Qu’il s’agisse de créer, de superviser, d’écrire ou de réaliser des épisodes de série, la majorité des postes clés restent dévolus à des hommes dans l’industrie télévisuelle américaine. Cependant, les tendances évoluent, et certaines chaînes mettent un point d’honneur à rééquilibrer les forces artistiques en présence. C’est le cas de HBO, dont les dernières créations témoignent d’une volonté de sortir du carcan masculiniste.
Plusieurs séries récentes de HBO confirment ce qui s’apparente, pour la chaîne, à une ouverture plus tangible des postes de showrunners aux femmes : Divorce (Sharon Horgan, 2016-2019), Camping (Lena Dunham et Jenni Konner, 2018), Gentleman Jack (Sally Wainwright, 2019-), Run (Vicky Jones, 2020). Aucune n’a cependant, pour l’heure, atteint la longévité de Girls (Lena Dunham, 6 saisons, 62 épisodes). À l’exception de Gentleman Jack, il s’agit en outre uniquement de comédies, catégorie souvent considérée comme moins prestigieuse que les drames. De surcroît, cette tendance ne remet pas en cause l’accès privilégié des hommes à des postes clés du développement des séries de HBO : entre octobre 2018 et juillet 2020, environ un tiers des épisodes a été écrit par des femmes (34,2 %), la proportion étant légèrement supérieure pour la réalisation (38,3 %)[1].
Il est toutefois de plus en plus fréquent que HBO confie des espaces de création à des femmes, dans la continuité de séries comme Tell Me You Love Me (85 % de scénaristes femmes, 60 % de réalisatrices), Girls (66 % de scénaristes femmes, 50 % de réalisatrices) et Olive Kitteridge (minisérie de 2014, en 4 épisodes, écrite par Jane Anderson et réalisée par Lisa Cholodenko). Outre Mrs. Fletcher, Betty et I May Destroy You, les séries Gentleman Jack (100 % de scénaristes femmes, 100 % de réalisatrices), Camping (81 %, 75 %), Insecure (69 %, 56 % pour les saisons 3 et 4 en cumulé) et Run (57 %, 86 %) ont toutes été écrites et réalisées en majorité, voire en intégralité, par des femmes (Fig. 1 et 2).
De façon notable, la troisième saison de Westworld (2016-) apparaît sur ces deux graphiques. Contrairement aux deux précédentes, elle a fait basculer cette série au budget très important (plus de 100 millions de dollars par saison) dans une majorité féminine (69 % de scénaristes femmes, 62,5 % de réalisatrices), par opposition à des séries beaucoup plus masculines comme Game of Thrones (saison 8, la dernière), True Detective (saison 3), Chernobyl et Our Boys, entièrement écrites et réalisées par des hommes. Le bond le plus spectaculaire se situe au niveau de la réalisation : sur les 10 épisodes de la saison inaugurale de Westworld, un seul avait été réalisé par une femme (Michelle MacLaren), alors que 5 des 8 épisodes de la saison 3 ont été mis en scène par Amanda Marsalis, Anna Foerster, Jennifer Getzinger et Helen Shaver. Cela montre que les (dés)équilibres ne sont pas figés, et que la répartition des rôles peut grandement évoluer au fil des ans[2].
Ces chiffres illustrent une volonté générale de la télévision américaine de diversifier l’encadrement de ses séries. Selon une étude de la Directors Guild of America (DGA), 31 % des épisodes de la saison 2018-2019 ont été réalisés par des femmes – soit une proportion qui a plus que doublé en cinq ans (14 % en 2013-2014). À titre de comparaison, seuls 16,5 % des films américains live réalisés en 2017 l’ont été par des femmes (proportion qui tombe à 12,2 % pour les films ayant rapporté plus de 250 000 dollars). En 2018-2019, que ce soit sur les networks, le câble ou la SVOD, 49 % des postes attribués à des réalisateurs sans expérience télévisuelle préalable ont été décrochés par des femmes (contre 33 % deux saisons plus tôt).
Parmi les sociétés de production, Home Box Office (le studio attaché à HBO) est le deuxième à avoir employé la part la plus élevée de femmes (36,7 % de ses 109 épisodes, répartis entre 13 séries, ont été réalisés par des femmes), derrière Disney/ABC (40,1 %), mais loin devant Netflix, qui se classe en queue de peloton (24,8 %). Ce classement n’a toutefois qu’une valeur relative : HBO produisant moins de séries que ses principaux concurrents (les huit studios ici recensés, parmi lesquels 20th Century, Warner Bros., NBC Universal, CBS et Sony, qui ont produit 71 % des épisodes de la période définie), une lecture comparative des valeurs absolues d’un tel bilan comptable mènerait à en tirer des conclusions forcément très différentes. Il n’empêche que la situation évolue, doucement mais sûrement.
[1] Pour ce calcul, j’ai estimé à 100 % les épisodes ayant pour scénariste(s) une ou plusieurs femmes, à 50 % les épisodes ayant également pour scénariste(s) au moins un homme, à 0 % les épisodes n’ayant pour scénariste(s) que des hommes.
[2] Paradoxalement, la saison 3 de Westworld est aussi celle où il y a le moins de solidarité entre personnages féminins. Selon des motivations parfois difficiles à comprendre, Dolores Abernathy et Maeve Millay en viennent à se battre régulièrement l’une contre l’autre plutôt qu’à faire front commun. Ce n’est donc pas parce qu’elle est écrite et réalisée par une majorité de femmes qu’une série s’engage forcément sur une voie féministe.