’aurais envie de prendre le temps de vous répondre, et de l’autre il me faudrait mobiliser beaucoup de temps et d’énergie pour le faire. Sans compter que plonger dans votre histoire complexe ne saurait s’improviser, malgré l’abondance de détails que vous partagez.

      C’est une excellente question à amener en séance, mais je comprends que vous avez déjà tenté maintes fois l’exercice sans jamais peut-être trouver quelqu’un qui puisse simplement vous entendre sans vous donner de conseils.

      1. Non, ne soyez pas « embêté d’un côté parce que… et de l’autre vous auriez envie de… » Considérez que mon arrivée dans la colonne est un premier pas plus facile qu’un coup de fil à votre bureau pour envisager un premier rendez-vous… La « question » n’est pas sans rapport avec l’article, en face de ce couple il y a vous, c’est dans cette direction que j’ai regardé, et pu faire ainsi un peu connaissance parce que vous n’êtes pas quelqu’un qui garde le silence sur sa personne pour nous diriger exclusivement sur le sujet qu’il étudie. Lorsque je donnais mon ancienne montre à l’horloger, il était d’accord de me parler de ce qu’il avait compris et allait faire pour qu’elle puisse de nouveau fonctionner, au mieux qu’il pouvait. Il s’intéressait au mécanisme, bien sûr, mais aussi à son propriétaire. Un bon horloger chez qui je retournais quand cette montre tombait de nouveau en panne : « Faites ce que vous pouvez, comme l’autre fois, je pourrais en avoir une nouvelle qui me causerait moins de problèmes, mais c’est celle-ci la mienne, aucune autre ! »

        Bonnes fêtes à vous et à l’horloger, dans dix jours déjà, le temps ne s’arrête pas.

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