Extrait de séance

Extrait de séance – le psy s’endort

Sarah fait de longues phrases informatives pour me décrire ses vacances. Je sens que je m’endors. Alors que je dissimule tant bien que mal mon énième bâillement tout en réfléchissant à comment mettre de l’intensité et de la vie dans notre échange, elle me dit :

 

Sarah :

Je vous ennuie ? (petit rire gêné)

Moi (la surprise me réveille) :

J’ai très peu dormi ces deux derniers jours… et effectivement je m’ennuie un peu. J’ai du plaisir à discuter avec vous, mais j’ai aussi l’impression que vous ne m’utilisez pas, que votre discours reste un peu superficiel, comme si au fond vous n’aviez pas besoin de moi

Sarah :

Oui oui, c’est vrai que j’ai toujours de la peine à rentrer dans le vif du sujet, je ne sais pas comment faire

Moi (je souris) :

Et si vous commenciez par la conclusion ?

 

Avec le recul, ce commentaire au goût de solution n’était pas vraiment constructif pour Sarah, mais l’humour m’a permis de me remettre dans le bain et de recréer un contact avec elle. Dans des situations de pareille vulnérabilité, la condition pour pouvoir s’occuper de l’autre me paraît être de s’occuper de soi avant.

 

Sarah (sourit, puis devient sérieuse) :

C’est dur pour moi… j’ai peur de déranger, de bousculer

Moi (pleinement présent) :

« Si je rentre dans le vif du sujet, je vais déranger »

 

La suite de la discussion a porté sur l’expérience de Sarah avec ses parents, quand elle les sentait dérangés par sa vérité crue, par exemple quand sa mère l’a baffée suite à ses propos qui la dérangeaient. Elle a ainsi appris à museler son intuition et sa grande sensibilité et à « faire semblant d’être superficielle » pour ne pas déranger ses parents, puis tout le monde, et donc être acceptée et aimée.

 

Moi :

Et avant, lorsque vous m’avez demandé si vous m’ennuyiez, vous avez eu peur que cette remarque me dérange ?

 

Les personnes qui ont appris à se méfier des relations humaines bénéficient de l’entraînement à parler et se comporter de manière authentique avec une personne qui ne les juge pas – et de par exemple se rendre compte que les bâillements ne sont pas un jugement, ni le fait de les signaler.

En ce qui me concerne, j’ai parfois une baisse d’énergie en séance. C’est parfois une indication que je n’ai pas assez dormi, trop mangé à midi ou pas fait suffisamment d’activité physique mais ça peut aussi parler de la personne en face de moi, d’une baisse d’énergie qu’elle induit par un manque de vivant et d’intensité et donc d’un type d’interaction qu’elle vit avec ses interlocuteurs. Voici une conversation qu’il m’arrive de vivre en séance :

 

Moi :

Je vous écoute depuis un moment avec moins d’attention, et je me demande pourquoi. Est-ce que c’est quelque chose qui vous semble familier ?

Woody (la voix monotone, effacée) :

Oui… souvent j’ai l’impression d’ennuyer les gens

Moi :

Ah… En tout cas en ce qui me concerne c’est surtout le ton de votre voix qui m’a fait décrocher, comme si ce que vous dites n’était pas habité, pas vivant. Ça vous parle comment ?

Moi :

Woody ?

 

 

 

Extrait de séance est une série d’articles qui propose un aperçu de ce que peut être la réalité de notre travail de psy, en mettant en lumière des instants particuliers. NB : Pour respecter le secret médical certaines informations sont modifiées.

Credit photo: Madison Mc
(Elle a fait ce montage suite à une proposition que lui a fait son thérapeute d’illustrer son expérience des séances).

 

Découvrez des extraits de séances et d’autres moments inédits de dévoilement du thérapeute dans mon ouvrage « Dans la peau du psy »

Thomas Noyer

Thomas Noyer travaille comme psychologue-psychothérapeute (adultes et couples) et superviseur au Cabinet Sens à Neuchâtel. Il anime des groupes sur le masculin et les troubles alimentaires. Il écrit dans un blog personnel et contribue aussi à un blog collectif, où il s'exprime surtout sur la psychothérapie humaniste. Il est aussi l'auteur de "Dans la peau du psy" (2023).

9 réponses à “Extrait de séance – le psy s’endort

  1. La spontanéité était quasi interdite dans ma famille où j’ai grandi. Aucune règle n’était pourtant formulée, ma sœur et moi apprenions à être conformes en nous guidant prudemment pour ne pas risquer un faux pas. Si prudemment que nous étions des statues de cire anxieuses prêtes à fondre dès que l’on nous posait une question quand nous avions des invités. Mon père prenait aussitôt un grand sourire joyeux et figé avant même que je réponde, et ma mère un visage ébahi, un peu comme le funambule qui commence à vaciller sur la corde tendue au-dessus du vide : elle avait peur, peur de ce que je pourrais répondre… Mais j’avais ma technique magique pour me libérer de ces chaînes, aussi vite que Houdini suspendu la tête en bas dans un sac. « Dominic ? Qu’est-ce que tu as à nous dire ?.. —  Moi rien. — Euh… Alors je vais te poser une grande question… Est-ce que tu sais comment tu es né ?..
    Ah c’était la question terrible qui touchait à tout ce qu’il ne fallait jamais dire pour faire croire que je n’y pensais pas. Mais là j’avais ma réponse toute prête : « On m’a trouvé dans une poubelle ». Mon père pouvait alors enfin rire très fort, et ma mère en même temps mais sans son. Et les invités ? Ils me regardaient étonnés, et moi je me sentais bien libre et tranquille… Mais oui, mon histoire était sérieuse, elle existait réellement. Je l’avais apprise au Téléjournal, quand un clochard était interviewé le soir dans une rue parisienne : « Monsieur, c’est vous qui avez trouvé le bébé dans un sac, cela vous a probablement fait un choc… » — Oh ! En voyant le sac bouger j’ai eu peur, mais quand un petit pied a dépassé, ma respiration s’est arrêtée ! J’ai eu la force de sortir le bébé et courir au poste de police !.. »  Ouf le bébé qui venait de nulle part était sauvé !..

    Longtemps je continuais à penser à la naissance comme quelque chose d’horrible, douloureux, triste, le nid de tous les péchés ! Puis mes cours d’anatomie et d’embryologie m’ont apaisé, je pouvais voir la vidéo d’une naissance sans regarder de côté, et entendre crier sans songer à un horrible accident.

    Bien plus tard, je devais avoir quarante ans, le photographe de Benetton créait des réactions en montrant sur d’immenses affiches de fortes scènes de vie. J’étais dans la rue avec un copain qui a posé sa main sur son visage au moment où nous faisions face à l’affiche d’un bébé tout luisant tenu entre deux mains gantées de latex, la bouche déformée qui bavait, le cordon ombilical où était serrée la pince en inox… Et le copain : « Oh ! Oh mon Dieu ! Mais pourquoi montrer ça !.. » Il pleurait presque, le vin blanc qu’il avait bu avant n’était pas pour le calmer, et moi qui avais bu le même vin non plus… Lui sa tristesse et sa souffrance, moi ma colère subite : « Mais qu’est-ce qu’il y a de si affreux et insupportable ! Cela pourrait être toi, moi !.. » Le lendemain je regrettais d’avoir bousculé ainsi ce vieux copain toujours pacifique, et étais allé le trouver pour en discuter. Il me disait : « Oui tu as raison, ce bébé offert en pleine vue, c’est la vie… Mais moi cela me tue, je suis ainsi, c’est ma notion de respect… » — Respect de quoi ?.. — Que ressentira cet enfant quand il aura grandi, en apprenant qu’on l’a montré à tout le monde comme ça, tout nu, plein de sang, en train de hurler ?.. — Eh bien moi ça ne me gênerait pas !.. Enfin je n’en sais rien Finalement chacun réagit comme il est, avec ce qu’il a vécu. Excuse-moi pour hier, j’étais sous l’influence de ce mauvais vin blanc… » Je venais de me souvenir qu’à ma naissance on m’avait trouvé dans une poubelle…

    (À M. Noyer : Je n’arrive vraiment pas à savoir si ce commentaire est un peu hors sujet ou très hors sujet… À vous de voir si vous voulez le publier ou pas.)

    1. C’est une histoire intense! (Et elle ne m’a pas fait m’endormir) ;-P
      Concernant le hors-sujet, seul vous pouvez en juger. J’ai tendance à croire que ç’en n’est pas, si cette histoire vous est venue à la lecture de l’article. Si c’est pas indiscret, quel est votre avis dessus?

  2. RE @ M. Thomas Noyer

    Ces rencontres dans vos blogs, je les aime beaucoup. Les histoires qui me viennent à l’esprit sont générées par vos articles, il ne pourrait pas en être autrement ! Mon texte file d’un coup, et je ne jette surtout pas de coups d’œil sur votre article qui est rangé en icône, sinon je sortirais complètement de mon monde où je me permets d’être libre. Ensuite quand j’arrive à la dernière ligne, je place les deux fenêtres l’une sur l’autre, puis guigne de votre texte au mien pour savoir si je suis resté dans le sujet… Là je pense chaque fois : « C’est tout à fait dans le sujet, moi j’y suis, mais est-ce que Monsieur Noyer y sera aussi ? J’espère que nos deux histoires pourront se donner la main !.. » Eh bien c’est une bonne nouvelle pour moi de comprendre que pour vous deux histoires différentes peuvent se rejoindre, dans les conversations on me répond si souvent : « Ça n’a rien à voir… » Et je pense alors : « Parce que vous n’avez pas envie de regarder », puis je pense : « C’est triste de ne pas vouloir regarder trop loin, c’est où trop loin ? Là où on n’a pas envie d’aller ? On peut toujours revenir si on ne craint pas de se perdre… »

    J’écris des histoires courtes (imaginaires), et en donnais quelques unes à lire à des amis ou des rencontres. Les réactions après lecture étaient souvent : « On ne comprend pas où tu veux nous mener… » Alors je leur répondais : « C’est que le voyage ne vous a pas plu, il ne vous a pas mené là où vous auriez voulu aller ». Ou d’autres encore : « Dans ces histoires, on est perdu, qui est en train de rêver ou est éveillé ? Il faut faire toute une étude… ». Je ne pouvais que répondre : « Ce sont les personnes de l’histoire qui sont perdues, elles espéraient que vous pourriez entrer dans leurs rêves avec elles. Alors je peux vous dire que dans la dernière histoire il n’y avait en réalité qu’une seule personne qui essayait d’exister, toutes les autres elle les avait inventées… » Ah vous voyez, je m’éloigne loin de la question de votre commentaire ! Mais nous sommes bien dans la même vie, avec les autres même loin de nous, et c’est ce qui me réconforte quand je lis les « Brèves de psys ».

  3. Tout est lié, je le crois aussi. Donc rien ne serait vraiment hors-sujet.
    Moi aussi j’ai du plaisir à vous lire, dans ces “Brèves de Dominic” 😉
    Carl Rogers disait “plus je suis personnel, plus je suis universel”; l’authenticité touche car elle parle de chacunE. C’est peut-être ça le point commun entre nos histoires, au final.

    1. Vous êtes en train d’inventer la blogthérapie commune et gratuite, ça c’est fort 🙂

      Mais dites-moi, ça vous rapporte quand même quelques clients qui paient, ou tout ça n’est que pur bénévolat?

      1. Haha, merci pour ce commentaire 🙂

        Dès qu’on fait quelque chose par passion, l’argent et la reconnaissance suivent. J’aime écrire et je ne compte pas, et effectivement j’ai des retours très positifs 😉

        1. “Dès qu’on fait quelque chose par passion, l’argent et la reconnaissance suivent”

          hummmm…, ce doit être votre destin, vous n’y êtes pour rien, sauf votre talent!
          bravo 🙂

  4. un jour, pendant que je déballais mes misères, j’ai entendu derriere moi le souffle profond de quelqu’un qui dort; tres vexée, je me suis tue et ai attendu au bout d’un moment le petit toussotement qui m’invitait à continuer
    et je n’ai pu m’empecher de dire:”vous devrier vous mefier,vous ne savez pas ce que je suis capable de faire dans votre cabinet,pendant que vous dormez
    et je dois dire que le psy a eu l’air de prendre cela au serieux

    1. Vous avez fait peur au psy en le renvoyant à sa propre responsabilité de s’être endormi.
      Si ce psy était moi, je ne pourrais m’empêcher d’utiliser cet évènement et en faire quelque chose de constructif pour la séance. Comme j’ai essayé de le transmettre dans cet article, pour moi il est impossible de dissocier l’observateur de l’observé.

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