Plusieurs centaines de milliers de manifestants ont récemment défilé dans les rues d’Athènes, pour protester contre l’engagement de négociation du Premier-ministre grec Alexis Tsipras, avec son homologue de la République de Macédoine (ARYM*), Zoran Zaev, au sujet de l’utilisation du nom « Macédoine ». Ces deux leaders, jeunes, pragmatiques, souhaitent mettre un terme à cette « guerre du nom » qui empoisonne, depuis vingt-cinq ans, le bon voisinage et les échanges économiques entre ces deux pays. Les compromis discutés sont symboliques, mais importants pour le contexte en question : A. Tsipras accepterait une solution d’un nom composé de « Macédoine du Nord », et en échange, Z. Zaev s’engagerait à rebaptiser les noms de l’aéroport de la capitale et de la principale autoroute du pays. Elles portaient, jusqu’ici, le nom d’Alexandre le Grand.
Pour les observateurs occidentaux, ce conflit étonne, pour ne pas dire interloque, perçu comme un litige quasi-exotique de la partie orientale de l’Europe.
Quelle en est l’origine ? La « guerre du nom »date de la désintégration yougoslave. Le 8 septembre 1991, la République de Macédoine est proclamée indépendante. L’adoption du nom constitutionnel de « Macédoine » par ce nouvel Etat, ainsi que le symbole étatique frappés du Soleil de Vergina** ont suscité des virulentes réactions en Grèce. L’adoption des noms et des symboles de Macédoine avaient mobilisé plus d’un million de Grecs dans les rues de Thessalonique pour protester contre le ‘kidnapping’ du nom de « Macédoine », perçu comme héritage national grec. Pour la Grèce, seule sa province septentrionale mérite l’appellation « Macédoine ».
Dans un but d’apaiser les tensions entre la Grèce – membre l’Union européenne et de l’Otan – et l’ancienne république yougoslave de Macédoine, en plein conflit ex-Yougoslavie, plusieurs cycles de discussions greco-macédoniennes ont été menés. Ces pour-parler accouchèrent d’un compromis provisoire au sujet de l’appellation officielle de ce pays, sans toutefois parvenir à une solution définitive. Ainsi, en 1993, la Macédoine a été reconnue par l’Organisation des Nations Unies, sous le nom ARYM (FYROM en anglais). Cette reconnaissance internationale fut accompagnée par l’abandon de l’utilisation du soleil de Vergina dans les symboles de cet Etat.
Depuis, les deux pays entretiennent des relations en apparence paisibles, mais cette question du nom demeure une épée de Damoclès. Telles de braises encore chaudes, la propriété du nom s’est enflammée avec la montée identitaire des Grecs et des nationalistes macédoniens. Ces derniers, au pouvoir de 2006 à 2016, ont accentué la dimension antique de la Macédoine, comme vecteur de l’identité nationale, au détriment de leur appartenance et héritage slave. Ils ont ainsi multiplié les provocations envers la Grèce, en transformant Skopje la capitale en un cirque antique très couteux, en érigeant une imposante statue d’Alexandre le Grand en plein cœur de la ville.
Les symboles dans les Balkans et ceux associés à la question macédonienne éclipsent un enjeu beaucoup plus trivial : celui des territoires. C’est un deuxième fait important à souligner. Au moment de la reconnaissance par l’ONU, la Macédoine a du radier deux articles constitutionnels qui lui donnaient un droit de regard sur la minorité slave-macédonienne en Grèce. Ce fut donc la principale raison de la mobilisation politique des grecs qui craignaient, à terme, des revendications irrédentistes au nord du pays. Ainsi, en s’opposant au nom, elle voulait mettre un terme à toute velléité nationaliste macédonienne à plus long terme, et ouvrir la boite de pandore sur la question des minorités en Grèce (notamment les Tchammes, minorité albanaise). Soulignons au passage que le territoire de la Macédoine actuelle a historiquement été une pomme de discorde entre différents Etats de l’Europe du sud-Est, notamment la Bulgarie et la Serbie. Pour comprendre les manifestations dans les rues d’Athènes sur le nom « Macédoine », relevons un troisième élément, qui est plus conjoncturel. En fait, les revendications des Grecs de ces derniers jours ressemblent davantage à une instrumentalisation politique des partis politiques d’opposition en Grèce, qui cherchent, par ce sursaut patriotique, à discréditer Alexis Tsipras, devenu, suite aux réformes et les politiques d’ajustement structurel, assez impopulaire. Il s’agit clairement d’ultimes manœuvres politiques d’utilisation émotionnelle des symboles nationaux, pour articuler les contradictions et le malaise socioéconomique général qui prévaut en Grèce, en relation avec la crise économique et financière actuelle. Du côté macédonien, le compromis, lui-aussi, est sous le feu de la critique des nationalistes.
Les deux leaders grecs et macédoniens comptent aller de l’avant pour résoudre ensemble ce litige de manière durable. Il est temps de normaliser les relations entre ces deux pays, et ceux de la région, afin d’amorcer une nouvelle dynamique économique et politique dans cette partie de l’Europe restée à l’écart.
A la fin du rideau de fer, l’historien Eric Hobsbawm avait cru à un moment que le nationalisme avait dépassé son zénith, et que la chouette de minerve, qui apporte la sagesse, était prête à prendre son envol au-dessus des nationalismes et de la nation. Les conflits ethno-nationalistes dévastateurs qui avaient éclaté immédiatement en ex-Yougoslavie ont été annonciateurs des vents contraires à cette idée de l’entrée dans une ère post-nationale. Toutefois, la nouvelle relève politique qui est en train d’émerger dans la plupart des pays des Balkans, cherche à aller de l’avant et à sortir de la conception chauvine de la nation.
* Ancienne république yougoslave de Macédoine (ARYM)
** Ce symbole, composé d’un rond entouré de seize rayons a été découvert au nord de la Grèce, à Vergina, en 1977, dans une tombe royale macédonienne attribuée à Philippe II. Il a ensuite été utilisé dans différents symboles de la Grèce, dont la drachme.