“3615 Monique”, une plongée savoureuse dans l’ère enchantée du Minitel rose

Lancée en décembre 2020, la comédie française d’OCS 3615 Monique est revenue deux ans plus tard pour une saison 2 encore plus aboutie. Après avoir relaté le lancement d’un service de Minitel rose intitulé « 3615 Monique » depuis la ville de Jouy (forcément), la série suit les pas des anciens étudiants Stéphanie, Simon et Toni, installés à Paris en 1983 afin de s’imposer sur le marché de plus en plus concurrentiel du sexe. En ligne de mire : la vision orgasmique d’une télévision française qui se réfère à son propre passé pour s’ouvrir de nouvelles perspectives.

Attention ! Il est préférable d’avoir vu la saison 2 de 3615 Monique avant de lire ce billet.

Essayez donc de ne pas avoir la banane en regardant 3615 Monique. Chaque nouvel épisode, bonbon d’une petite vingtaine de minutes qui ne perd jamais de sa saveur, fait naître un sourire béat sur votre visage, comme si vous étiez retourné en enfance et vous voyiez tendre pour la première fois un bâtonnet de barbe à papa à la fête foraine. À l’opposé de l’art éléphant blanc que dénonçait Manny Farber dans les années 1960, 3615 Monique est un modèle d’humilité teintée de sophistication – un termite virevoltant dont on explore chaque nouvelle galerie avec un mélange de gourmandise et de nostalgie face à une séparation toujours plus proche. Le récit a été conçu pour s’étendre sur trois saisons afin d’entrer dans l’ère Internet : gageons qu’OCS ne commettra pas la même erreur que Canal+ en annulant OVNI(s) après deux saisons, alors que la création de Clémence Dargent et Martin Douaire (qui possède beaucoup de traits communs avec 3615 Monique) en avait encore tellement sous le pied.

La deuxième saison de 3615 Monique est venue confirmer tout le potentiel de cette « OCS Signature » (label qui s’impose de plus en plus comme le foyer des nouvelles générations de talents français dans le domaine de la création sérielle française). Haut en couleur, foncièrement attachant, chaque second rôle s’impose par son charisme et son plaisir de jouer la comédie sans avoir à faire un « numéro ». De Vivi la prostituée au grand cœur (Maud Brethenoux) à Mona la « geekette » qui conseille à Simon de « réciter Pi » pour se détendre (Roxane Bret), du crapuleux Angelo (David Salles) au sous-fifre de Pasqua Francis Ponge (Nicolas Lumbreras), en passant par les parents au bord de la crise de nerfs de Simon (Monique « la vraie » et Maurice, campés par les géniaux Anne Charrier et Bruno Paviot), sans oublier les savoureux Marc Dorcel (Loïc Corbery) et Jean 25cm (Stéphane Grossi), le manège ne s’arrête jamais de tourner et de nous procurer une délicieuse sensation d’euphorie.

Vivi (Maud Brethenoux)

Quel que soit leur degré d’importance dans le récit, les personnages de 3615 Monique ne sont en aucun cas figés. Ils affrontent, bravent, interrogent, admettent, s’adaptent, se remettent en question. Ils sont vivants, charnels, traversés d’émotions si intenses qu’elles traversent l’écran et se glissent sous notre peau. C’est d’autant plus vrai pour le trio de tête composé de Stéphanie, Simon et Toni (Noémie Schmidt, Arthur Mazet et Paul Scarfoglio, d’une justesse et d’une complémentarité de chaque instant), cocottes-minute sans cesse sur le point de faire sauter le couvercle. À aucun moment la série ne peut toutefois être qualifiée de « fantaisiste » ou de « tire-larmes » (quel oxymore) : ce n’est pas parce qu’elle affiche ses émotions que celles-ci se transmettent à nous, mais parce qu’elle les partage. Ainsi, 3615 Monique n’est pas du genre à « ménager des temps » (pour rire, pour pleurer) : elle est tout le temps, ce dont témoigne l’imbrication de son générique d’ouverture et de ses crédits de fin, qu’il serait totalement absurde de zapper comme on pourrait le faire d’une vulgaire série regardée sur Netflix. Vous viendrait-il à l’idée de ne pas déguster votre barbe à papa jusqu’à la dernière fibre acidulée ?

Structurellement, 3615 Monique mêle à merveille la petite et la grande histoire, le micro et le macro, l’épisodique et le feuilletonnant. Chaque épisode (au titre préfixé par « 3615 ») s’apprécie pour lui-même, et encore plus pour ce qu’il apporte à l’expérience globale du spectateur assidu. À ce titre, la série est bien plus complexe que sa façade eighties et son format court ne pourraient le laisser penser. C’est exactement cela, l’art termite : ne pas chercher à épater la galerie, tracer son sillon en restant fidèle à ses principes de base, et surtout ne jamais se renier. Pour la série au cœur tendre qu’est 3615 Monique, cela passe par une volonté sans cesse réaffirmée de créer du lien social, de rapprocher les êtres, de placer l’humain au centre de ses préoccupations. N’était-ce pas, justement, le fondement du Minitel puis d’Internet ?

Pensons à ce moment savoureux où Simon surprend sa petite sœur Delphine (Meylie Vignaud) en train de se dévergonder avec des amis dans l’imprimerie de son père, tard le soir. On pourrait s’attendre à ce que Simon fasse la morale à l’adolescente de 17 ans, mais celle-ci le prend au dépourvu en le présentant comme son « super frangin », en accourant vers lui et en le prenant affectueusement dans ses bras. S’ensuit une parenthèse enchantée au cours de laquelle Simon finit par se lâcher et par danser comme un gamin sans penser aux lendemains qui déchantent. Vérifiez : un nouveau sourire béat vient de s’afficher sur notre visage. Vous pouvez dire merci à Monique, et à bientôt pour des échanges encore plus coquins.

Benjamin Campion

Benjamin Campion est enseignant-chercheur en études cinématographiques et audiovisuelles. Il travaille sur l’histoire, l’économie et l’esthétique des séries télévisées, la censure cinématographique et télévisuelle, ainsi que les liens entre cinéma et nouvelles images.