Tranche de vie d’un manager

Anne-Sophie est nommée au comité de direction

Anne-Sophie gère avec talent une équipe de huit personnes dans le domaine des relations publiques et de la communication dans une multinationale de l’industrie du luxe. Lorsque son supérieur hiérarchique est nommé directeur général, elle se retrouve naturellement nommée à la tête du département marketing avec le titre de directrice, membre du conseil de direction. Ses premières difficultés surgissent dès qu’il faut parler de réseau, de statistiques et de chiffres qui dépendent du service “Connaissance clients”. La question qu’elle se pose est la suivante : “Comment ne pas passer pour une ignorante face à cette équipe de spécialistes ?”.

Devenu l’adjoint d’Anne-Sophie, Maxime est justement responsable du service”Connaissance clients”. A ce titre. il supervise trois collaborateurs. Plus âgé qu’elle, il convoitait depuis longtemps le poste qu’elle vient d’obtenir. Malheureusement pour lui, il avait eu des difficultés avec ses collaborateurs. On lui avait reproché un management autoritaire et un manque de nuance dans ses propos. Maintenant, Anne-Sophie est sa supérieure hiérarchique.

Que fait Maxime à la nomination d’Anne-Sophie

Il va voir le directeur général pour exprimer son mécontentement et lui dire combien cette nomination est une erreur funeste pour l’entreprise et ses collaborateurs. Plus ennuyeux pour Anne-Sophie, il s’oppose à sa cheffe pendant les séances de travail, arrive systématiquement en retard en séance et adopte systématiquement une attitude confrontante.

Bien entendu, pour rester cohérent avec lui-même, il ne manque aucune occasion de discréditer Anne-Sophie.

Que fait Anne-Sophie

Anne-Sophie va prendre son temps (douze mois environ) pour réaliser sa stratégie. Elle va :

  • rédiger un protocole sur les différents entretiens de recadrage avec Maxime,
  • informer régulièrement le directeur général de ses difficultés et expliquer comment elle va y remédier,
  • travailler les processus préparatoires au licenciement avec la direction des ressources humaines.

Lorsque toutes les portes auront été ouvertes, il ne lui restera plus qu’à pousser Maxime hors de son département.

Il ne faut pas minimiser les difficultés de Anne-Sophie pendant cette période. Elle devra convaincre, expliquer, apprendre un nouveau métier, voyager dans les différentes filiales sans pouvoir faire front partout. Et surtout, elle va constamment se heurter à un collaborateur qui la freine dans le développement de sa stratégie.

Qu’aurait dû savoir Maxime

Maxime se trouve dans un contexte de contraintes organisationnelles sur lesquelles il n’a pas de prise. La nomination de Anne-Sophie étant annoncée, sa seule liberté d’action, sauf bien entendu celle de donner sa démission, est de faire allégeance. Inscrit dans une perspective ou une vision sociale moyenâgeuse, le terme allégeance peut paraître fort. De fait, il convient de le considérer dans le sens générique de “soulager” et, également, de “faire preuve de fidélité et d’obéissance” vis-à-vis d’un supérieur. Ici, nous touchons un point important de l’organisation : il faut de la bonne volonté de part et d’autre. En d’autres termes, l’allégeance permet de construire la confiance dans les relations de travail.

Maxime aurait dû comprendre que dans une organisation tout le monde n’a pas de droit à la parole. Si Maxime veut court-circuiter Anne-Sophie en passant par le directeur général, il n’a aucune chance de se faire entendre. C’est trop tard pour lui. En la nommant, le directeur général a fait confiance à Anne-Sophie. Pour Maxime, accepter Anne-Sophie est la preuve d’une forme d’intelligence organisationnelle, d’une capacité à se remettre en question, même si cela est difficile à vivre au quotidien.

Bernard Radon

Certains considèrent les organisations publiques et privées comme un lieu de tragédie face à un management peu enclin à la compassion. D’autres sans doute plus cyniques, y voient surtout une représentation d’opérette où se pâment les galons dorés, dans l'imbroglio de relations humaines. C’est autour de ces visions différentes que le combat des acteurs pour leur survie se cristallise dans un univers intentionnel, égoïste et myope. Ce blog veut décrypter ces liens humains qui relient toutes les relations complexes où le terme stratégie rime avec tragédie pour donner quelques pistes à ceux (petits et grands) qui les vivent au quotidien. Bernard Radon N°1 du coaching de managers en Suisse romande.

6 réponses à “Tranche de vie d’un manager

  1. Il y a un point méconnu que j’appelle la “sensibilité organisationnelle”, vous avez mentionné une attitude allant dans ce sens, c’est à dire qu’effectivement je n’ai pas d’action possible sur ce qui est hors de mon périmètre d’influence, c’est à dire moi et que toutes actions, paroles, pensées de ma part envoient des informations vers mon entourage direct, de ce fait, l’organisation autour de moi “ressent” l’attitude qui est la mienne.
    En optant pour une attitude plus humaine dans sa façon de gérer son équipe, Maxime aurait pu montrer à l’organisation une capacité à faire continuer les affaires de manière plus harmonieuse que conflictuelle, une façon de gérer les relations humaines au quotidien de façon à ce que chacun(e) se sente bien et, ce faisant, il aurait pu être choisi à un poste supérieur ou conservé dans l’équipe des collaborateurs/trices de cette entreprise.
    Il y aurait beaucoup à débattre suite à la lecture de cet exemple, beaucoup d’idées me viennent à l’esprit, notamment l’attitude de Anne-Sophie et du top management vis-à-vis de Maxime.
    Organiser un groupe de parole autour du sujet me semble intéressant pour poursuivre et trouver des pistes d’amélioration de la qualité relationnelle en entreprise.
    Je suis partant.
    A bientôt et merci de m’avoir lu.

    1. Cher Patrick, nous sommes entièrement d’accord. Vous appelez sensibilité organisationnelle, que j’appelle de mon côté “intelligence organisationnelle” dans un livre paru aux éditions Dunod (2013). Sauf que Maxime n’a pas su prendre le temps d’examiner son positionnement face ni à son équipe, ni vis-à-vis de sa nouvelle cheffe. Ce qui l’a conduit à son exclusion. Combien de Maxime existe-t-il dans les organisations ?

  2. J’ai lu attentivement votre post. Et j’approuve entièrement cette logique d’acceptation et faut-il encore pouvoir vivre les émotions contradictoires de l’intérieur pour savoir comment nous réagirons face à l’injustice. Penser, conseiller, donner des pistes est toujours utile en voici une différente comment ne pas imaginer qu’un accompagnement de la personne évincée pouvait se mettre en place pour l’aider à comprendre la différence entre par exemple ses qualités professionnelles et éventuellement des craintes . Éviter ainsi, peut-être à la personne de se sentir remise en cause dans son identité ? Mais bon c’est vrai au fond qu’est-ce qu’on vient nous embêtez encore avec ces aspects humains dans le management ?

  3. J’ ai lu tous les commenaires avec attention. Ils representent bien le moment present…et quant a l’avenir? Je pense qu’ il faut quand meme essayer d’ etre positif. Moi, je suis dans le domaine de l’ art. c’ est tres different mais la aussi il y a une competition terrible mais toute en nuance. Un ami est adversaire et vice versa et l’ideal est commun. Nous, c’est la mort qui est la limite et quelque fois c’ est l’eternite ..(quoique)…
    J’ ai connu le monde de l’entreprise, il y a longtemps au debut…et cela m’ a donne une experience de relations humaines en competition…car l’art c’est etre toujours en competition et souvent contre ses amis. On va vers le monde des robots …alors, gardons (dans toute competition) assez de grandeur d’ ame qui fait de nous des humains…(un peu quand meme). J’ai donc une autre facon de penser mais des idees contraires nait toujours une avancee. On va vivre de plus en plus en groupe et l’energie devra etre groupee…donc il faudrait eviter de temps en temps de penser toujours a soi, individuellement. De toute facon, au sommet, il n’ y a de la place que pour un (il faut le savoir des le depart) et etre conscient de notre deficience. Personne n’est parfait. …et puis les circonstances menent toujours la danse. Il faut savoir accepter parfois ses limites. Ce n’est pas facile surtout quand on est ambitieux..(c’est un trait a l’ humain)…et puis on vit jusqu’au dernier moment. Dans le monde de l’entreprise, la vie au sommet est tres courte…car le monde vit en acceleration. Il ne faut pas oublier son propre bonheur…parce que c’est ce qui reste en realite. Mon ecrit est un peu different mais c’est une autre facon de voir et venant d’un autre domaine.

  4. Je trouve très intéressant et assez anticonformiste votre réhabilitation de la ligeance, ou allégeance: fait d’être l’homme lige d’un seigneur, de se soumettre à lui et de ne devoir fidélité qu’à lui. Celà fait référence évidemment à la féodalité mais le monde de l’entreprise a un caractère féodal, même si cela n’est pas politiquement correct de le dire. Evidemment quand l’autorité institutionnelle de quelqu’un, comme cette Anne-Sophie, a été entérinée par tous les suzerains de la seigneurie entrepreneuriale, car Anne-Sophie a été formellement adoubée fut-ce par suite d’une promotion canapé, il faut se soumettre ou se démettre. C’est plus intelligent, même si c’est rageant et peut-être injuste pour Maxime. La féodalité est toujours d’actualité parce que d’une part les mots “senior” versus “junior” font partie du vocabulaire anglo saxon des grandes entreprises et reflètent la vivacité d’une mentalité féodale dans le monde anglo saxon. On parle aussi de “séniorité”, en français. Et le mot latin senior est la racine de seigneur. Mais surtout il s’agit de règles de comportement animal, qui sont valables aussi pour l’espèce homo sapiens. J’ai remarqué aussi à quel point le monde des affaires est féodal, parce qu’on y trouve vraiment des suzerains et des vassaux. Que l’on songe à la relation de suzeraineté vasselage entre la famille Hayek et les patrons d’entreprises horlogères de taille moyenne, fabricants de mouvements, d’aiguilles, de cadrans, verres de montres ou autres. Ou pensons à la domination de l’entreprise Peugeot ou Fiat, sur tant de sous-traitants. Est-ce un bien ou un mal? En tous cas c’est un fait. Mon seul regret est qu’il n’y ait pas plus de grandes entreprises familiales. Car il y a deux sortes de noblesse: la noblesse dynastique: grands seigneurs régnants sur des très grandes seigneuries héréditaires ; et la noblesse ministérielle: serviteurs des grandes dynasties. Les grandes familles d’entrepreneurs: Michelin, Peugeot, Agnelli, Wallenberg, Rausis, et même dans notre pays : Bobst, Bühler, Firmenich, désormais Blocher, Hayek, naguère Sulzer, sont des dynasties économiques de notre époque. Les cadres, même quand ce sont des C.E.O. payés à coups de millions comme les Vasella, Barnevik, Marchione, Ghosn de ce monde, ne sont que des ministériaux. Ils gagnent beaucoup, souvent plus que certains entrepreneurs dynastes, mais ce ne sont que des serviteurs. Or il est souvent préférable de faire allégeance à une dynastie d’entrepreneurs qui a une vision du long terme, plutôt qu’à une république féodale de ministériaux managers, asservis aux exigences de court terme d’actionnaires anonymes.

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