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S’il vous plaît, ne venez pas aux urgences parce que vous êtes tombés à vélo (en vous entraînant)!

Je suis victime d’une déformation professionnelle importante (nous le sommes tous). En langage plus technique, on parle de biais cognitifs. Pour résumer en vitesse, en tant que médecin du sport et du mouvement, je vois les choses sous l’angle de la santé active, en mettant en avant autant que possible la notion de préservation de la qualité de ce dernier, et des bénéfices pour la santé qui en découlent. J’ai écrit récemment sur l’importance de maintenir sa condition physique, sur son rôle sur l’immunité, et sur la prévention de la sédentarisation massive qui est occasionnée par toute forme de confinement. Mais je suis aussi et avant tout médecin…

La réalité du système de soins depuis la semaine passée est sans précédent. Absolument TOUS les intervenants du système de santé doivent s’adapter pour faire face à l’épidémie qui nous touche. Pour certains comme moi, c’est beaucoup plus facile que pour d’autres. Je ferme le cabinet, je reste chez moi, je passe aux consultations digitales, ou j’écris un blog. Et comme beaucoup de mes collègues, nous sommes en attente d’une mobilisation en tout temps. Pour d’autres, c’est le branle-bas de combat au quotidien, jour et nuit.

La population entière est impactée durement à plusieurs niveaux: social, économique, mental, etc. Malgré les nombreux débats existants dans tous les médias sur la pertinence ou l’adéquation des mesures fédérales, celles-ci ont été décidées suite à une analyse complète et notre rôle à tous-tes, en tant que citoyen-ne-s est de les respecter.

Le Conseil Fédéral n’a pas opté pour un confinement strict et total, et il nous permet donc de circuler à l’extérieur en cas de nécessité, sans devoir montrer un passe-droit de déplacement, comme c’est le cas dans certains pays voisins. Le CF a aussi dit qu’il était possible d’aller faire de l’activité physique, ce qui est bon pour nos têtes et nos organismes à plus d’un titre. On l’a aussi entendu du Prof. Didier Pittet des HUG lors de la soirée spéciale sur le coronavirus de la RTS du 18 mars. Rester enfermés dans son domicile peut être difficilement vécu et engendrer des problèmes qui sont peut-être évitables en bougeant régulièrement.

Quelle activités sont donc “nécessaires” ?

La question posée ainsi apporte des réponses très différentes selon qui la pose:

Pour revenir à la réalité du coronavirus, ce dernier fait fi des différents points de vue. Un humain reste un organisme à infecter, et à lui de voir comment il pourra se défendre. En face de ceci, les seules activités utiles sont celles qui permettront aux têtes de se détendre, au métabolisme de s’activer un peu, aux poumons et au coeur de s’activer, et aux muscles de se contracter. Le seul objectif ne peut être que le maintien de la santé physique et mentale. Cela veut dire que beaucoup de personnes doivent lâcher prise, renoncer aux plans, revoir les priorités, et prendre une bonne dose de philosophie à l’apéro.

Quelles sont les activités à bannir ?

Pour faire simple, il y a deux éléments à prendre en compte:

  1. (moyennement important) la poursuite d’activités intenses et répétées peut compromettre l’immunité temporairement, et personne ne veut que cette période temporaire soit maintenant. Donc c’est non aux entraînements intensifs avec récupération insuffisante.
  2. (très important) toute activité qui expose à un risque accidentel évitable est à proscrire. Si l’on accepte aisément le risque d’une contracture musculaire sans conséquence médicale, on ne doit pas tolérer l’accident de vélo (pratiqué en dehors des déplacements nécessaires) qui demande ambulance et hospitalisation.

Toute utilisation évitable des précieuses ressources du système de santé (qui, rappelons-le, a d’autres préoccupations ces jours-ci) constitue un acte contraire aux principes de solidarité et de civisme, valeurs bien ancrées dans le caractère helvétique. Il y va du devoir de chacun-e de penser collectivement et non individuellement. Le plaisir d’une activité pratiquée ne peut passer devant les priorités d’une collectivité en situation de crise. Quand les soignants vous demandent, vous implorent de rester chez vous, c’est parce qu’ils voient tous les jours et toutes les nuits les ambulances et les patients malades du COVID-19 arriver. Le flux est incessant, et le répit n’est pas. Ne soyez pas cette personne qui a loupé son virage à vélo et qui finit aux soins intensifs avec un traumatisme crânien.

Alors, on fait quoi ?

On s’efforce de maintenir une activité physique régulière, la marche avant tout, des jeux à la maison, on danse, on monte les escaliers (100 fois si vous voulez), on fait ses exercices que le physio avait montrés, on fait son yoga, son stretching, son gainage, les jeux avec les enfants, etc.

Personnellement, en tant que médecin de la fédération suisse de triathlon (Swiss Triathlon) avec une collègue bernoise, nous avons recommandé à tous les triathlètes de ne pas faire d’entraînements de vélo en extérieur. Cette recommandation a aussi été partagée avec le médecin et les athlètes de Swiss Cycling. Nous espérons que les amateurs suivront ces recommandations également.

Au-delà du vélo, il s’agit de toutes les activités qui présentent un risque de chute et de blessure sérieuse. Ne taillez pas cet arbre dans votre jardin en grimpant sur une échelle de fortune, ne partez pas faire de l’escalade risquée, ne faites pas ces sorties à moto dans les cols. Qu’est-ce qui constitue un risque déraisonnable? Si vous vous posez la question, la réponse est claire. Allez marcher, ou joggez à la place. La gestion de risque est sujette à une appréciation personnelle, donc à vos propres biais. Nous sommes tous superman à nos yeux, et nous savons mieux que les autres, mais la réalité est que nous nous devons de ne pas être cette personne qui s’est surestimée et qui doit appeler l’ambulance. Solidarité et civisme.

Merci à toutes les personnes de la chaîne de soins. J’espère que la population comprendra que la meilleure façon de vous remercier sera de le faire par leur absence aujourd’hui, et leur reconnaissance continuelle demain, dès la fin de l’épidémie.

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