Election n’est pas traduction

Nous sommes donc à Trump + 8. L’émotion commence à redescendre, et ça ne fait pas de mal, au contraire, ça permet de réfléchir un peu mieux. Evidemment, une certaine stupeur m’a saisi à la prise de connaissance du résultat de l’élection. Et comme beaucoup d’autres, c’est finalement l’effet de surprise qui m’a fait le plus mal. Mais de tout ça, d’autres ont parlé mieux que moi, et nous continuerons à en débattre.

Il se trouve que, par hasard, deux jours avant l’élection, un ami m’a envoyé cette vidéo sur les défauts du système pour l’élection à la présidence de la République française. 

Son intervenant explique les différents problèmes que pose l’élection d’un point de vue logique et mathématique, comme celui, bien connu, qui veut qu’on peut avoir un candidat (centriste, bien souvent) qui battrait tous les autres en duel au second tour sans n’avoir jamais aucune chance d’y parvenir.

La vidéo propose plusieurs autres possibilités pour aboutir à une proposition très raffinée que je vous laisse découvrir et qui consiste à noter chacun des candidats selon une échelle d’appréciation puis à les classer ensuite selon la note sur laquelle s’accordent, à leur sujet, 50% de l’électorat. Oui, c’est compliqué, non ça ne s’explique pas en deux phrases, c’est d’ailleurs un premier défaut. Mais ça n’est pas le principal.

Non, le principal défaut de ce genre d’approche, comme d’ailleurs de nombre d’analyses de l’élection présidentielle américaine (qui présente des similarités avec l’élection française, mais aussi beaucoup de différences), réside dans un présupposé qui a la vie dure et qu’on peut résumer comme suit: il y a des électeurs, qui ont au moment de voter des idées, une conception du monde, des valeurs ou ce que vous voulez, bref quelque chose dans leur tête qui s’appellerait, en gros, une “opinion politique”, et la fonction de l’élection est de traduire ces opinions en choix de personnes, à travers les partis politiques. Et donc, on s’interroge sur la question de savoir si le vote Trump est un vote d’adhésion (donc qui traduirait une vision politique proche ou identique de celle du candidat), de protestation (donc qui traduirait simplement une sorte d’envie de crier politiquement très fort), de rejet de la candidate adverse (donc qui traduirait un désamour, une haine ou un mépris pour Clinton).

Or, il s’agit là d’une conception réductrice et difficilement applicable. En réalité, l’électeur n’est pas soumis au principe de non-contradiction. Il a bien souvent des idées et des conceptions contradictoires, et c’est son droit le plus strict. A la question “pourquoi avez-vous voté comme ça?”, nous donnons tous des réponses diverses qui mêlent tactique, histoire, valeurs, jugements personnels, instinct, habitude. Une campagne électorale réussit si elle réussit à coaliser différents types de vote, exprimés pour différents motifs, parfois très contradictoires. Autrement dit, nous choisissons tous nos options électorales sur des échelles incommensurables, que nous adaptons d’une manière qui nous est propre aux possibilités qui nous sont offertes par le système électoral.

Les interrogations de type technique sur la meilleure façon d’organiser le vote sont donc vouées à l’échec. Un système électoral parfait, c’est comme une traduction totalement fidèle, ça n’existe pas. Mieux vaut s’intéresser au texte.

 

NB: je précise bien que je parle ici des manières de choisir ses candidats du point de vue du votant, et pas des modalités de double articulation du vote comme le système des grands électeurs aux Etats-unis, qui pose effectivement de vrais problèmes

Benoît Gaillard

Qu'est-ce qui nous réunit? Comment réaliser la solidarité aujourd'hui? De quelles règles avons-nous besoin? Benoît Gaillard défend et illustra la puissance du collectif dans un environnement marqué par l'individualisme et la mondialisation. Il est conseiller communal socialiste à Lausanne.

2 réponses à “Election n’est pas traduction

  1. Passionnant sujet !
    La Prof. K. Hess-Bellwald de l’EPFL avait également développé cette question (ça m’avait marqué) autour de l’élection du Conseil fédéral : http://hessbellwald-lab.epfl.ch/files/content/sites/gr-he/files/Maths%20et%20Conseil%20f%C3%A9d%C3%A9ral
    Peut-être que l’idée va circuler un peu plus ? Le Maine vient par exemple de voter pour passer à un système de classement des candidat-e-s : https://en.wikipedia.org/wiki/Maine_Question_5,_2016

    1. L’Australie, par exemple, pratique un système avec préférences depuis longtemps. Résultat, les partis distribuent des cartes de recommandations sur la manière de classer les candidats. Et en 2016, 5% de votes invalides à l’échelle du pays tout de même…

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