Percevoir la banque privée du futur, un défi passionnant

Désintermédiation, numérisation, instantanéité, voilà les réalités qui mettent actuellement l’ensemble de notre branche au défi, et les banquiers privés suisses en particulier. Mais concrètement, qu’en est-il exactement?

Par Yves de Montmollin, Directeur général de la banque Bonhôte

Yves de Montmollin Banque BonhôteLa désintermédiation, soit la réduction ou la suppression des intermédiaires dans un circuit de distribution par le biais d’Internet, ne constitue pas en soi un phénomène nouveau. Il y a vingt ans déjà, Amazon bouleversait le marché du livre. Quelques années plus
tard, Apple mettait notamment à mal l’industrie du disque en lançant son service iTunes Store, devenu depuis la première plateforme de vente de musique numérique au monde. Plus récemment, il suffit d’observer le développement spectaculaire des services de taxi Uber ou l’envolée du système de location d’appartements Airbnb pour se convaincre que la révolution numérique est définitivement en marche.

Une nouvelle concurrence

Du côté financier, de nombreuses initiatives interpellent les banques. Qu’il s’agisse de la finance participative – le «crowdfunding» et le «crowdlending» notamment –, des nombreuses Fintechs, ces start-up financières qui voient le jour un peu partout, ou plus simplement de l’intérêt croissant des géants de l’internet (Google, Facebook, par exemple) pour le secteur financier. Il est dès lors utile de se demander comment ce dernier peut ou, plutôt, doit réagir. Et s’il est vrai que les banques commerciales sont confrontées directement à ces nouveaux concurrents, qu’en est-il des banques privées qui gèrent une grande partie de la fortune mondiale et dont l’impact sur l’économie suisse n’est plus à démontrer?

Percevoir ce que sera la «banque privée du futur» et préparer ce secteur à affronter l’avenir est donc le défi passionnant qui s’offre à nous.

Des changements profonds

Car notre industrie devra assurément faire face à des changements en profondeur. L’impulsion des nouvelles technologies de communication, qui conjuguent instantanéité, volumes quasi illimités d’informations et interactivité, bouscule les modèles d’affaires des banquiers privés.

La principale tâche d’une banque privée sera toujours de préserver et de faire fructifier le capital de ses clients, et de les accompagner dans leurs décisions d’investissement. Pour ce faire, elle devra maîtriser les nouvelles technologies, retenir les informations pertinentes et mettre à profit son expertise pour conseiller au mieux ses clients.

La relation avec le client bouleversée

Il est certain que la relation entre le client et sa banque est appelée à se modifier considérablement. L’usage des smartphones explose, les fréquentations de nos sites, via les téléphones portables, progressent à tel point qu’ils se doivent désormais d’être «mobile first»! L’analyse de toutes ces données nous permettra d’obtenir un grand nombre d’informations en temps réel, utiles pour la gestion des avoirs de nos clients. Pour se faire conseiller dans ses décisions, le client pourra contacter en permanence son gestionnaire. Le dialogue avec ce dernier devrait, d’ailleurs, considérablement s’intensifier. La tendance est déjà bien affirmée. Une enquête anglo-saxonne montre, par exemple, que 78% des clients souhaitent désormais avoir des conversations avec leur gestionnaire de fortune par le biais de vidéoconférences, de Skype ou de FaceTime.

Grâce aux informations qui ne cessent de s’accumuler dans ce que l’on appelle le Big Data et à la puissance de calcul phénoménale qui permet d’interpréter ces données, le client se verra proposer des produits financiers taillés sur mesure. Les traces qu’il aura laissées sur la Toile permettront de composer son portefeuille d’actifs en fonction de ses habitudes de consommation et de ses préférences. Des algorithmes le font d’ailleurs déjà. Le client recevra sur ses supports mobiles toutes les informations qui l’intéressent, au risque toutefois qu’il s’enferme progressivement dans ses goûts et ses habitudes. C’est l’inconvénient de l’effet «cookies».

Utiliser les réseaux sociaux

Les réseaux sociaux permettront aux banques de mieux cibler leurs clients et leurs attentes. Aucune entreprise ne saurait rester à l’écart de cette source d’information. Mark Zuckerberg n’a-t-il pas récemment annoncé qu’un milliard de personnes – soit un humain sur sept – s’étaient connectées dans la même journée sur Facebook? Ces chiffres sont d’autant plus intéressants quand on sait que 62% des utilisateurs du premier réseau social du monde ont entre 50 et 64 ans, et qu’ils représentent le public cible du private banking. Les autres médias sociaux poursuivent également leur développement à l’image de LinkedIn, Instagram et Twitter, et la tendance est aux réseaux sociaux dédiés à une thématique précise comme la photographie, la politique ou l’art contemporain. Toujours selon cette enquête anglo-saxonne, 60% des gestionnaires interrogés reconnaissaient avoir trouvé un nouveau client sur LinkedIn.

Il faut désormais l’admettre, nous n’avons jamais autant «liké» et partagé de l’information qu’aujourd’hui, une tendance que les banquiers privés se doivent de suivre. Cela peut sembler antinomique de les retrouver ainsi sur les réseaux sociaux, eux qui cultivaient il y a encore peu de temps le principe du «pour vivre heureux, vivons cachés…». Cependant, la confiance et la sécurité sont essentielles dans une relation bancaire, et c’est là, dans la manière dont elle offrira à l’avenir ses services de gestion de fortune, que la Suisse a une vraie carte à jouer.

L’un des principaux défis sera de s’assurer que la protection des données est garantie et que la sphère privée est protégée. Là aussi, l’évolution de la technologie offre déjà de nouvelles fonctionnalités, telles que la signature numérique ou la reconnaissance faciale ou vocale. Le rôle de la banque privée sera toujours de mettre son expérience de protection de la vie privée au service du client et de s’en porter garante.

En conclusion, dans cet environnement technologique, d’immédiateté, d’informations pléthoriques, la banque privée a, plus que jamais, un rôle à jouer. La valeur ajoutée qui a fait sa réputation et son succès, soit le conseil, la proximité et la confiance, sera plus importante que jamais.

Grâce aux informations qui ne cessent de s’accumuler dans ce que l’on appelle le Big Data, le client se verra proposer des produits financiers sur mesure