Les horlogers sonnés par l’Apple Watch

Cet été en Suisse, je la voyais partout : aux terrasses des cafés, en ville, à la plage, à la montagne. Il n’y avait qu’à lorgner les poignets pour constater la part de marché phénoménale qu’a gagné la montre connectée d’Apple en 6 années seulement.

Des chiffres qui donnent le vertige: la firme à la pomme a vendu 30,7 millions d’Apple Watch en 2019 dans le monde, avec une forte progression observée encore en ce début d’année (+22.6% au 1er trimestre 2020).

Du côté des exportations suisses, l’année 2020 s’annonce elle catastrophique avec un recul de 30,5% pour la période de janvier à août.

A ce rythme, Apple pourrait avoir vendu trois fois plus de montres que toute l’industrie horlogère suisse à la fin de l’année.

L’industrie horlogère sur le point de se faire «kodakiser»?

Comment ne pas voir un lien entre le succès insolent de la marque à la pomme et la baisse significative des exportations horlogères helvétiques ?

Pas besoin de chercher midi à quatorze heures pour comprendre que c’est l’Apple Watch qui vient mettre des bâtons dans les rouages de nos chers horlogers.

Du secteur, j’entends ce lancinant refrain depuis l’apparition des premières montres connectées : « Ce ne sont pas des produits concurrents. On ne joue pas dans la même catégorie. On n’achète pas une montre suisse ou une Apple Watch pour les mêmes raisons. Il y a de la place pour ces deux produits sur le marché. »

En tout cas moi je n’ai pas vu pas beaucoup de personnes qui portent une Apple Watch et une belle montre suisse à l’autre poignet. Pour le consommateur, cela sera logiquement l’une ou l’autre.

« L’effet Kodak est le risque qu’une entreprise qui est forte sur son marché n’intègre pas la numérisation de son secteur d’activité dans son plan stratégique. Elle veut préserver à tout prix son modèle d’affaires traditionnel, par crainte de cannibaliser son cœur de métier, et ne se positionne pas sur l’avenir. Dans cette configuration, les employés et les dirigeants résistent fréquemment au changement, tandis que les souhaits des clients sont souvent mal interprétés. » — Damir Filipovic, professeur à l’EPFL et au Swiss Finance Institute.

Pourquoi je ne porte plus de montre traditionnelle

Pourquoi est-ce que je ne mets plus de montres mécaniques, alors que j’en possède pourtant quelques-unes (qui me plaisent esthétiquement plus que mon Apple Watch) ?

C’est très simple: je ne voudrais plus me passer de l’expérience que m’offre cette montre connectée.

Génies du marketing, les ingénieurs de Cupertino maîtrisent l’art de créer de nouveaux besoins et ils nous refont, dix ans après, le même coup qu’avec l’iPhone. Certains trouveront cela futile et n’y adhéreront jamais, mais le constat est qu’elle séduit toujours plus de personnes.

Les 10 fonctionnalités incontournables pour moi sur l’Apple Watch (et pourquoi mes autres montres restent dans un tiroir) :

Parmi les milliers d’applications que l’on peut télécharger sur la montre connectée d’Apple (sur le même principe que sur son smartphone), on trouvera certes beaucoup de gadgets inutiles, mais une dizaine a cependant réussi à changer mon quotidien:

  1. Lorsque je fais de la course à pied (et d’autres sports), je n’ai pas besoin d’emporter mon smartphone pour écouter de la musique, des podcasts ou des livres audio (avec les écouteurs AirPods de la même marque).
  2. J’effectue quasiment tous mes paiements dans les magasins, les restaurants, à la plage, etc. sans contact avec ma montre (via Apple Pay). De cette manière, je n’ai pas besoin de saisir un code, et cela même pour des montants élevés. Voilà qui est bienvenu en période de pandémie.
  3. Lorsque je fais mes courses, je coche sur l’excellente app Bring! (une application suisse) les articles dès que je les ai ramassés dans les rayons. C’est très utile lorsqu’on porte un masque et qu’il est compliqué de déverrouiller son smartphone avec la reconnaissance faciale (par exemple avec le scanner du magasin en main).
  4. La nuit je me sers de la fonction Lampe pour m’orienter et prendre des objets sans risquer de réveiller ma conjointe. De même avec la fonction de réveil qui, par une vibration, ne réveille que moi.
  5. J’ai désactivé quasiment toutes les notifications sur ma montre, du coup celles qui demeurent actives sont vraiment importantes pour moi, par exemple des alarmes pour la maison, des alertes incendie, de température ou d’humidité, ainsi que des SMS restreints à quelques proches.
  6. Si je reçois un appel urgent, je peux y répondre immédiatement même si mon smartphone n’est pas sous la main (par exemple avec les mains occupées, avec les enfants, au sport, etc.)
  7. Lorsque j’ai égaré mon smartphone dans la maison, je peux le faire sonner d’un clic sur ma montre. Une fonctionnalité qui s’avère utile au moins une fois par semaine…
  8. Je déverrouille tous mes ordinateurs Mac sans mot de passe, simplement en m’approchant de l’écran avec ma montre au poignet.
  9. Avec l’Apple Watch, j’ai découvert les vertus de la respiration consciente, que je pratique régulièrement en synchronisant mon souffle avec les vibrations au poignet (sans écran).
  10. Mon Apple Watch détecterait si je chute brusquement et appellerait les services d’urgence en notifiant ma position GPS. Je ne suis pas dans l’âge cible, mais trouve la fonctionnalité plutôt rassurante.

Quelle succession aux amateurs de (vraies) montres?

Nul doute qu’il y aura toujours un marché pour le beau et l’émotionnel, pour de véritables bijoux mécaniques. La question est plutôt de savoir quelle part du gâteau il restera à l’industrie horlogère traditionnelle, notamment en comparaison avec ses plus grandes années.

Reste à espérer que les jeunes, la Génération Z et les suivantes, sauront conserver le goût pour la chose horlogère alors que des écosystèmes numériques font tout pour nous retenir captif dans de nouvelles habitudes et la promesse d’usages infinis.

Le numérique fait-il de nous des junkies?

Comme un vigneron qui viendrait confesser que le vin soûle, je vous propose d’aborder un sujet que les technophiles taisent à l’ordinaire : la tendance addictive du digital.

Connaissez-vous cette manie qui consiste à dégainer son portable comme Lucky Luke, dès les premiers instants de cerveau disponible? Vous arrive-t-il de vous reconnecter ainsi sans but précis, juste pour vérifier s’il n’y a rien de nouveau? Peut-être dans l’expectative d’un ultime like sur votre réseau social favori? À moins que vous ne guettiez l’arrivée d’un message sur WhatsApp ou un courriel de votre chef. D’autres sont accros à l’actualité, à des jeux comme Pokemon GO ou Minecraft. J’ai même un beau-père qui ne décroche pas des enchères en ligne sur eBay.

Pour les psys, ces syndromes portent le nom de trouble obsessionnel compulsif (TOC). Mais comment ne pas devenir un « toqué du numérique », alors que nous consultons notre portable plus de 200 fois par jour en moyenne, avec au total plusieurs milliers d’interactions à la fin de la journée sur l’ensemble de nos appareils (clics, tapotements, voix, joystick pad, etc.)

Selon l’institut Nielsen, les Américains passent aujourd’hui 10 heures et 39 minutes par jour devant un écran. L’essentiel de cette activité est consacré à consulter son smartphone, suivi par la télévision, un ordinateur et finalement une tablette […] En enlevant la période de sommeil, 7h30, il ne reste que 6 heures par jour pour se confronter au réel, souvent avec réticence. «L’économie de l’irréel au pouvoir», Stéphane Garelli

Dans une vidéo qui a fait le buzz, le conférencier Simon Sinek raconte que l’addiction aux écrans serait engendrée par «un shoot de dopamine». La dépendance surviendrait dans un processus de gratification immédiate, suivi immanquablement par un phénomène de manque.

Des pistes pour trouver un équilibre

Je partage avec vous quelques-uns de mes trucs pour éviter la surchauffe des neurones. Puissent-ils augmenter votre productivité, vous épargner une onéreuse digital detox, ou encore contribuer à la paix de votre ménage.

  • Cultiver une «pleine conscience» de tous les instants, afin de garder à l’esprit ce que l’on souhaite accomplir dans l’heure et d’ici la fin de la journée.
  • Réduire les notifications au minimum. Désactiver tous les avertissements en provenance des réseaux sociaux et télécharger ses courriels manuellement (après avoir terminé une activité). Et si ce n’est pas suffisant, accomplir ses tâches en mode avion. Selon Simon Sinek, « les notifications ont pris trop d’importance dans notre quotidien, au point d’influer sur l’estime et la confiance en soi des utilisateurs qui restent suspendus aux réactions de leur communauté en ligne. ».
  • Lever la tête pour réfléchir: le idées ne viennent pas avec les yeux embués dans un flot d’information. Les écrans sont connus pour exercer un pouvoir hypnotique, contre-productif pour la créativité. Je change de lieu de travail plusieurs fois par jour pour renouveler mon énergie et profite ainsi de me réoxygéner lors de chaque transition.
  • Réaliser lorsqu’on passe en mode zombie. Marquer un arrêt complet avec les outils digitaux, aérer la pièce, marcher. Dans la mesure du possible, faire une sieste régénératrice ou une séance de méditation. Effectuer des pauses régulières pour ne pas atteindre ce stade…
  • Privilégier les échanges humains: le temps d’une séance professionnelle, d’une soirée galante ou d’une partie de jeu avec les enfants; on goûte au plaisir de rester déconnecté.
  • Quantifier son utilisation des médias & réseaux sociaux. Définir un quota journalier et décompter le temps passé. Attention, l’addition peut se révéler salée.
  • Porter une montre:  je constate qu’un ami en porte à nouveau une à son poignet, il m’explique: «c’est pour éviter la tentation de replonger à tout moment dans l’effervescence de mon smartphone».
  • Au lit? No-go zone!

« Il n’y a rien de mal dans l’usage des réseaux sociaux et des smartphones. Le problème, c’est le manque d’équilibre. »
— Simon Sinek

L’immersion dans le virtuel, jusqu’à la nausée?

Pour le spécialiste de la réalité augmentée Robert Scoble, nul doute que nous travaillerons bientôt simultanément sur une multitude d’écrans virtuels. Comment? Avec un casque de réalité virtuelle vissé sur la tête. Par exemple, «si vous êtes un trader et que vous travaillez avec 5 écrans devant vous, vous pourrez bientôt en voir 2500.». Chez moi, je crains que cette immersion permanente ne provoque une gueule de bois sans fin.

Trouver une place pour l’humain et son propre équilibre au centre d’un univers numérique en perpétuelle expansion, voilà un autre défi pour le siècle.

 

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Le numérique trouve sa place au cœur de l’enseignement (au-delà de la programmation)

Le numérique va prendre le chemin des écoles; comment pourrait-il en être autrement alors qu’il est désormais au centre de tout ? Dans ce débat, il y a un point où je serais tenté d’inscrire “hors sujet” en rouge sur la marge: la question de l’enseignement de la programmation.

Ma crainte est de voir l’informatique instruite sous une forme obsolète et finalement secondaire; un peu comme si l’on misait tout sur le latin/grec pour préparer nos enfants à leur avenir, eux qui connaîtront encore une accélération sans précédent. Non, le numérique n’est pas la discipline qui vient juste après l’éducation physique et les travaux manuels; c’est une nouvelle culture qui doit trouver naturellement sa place au coeur de l’enseignement.

J’ai appris à programmer à l’âge de 10 ans (en 1981) et assimilé depuis plusieurs langages informatiques. Mais je ne crois pas que ce soit un prérequis aujourd’hui: on peut dorénavant assembler des modules applicatifs dans le cloud computing à la manière de Legos et réaliser des sites web assez complexes sans une seule ligne de code (et si nécessaire, tous les experts sont à disposition en ligne pour quelques dollars seulement). L’informatique a en quelque sorte rejoint le niveau d’abstraction qu’a connu l’électronique il y a une quarantaine d’années. En bref, ce n’est pas forcément moins compliqué qu’avant mais on peut se concentrer sur d’autres choses.

Avec chaque progrès survient le besoin pour des compétences nouvelles; ainsi les enfants doivent maintenant développer des facultés inédites pour parvenir à analyser des problèmes, façonner des algorithmes, organiser des données, maîtriser les réseaux sociaux. Je vois même une urgence qui n’a rien de technologique: apprendre à mieux communiquer dans un monde globalisé (avez-vous constaté comme les petits Anglo-saxons sont nettement plus à l’aise à l’expression orale ?) Et pour faire face à une intelligence artificielle qu’on annonce omnipotente, il serait opportun d’aiguiser dès à présent un aspect fondamentalement humain: le sens critique.