Sanders ou le retour de la politique

Le candidat le plus à gauche de l’échiquier politique américain a de sérieuses chances d’emporter cette année l’investiture du parti démocrate. Et s’il mérite, sur un point, d’être comparé à Donald Trump, ce n’est pas sur celui qui est le plus souvent évoqué.

Mais reprenons: ce lundi 3 février 2020, la primaire démocrate débute en Iowa. Son déroulement a été marqué par de nombreux rebondissements au cours des derniers mois – et nombre de candidats ont connu leur moment de progression dans les sondages d’opinion. Le surge, ce pic momentané, est très recherché: il permet d’obtenir un écho médiatique plus large, de créer du momentum, autre lieu commun du commentaire anglophone de la course de petits chevaux des primaires. Kamala Harris a pu y croire après un débat à l’été 2019 – elle a quitté la course entre-temps. Elisabeth Warren en a bénéficié en septembre, mais le soufflé est retombé. Joe Biden n’a pas provoqué de nouvelle vague d’adhésion depuis… son entrée en campagne, même s’il bénéficie d’un très bon socle de base. Pete Buttigieg, maire d’une petite ville de l’Indiana, connaît depuis quelques mois un regain – mais ne parvient pas pour autant à faire la course en tête. Quant à Amy Klobuchar, même le soutien officiel du New York Times (partagé avec E. Warren, une première historique) ne lui a pas permis de décrocher.

Et ainsi, qui fait la course en tête dans le premier Etat a voter pour le candidat de l’opposition? Personne d’autre que Bernie Sanders, selon l’état actuel du modèle du site FiveThirtyEight (dont le nom se réfère au nombre des grands électeurs qui désignent le président des Etats-Unis). Sénateur indépendant se revendiquant du socialisme démocratique, il était aussi le principal adversaire d’Hillary Clinton en 2015. A ce stade, il n’est donc pas impossible que la course se termine d’une manière similaire: par un face-à-face entre le candidat de l’establishment, en l’occurrence l’ancien vice-président, et un candidat aux propositions radicales tel que Sanders.

Immanquablement, on a vu ressortir portraits et articles qualifiant B. Sanders de Donald Trump de gauche. Le terme qui ne trompe pas pour identifier les discours simplistes est l’inévitable populiste. H. Clinton a donné de cette pauvreté d’analyse l’exemple à la fois le plus amusant et le plus dramatique en déclarant récemment, à propos de celui qui a de vraies chances de l’emporter: “Personne ne l’aime”. Tout ce que cette formule trahit de mépris des électeurs n’apporte qu’une explication de plus à la défaite de 2016.

Alors, Sanders est-il un anti-Trump? Ce parallèle simpliste nie deux différences fondamentales. D’abord, la constance est du côté du sénateur du Vermont, qui tient depuis des décennies les mêmes positions. Le président actuel ne peut pas en dire autant, lui qui n’a eu de cesse d’adapter son discours pour des motifs tactiques (l’exemple le plus piquant en étant probablement sa signature, en 2009, au bas d’un appel à l’action contre le changement climatique…)

Ensuite, les deux candidats se distinguent par leur manière d’envisager le terrain démocratique. D. Trump place les questions identitaires au fondement de son positionnement. Les clivages qu’il construit sont de nature culturelle, et même, bien souvent, raciale. Contre l’avortement, contres les Mexicains, contre les Chinois, contre les personnes LGBT, contre les noirs: qu’il s’agisse de politique sociale, d’immigration, ou d’économie internationale, tout ne doit concourir qu’à dépeindre les ennemis d’une majorité américaine blanche et chrétienne assiégée de toutes parts.

B. Sanders, lui, laboure les vieux sillons d’une politique de gauche entendue au sens européen du terme – d’ailleurs, son programme “socialiste” s’appellerait ici simplement social-démocrate. Réhabilitant une lecture économique de la société en termes d’inégalité, il défend la santé, le logement ou l’éducation pour tous, en dirigeant ses attaques contre les détenteurs du pouvoir de l’argent, et ses appétits vers leur fortune. Il propose, en somme, un projet d’unité qui pense en droits généraux et non en intérêts spécifiques de catégories, quelles qu’elles soient.

Il ne faut pas sous-estimer la spécificité de cette approche dans le cadre du parti démocrate américain. Celui-ci a en réalité longtemps placé ses espoirs dans ce qui s’est appelé la “coalition Obama”, soit l’alliance de différents groupes sociaux conçus comme ayant leurs motivations et revendications propres et distinctes autour d’un candidat charismatique. Avec, au passage, le remplacement d’un véritable programme par un progressisme abstrait orienté sur les droits individuels. C’était, en quelque sorte, le projet d’H. Clinton en 2016, et c’est, surtout, accepter une lecture de la société en segments qui n’existent que par leur différence, lecture qui n’est pas si différente de celle de D. Trump.

B. Sanders fait autre chose: en labourant les vieux sillons socialistes, il déploie une vision qui rassemble parce qu’elle touche aux conditions de vie les plus fondamentales – et non parce qu’il additionne les revendications particulières de publics-cibles additionnés, ni n’accepte la vision de la société comme addition d’individualité. Son véritable point commun avec D. Trump est donc à chercher ailleurs. Il réside tout simplement dans la réhabilitation de l’action politique. Aussi profondes que soient leurs différences sur le fond, ils sont tous deux partis à la conquête de leur primaire sur un agenda aux lignes nettes et aux priorités carrées. Ils n’exposent pas les contraintes qui limitent le champ des possibles, mais font, chacun à leur manière, sauter les limites usuelles de ce champ.

Une victoire de B. Sanders dans la primaire redonnerait de l’espoir au monde entier sur le fait que face aux inégalités, aux injustices et au changement climatique, il est possible de proposer un projet d’ensemble, une vision qui rassemble au lieu de diviser, et qui insiste sur les points communs plutôt que sur les différences. Mais surtout, après la révolution qu’a représenté Trump pour le camp républicain, il remettrait les démocrates à la hauteur en signant le retour de l’ambition, du volontarisme, en un mot de la politique. Indépendamment de l’issue de l’élection, ce serait une excellente nouvelle pour la démocratie.

Benoît Gaillard

Qu'est-ce qui nous réunit? Comment réaliser la solidarité aujourd'hui? De quelles règles avons-nous besoin? Benoît Gaillard défend et illustra la puissance du collectif dans un environnement marqué par l'individualisme et la mondialisation. Il est conseiller communal socialiste à Lausanne.

11 réponses à “Sanders ou le retour de la politique

  1. Croyez vous au père noel ?

    Et bien figurez vous que moi j’y crois.

    Après tout, il y en a bien qui croient au socialisme et au communisme.

    Alors concernant sanders, il ne sera pas élu face à trump, et voilà un réel et grand bienfait pour toute l’humanité.

    Pas plus que les usa ne deviendront un pays socialiste ou communiste (un peu bonnet blanc et blanc bonnet).

    Les gauchistes européens ont ceci de commun, ils sont totalitaires dans leur mode de pensée et d’action et vivent constamment dans un rêve.

    Comme je trouve absurde qu’il y ait en Suisse des socialistes et assimilés, je trouve absurde leur présence ou que ce soit dans le monde.

    Je me plais toujours à leur demander 2 choses :
    – êtes vous capables de me citer 1 seul pays dans le monde dont l’idéologie est basée soit sur le socialisme, soit sur le communisme, et qui soit à la fois une grande démocratie et une grande économie ? J’ai jamais de réponses.
    – Pourquoi combattre tant le capitalisme alors que lors de la chute du mur de berlin en 89 il aurait suffit de passer à l’est et aller trouver refuge dans les merveilleuses démocraties socialistes et communistes de l’est d’ou s’échappaient par milliers, voire millions, des gens, qui eux, ont vécu les merveilles de ces 2 idéologies ? Là aussi jamais de réponses.

    La vie n’est pas si compliquée que ça en fin de compte.

    Au lieu de vivre dans un pays capitaliste qu’on vomit sans cesse, il faudrait aller vivre dans une merveille idéologique de gauche au lieu de vivre dans l’opulence et le petit confort capitaliste.

    Là oui on serait cohérent.

    1. Cher Monsieur,
      Il y a probablement malentendu sur les définitions. Je ne défends pas le communisme bureaucratique d’Etat, pas davantage d’ailleurs que Bernie Sanders, et c’est à dessein que j’évoque dans l’article la social-démocratie à l’européenne, somme toute assez classique.
      Plusieurs pays appliquent, ou ont appliqué des recettes qui s’inspirent de cet agenda. En Suisse, c’est en nationalisant – oui, en nationalisant – les compagnies de chemin de fer privées il y a plus d’un siècle que nous avons construit l’un des systèmes ferroviaires les plus performants du monde. En France ou au Royaume-Uni, c’est en misant sur des services publics de santé, dont les médecins et les infirmières sont fonctionnaires, qu’on a atteint une qualité de soins exceptionnelle qui s’est traduite, au moins à certaines époques, par des progrès fulgurants de niveau de santé et d’espérance de vie. Aux Etats-Unis, il n’y a que quarante ans, l’Etat prélevait jusqu’à 90% des revenus au-delà d’un certain niveau – ce qui correspond de fait à une sorte de salaire maximum que vous classeriez à n’en pas douter dans le répertoire maudit des idées communistes. Et s’agissant de ce même pays, il faudrait discuter sérieusement, avant d’en faire le modèle du capitalisme, du financement massif de pans entiers de son économie par une dette publique obtenue presque sans limite et à des conditions avantageuses en raison de la position du dollar et de la domination américaine sur l’économie mondiale. Y a-t-il plus “communiste” que l’industrie américaine du renseignement ou de l’armement, dont la productivité n’est par définition pas mesurable? Vous voyez que la question mérite sans doute plus que vos caricature.

      1. La « qualité de soins exceptionnelle des services publics de santé où médecins et infirmières sont fonctionnaires en France et en Grande-Bretagne, s’est traduite par des progrès fulgurants au niveau de la santé… au moins à certaines époques, précisez-vous ».

        Certaines époques d’une certaine durée à certains moments un certain temps. C’est du Fernand Raynaud…

        Le NHS anglais est sous-financé depuis plus de trente ans, il y a trois ans les médecins et infirmiers, urgences comprises, ont fait la grève pendant une semaine pour protester contre l’augmentation de leurs heures de travail, parallèlement à une baisse de salaire. Côté patients, la liste d’attente pour être opéré est en-dessous du seuil d’une année : c’est effectivement « fulgurant », et « à une certaine époque » cela pouvait dépasser deux ans. Les Anglais qui peuvent se permettre les dépenses vont en clinique privée anglaise où ils attendent trois mois, ou vont en France à Calais… En 2018, faute de place, 55’000 opérations ont été purement et simplement annulées. Plus « fulgurant » encore, 5’500 patients sont morts ces quatre dernières années faute d’avoir pu être soignés à temps.

        https://www.theguardian.com/society/2019/dec/10/thousands-of-patients-die-waiting-for-beds-in-hospitals-study

        Tout ce que vous ne voulez pas voir en face pour peindre des tableaux qui rejoignent au mieux vos idéaux et buts politiques…

        1. Le sous-financement du NHS a une origine facile à déterminer: l’attaque annoncée par Margaret Thatcher en 1988. Il n’est donc pas absurde d’estimer que le NHS a été un modèle pendant une quarantaine d’années, et que la situation s’est ensuite détériorée. Il s’agit d’une question de volonté politique.

  2. Il n’y a bien qu’un politique pour croire aux fadaises racontées par un autre politique (ou faire semblant).
    Ce qu’on nomme pompeusement *néolibéralisme*, n’est en réalité que du “manolibéralisme”, soit privatiser les bénéfices et étatiser les pertes.

    Privatiser l’eau, et voler au secours de l’UBS, pour faire simple… !

    l’Amérique, cette bande de crétins ignares qui, pour l’instant, dirige le monde n’y fait pas exception.
    Ils ne sont pas assez évolués pour élire une femme Présidente, alors un …socialiiiiiste.

    A votre place, je serais plus inquiet pour la démocratie suisse, car lorsqu’on voit qu’un procureur est élu par acclamation, sans concurrent, soit tout le monde est d’accord, génial, soit les rouages du pouvoir sont plus que pourris?

    1. Je ne suis pas sûr de comprendre votre conclusion mais je partage votre avis sur l’eau et l’UBS.

      1. Je parlais du procureur genevois, mais on peut parler du vaudois, qui fait recours lui-même contre votre juge lausannois .

        A moins que ce ne soit dirigé en sous-main par le plaignant, le CS, qui contrairement à UBS n’a pas demandé l’aide de l’Etat en 2008, mais se retrouve ces temps-ci avec beaucoup de casseroles.

        Bref, ce que je voulais dire c’est que le troisième pouvoir semble faire ce qui lui chante, surtout au service des intérêts majoritaires supérieurs et personne dans “une des meilleures démocraties du monde” ne semble s’en émouvoir…!

        1. Pour complément (j’aime comme tout le monde être compris), la séparation des pouvoirs perd de plus en plus son étanchéité. A l’instar du Titanic, dont les compartiments de charbon ont fondu les uns après les autres.

          Quant à notre chère démocratie, entre la récolte de signatures payées pour des initiatives, le flou artistique sur la transparence des financements des partis, des politiques, comme des lobbyistes, un troisième pouvoir totalement opaque, non seulement tout ça mène au populisme, mais à un désintérêt général de la politique.

          Il est vrai que l’époque n’est pas propice à la rigueur, entre l’écologie que l’on nomme d’une couleur politique, alors que ce n’est que la survie de tous, les chamboulements économiques, l’épée de Damocles sur les retraites, chacun y va de sa recette, ou plutôt de son intérêt personnel.

          Ah, si l’on pouvait enseigner le courage et l’éthique 🙂

  3. Les dernières nouvelles des élections américaines laisse voir un développement, pour ne pas dire une improvisation étonnante. On est très curieux de savoir ce qui c’est réellemement passé… Les résultats partiels seraient corrects, mais une erreur dans le logiciel… Vraiement? Est-ce à dire que ce fameux logiciel n’a jamais été testé? On a beaucoup de peine à le croire. Le parti démocrate a mal à ses primaires et ce n’est pas nouveau. Comment espérer vaincre dans de telles conditions?

  4. Pauvre Sanders…
    Il est tellement convaincu qu’il a raison qu’il se présente à une élection à son âge…
    Heureusement que les USA ont un représentant de la jeune génération, qui est mieux éduqué, qui propose de meilleures mesures, qui ne traîne pas de casseroles et qui est simplement tellement mieux (critère très objectif).

    Vite Pete au nom imprononçable.
    Et dommage pour vous d’avoir misé sur le mauvais candidat.

    1. Bon, d’une part, j’émettais un souhait, pas un pronostic. D’autre part, en gros, les deux se retrouvent à égalité ou pratiquement, donc je ne suis pas particulièrement malheureux.

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