Après avoir donné une perspective plutôt positive de Hongkong, je vais prendre le contre-pied. En Europe et en Occident, on parle beaucoup de la génération Y, qui souhaite moins réussir dans la vie que de réussir sa vie. Même si Hongkong est parfois considéré comme une fusion entre cultures occidentale et asiatique, le concept s’y applique plus difficilement. Au cours de mon année d’échange ici, j’ai entendu de nombreux discours pessimistes sur l’avenir de la cité. Un jour, un étudiant m’a confié que «dans l’histoire de cette ville autrefois brillante et porte d’entrée de la Chine, nous sommes dorénavant au ‘sunset’, au déclin».
Une compétition féroce
Pour illustrer ce climat morose, parlons du système de notations utilisé à l’université. Pour faire court, la note finale que l’on vous attribuera pour une branche sera dépendante de la moyenne et de la distribution des résultats de la classe. C’est une manière de forcer un classement et d’empêcher l’excellence pour tout le monde. Résultat: si vous avez une bonne note, cela veut probablement juste dire que vos camarades sont tous mauvais, et vice versa. Les Hongkongais tendent donc à adopter une attitude extrêmement compétitive, surtout parmi les jeunes, ce qui génère une pression malsaine et dangereuse. Cette année universitaire à la Chinese University of Hong Kong est d’ailleurs la pire en nombre de suicides parmi les étudiants. Si toutes les universités hongkongaises font face à un nombre important de suicides depuis déjà quelque années, celle-ci marque un triste record.
Ces événements parmi les étudiants locaux sont le reflet d’un malaise plus compliqué qu’il n’y paraît. Selon le South China Morning Post, le journal anglophone influent de la ville, la perte d’espoir en l’avenir accroît la pression sur les jeunes. Cela est dû au destin de cette cité qui dépend dorénavant du pouvoir de Pékin. «The Mainland» envoie d’ailleurs des quotas réguliers d’étudiants chinois à Hongkong, chaque année, pour qu’ils mènent leur cursus dans les universités de l’ancienne colonie britannique. Ces étudiants, souvent très bosseurs et déterminés, augmentent fortement la compétition. Le marché du travail est évidemment aussi touché. Pour les étudiants de Chine continentale, il semblerait que Hongkong représente la porte de sortie du pays, grâce à son exposition internationale. L’objectif final de nombre d’entre eux est, souvent, de s’expatrier aux Etats-Unis ou ailleurs à l’étranger.
L’ennemi: “the Mainland”
Les étudiants et les jeunes Hongkongais en général sont les plus actifs dans la résistance du mouvement des Parapluies, parfois avec des moyens musclés, comme les casses survenus à Mongkok (Kowloon) cet hiver. Ces méthodes violentes ne sont pas très appréciées par les générations plus âgées. Pourtant, la situation pour les jeunes d’aujourd’hui sera beaucoup plus difficile que pour celle de leurs parents, ce qui génère une grande frustration et une nostalgie du passé. Les Hongkongais (de tous âges) les plus mécontents n’hésitent pas à vous dresser les pires portraits des «mainlanders»: certains ne viendraient à Hongkong que pour profiter du système, vider les magasins du lait en poudre pour les enfants et commettre de petits crimes afin de se faire enfermer en prison – où l’on échappe à la pauvreté – ou encore envahir les hôpitaux pour accoucher afin de profiter du droit du territoire. Si ce portrait semble extrême, j’ai pu moi-même observer le trafic qui prend forme près de la frontière au nord du territoire, où de nombreux Chinois continentaux achètent et revendent des produits afin de profiter de la situation hors taxes de Hongkong. Tout ce business est très bien organisé avec des réseaux de grossistes à Shenzhen, cette mégalopole qui borde le territoire de l’autre côté de la frontière.
Hongkong traverse une crise identitaire. D’un côté, les locaux sont fiers de leurs racines et du retour de la Chine comme puissance mondiale; de l’autre, ils sont attristés par l’avenir peu réjouissant qui les attend. Si les Hongkongais veulent résister, ils ne savent pas encore très bien comment. Ils regrettent la période britannique, mais se considèrent davantage chinois et traditionnels que le reste du pays. Officiellement, la ville pourra jouir de son entière indépendance jusqu’en 2047. Mais qu’arrivera-t-il alors aux Hongkongais une fois la date butoir venue? Taiwan représentera-t-elle alors peut être une possibilité d’expatriation? Pour l’heure, une chose est certaine: les suicides ne sont pas près de s’arrêter.
Bof