Lutter contre le fléau qu’est le racisme

Il y a quelques jours, en Allemagne, neuf personnes innocentes ont perdu la vie sous les balles d’un adepte de l’extrême droite violente. Le manifeste qu’il a laissé ne laisse aucun doute, son acte odieux était motivé par une idéologie raciste et complotiste.

Alors qu’il n’y a pas de définition précise du racisme, dans son acception large, il s’agit d’une idéologie qui postule une hiérarchie des races, des cultures ou des religions, ce qui justifierait, selon cette vision, la discrimination et l’hostilité violente envers un groupe humain, perçu comme inférieur, ou comme une menace à sa propre identité.

Même si la Suisse est épargnée par de telles manifestations de violence extrémiste, le dernier rapport du réseau de centres de conseil pour les victimes du racisme relevait que la discrimination raciale se manifeste principalement sous deux formes : les insultes et les inégalités de traitement. Ce rapport, qui résume les cas de racisme rapportés dans 24 centres spécialisés helvétiques, évoque en outre que le lieu de travail, mais aussi l’école, demeurent les espaces où l’inégalité est la plus fréquente.

Afin de sensibiliser les milieux professionnels et les citoyens, la Semaine d’action lausannoise contre le racisme de cette année 2020, qui aura lieu du 16 au 21 mars, célébrera les 25 ans de l’entrée en vigueur de la norme pénale antiraciste (art.261bis CP) qui interdit toute discrimination raciale ayant lieu dans le domaine public. Cette norme est un acquis historique important pour fixer des lignes rouges – tout en respectant le principe de la liberté d’expression – afin de préserver la cohésion sociale d’une Suisse de plus en plus diversifiée.

Pour cette édition 2020, le Bureau lausannois pour les immigrés (BLI) a organisé et coordonné, avec une importante liste de partenaires, un riche programme afin de déployer sur le terrain des actions symboliques contre le racisme, en visant notamment à toucher notamment les jeunes Lausannois·e·s. De plus, l’événement sera le point de départ de la campagne annuelle visant à faire connaitre la Permanence Info-racisme du BLI, qui est au service des victimes d’actes racistes sur le territoire lausannois.

Ce vaste programme comprend aussi une soirée de débat sur l’article 261bis, co-organisé par le BLI et le Bureau cantonal pour l’intégration des étrangers et la prévention du racisme (BCI). Le but de cette rencontre réunissant des décideurs politiques, des juristes et des professionnels qui travaillent dans le domaine de la lutte contre le racisme, est de rendre compte, de façon dépassionnée, de l’impact de cette norme et de son efficacité face au déversement de haine et de pensées extrémistes sur internet. En fait, même si les incidents rapportés plus haut révèlent une certaine constance, il en ressort une forte recrudescence des incidents à caractère raciste, antisémite et islamophobe sur les réseaux sociaux et les commentaires en ligne des journaux.

Pour ne rien manquer de ce riche et passionnant programme, rendez-vous sur www.lausanne.ch/racisme.

Small is beautiful

Le fait national, en tant que réalité historique, émerge en force au XVIIIe siècle, en se substituant graduellement aux différents modes de légitimité qui étaient autrefois dynastiques ou théocratiques. Dans la plupart des pays européens, et au-delà, le projet national est caractérisé par une certaine amnésie collective vis-à-vis du passé, autrement dit par l’effacement progressif des particularismes culturels régionaux et l’affirmation d’une identité nationale culturellement homogène. Dans certains pays du monde qui ne connaissent pas des régimes démocratiques, ce processus s’est déroulé dans la violence et la discrimination à l’égard des minorités, ce qui a suscité des griefs historiques et des revendications politiques sécessionnistes.

La dite question nationale revient en force avec l’émergence progressive de revendications régionales en Europe, mais aussi par le biais d’un discours focalisé sur l’immigration, respectivement sur l’altérité, décrit comme une menace à l’unicité culturelle. Ces rhétoriques se déroulent dans un contexte de bouleversements qu’engendre l’économie mondiale, notamment sur les modèles économiques nationaux et du rôle de l’Etat providence. Ces changements ont donc clairement aussi un impact sur les équilibres sociopolitiques intra-nationaux, mais aussi sur le vivre ensemble, perçu ou réel, avec des personnes et populations en provenance d’horizons lointains. Ce sentiment, est renforcé par un repli identitaire qui est davantage inhérent à l’individualisme – lire aux façons de vivre moins communautaires – et des dynamiques modernes qui l’accompagnent, qu’à la diversité grandissante de ces sociétés.

Dans cette constellation, le cas helvétique est particulier, et sur ce deux plans. D’une part, il est réfractaire au modèle Etat-national en prônant le lien confédéral et de subsidiarité afin de cultiver l’unité politique fédérale dans sa diversité cantonale et communale. Plus concrètement, son système assure, grâce à ses mécanismes du fédéralisme – caractérisé par une forte décentralisation et parallèlement une délégation volontaire de certaines compétences depuis le bas vers le haut – de la démocratie directe, et du consensus, un équilibre entre ses diverses composantes culturelles et politiques. D’autre part, l’important pouvoir décisionnel et d’organisation des entités locales, les cantons, mais notamment celui des communes, facilite le travail d’intégration harmonieuse des personnes migrantes, qu’elles soient d’origine européenne ou en provenance d’horizons culturels lointains.

Le lien national, et dans notre cas confédéral, est une quête permanente d’équilibres à la fois régionaux, culturels, mais aussi socioéconomiques, et de solidarités entre régions riches et moins abondantes. C’est une unité dans la diversité. La construction politique et économique européenne incarne aussi une formule censée atténuer les particularismes, tout en accentuant la diversité de ses composantes dans un lien politique et culturelle commun. Des Etats voisins louent les mérites suisses et tentent aussi, en l’avouant à demi-mot, d’imiter sa formule, sur plusieurs plans, mais elles n’y parviennent pas. On voit par exemple que les Gilets jaunes veulent introduire un “référendum d’initiative citoyen”, mais s’il était mis sur pied, cela serait, dans le contexte culturel et politique de la France un échec. L’Union européenne était censée aussi parer au nationalisme et à la montée des extrêmes, mais désormais, l’actualité politique de ces derniers mois en son sein démontre sa fragilité, voire son incapacité à créer un lien social fédérateur, à la fois entre les régions des différents pays, mais aussi au sein de ses composantes. Force aussi est de constater que l’Union européenne est très jeune par rapport à l’histoire de la constitution Suisse. Il faudrait pouvoir faire un bilan bien après des générations.

Enfin, pour revenir sur le modèle helvétique, celui-ci fonctionne bien grâce aussi à un système économique performant qui favorise la mobilité sociale, mais aussi parce que le lien citoyen est davantage local et participatif. C’est là le secret de la Suisse, à la fois sur le plan de sa cohésion nationale, mais aussi à sa capacité d’intégration culturelle, politique, et surtout socioprofessionnelle des personnes et populations migrantes, qui se déroule essentiellement à l’échelle locale. Le cas d’école de la Suisse confirme aussi l’adage que small is beautiful.

La guerre du nom « Macédoine »

Plusieurs centaines de milliers de manifestants ont récemment défilé dans les rues d’Athènes, pour protester contre l’engagement de négociation du Premier-ministre grec Alexis Tsipras, avec son homologue de la République de Macédoine (ARYM*), Zoran Zaev, au sujet de l’utilisation du nom « Macédoine ». Ces deux leaders, jeunes, pragmatiques, souhaitent mettre un terme à cette « guerre du nom » qui empoisonne, depuis vingt-cinq ans, le bon voisinage et les échanges économiques entre ces deux pays. Les compromis discutés sont symboliques, mais importants pour le contexte en question : A. Tsipras accepterait une solution d’un nom composé de « Macédoine du Nord », et en échange, Z. Zaev s’engagerait à rebaptiser les noms de l’aéroport de la capitale et de la principale autoroute du pays. Elles portaient, jusqu’ici, le nom d’Alexandre le Grand.

Pour les observateurs occidentaux, ce conflit étonne, pour ne pas dire interloque, perçu comme un litige quasi-exotique de la partie orientale de l’Europe.

Quelle en est l’origine ? La « guerre du nom »date de la désintégration yougoslave. Le 8 septembre 1991, la République de Macédoine est proclamée indépendante. L’adoption du nom constitutionnel de « Macédoine » par ce nouvel Etat, ainsi que le symbole étatique frappés du Soleil de Vergina** ont suscité des virulentes réactions en Grèce. L’adoption des noms et des symboles de Macédoine avaient mobilisé plus d’un million de Grecs dans les rues de Thessalonique pour protester contre le ‘kidnapping’ du nom de « Macédoine », perçu comme héritage national grec. Pour la Grèce, seule sa province septentrionale mérite l’appellation  « Macédoine ».

Dans un but d’apaiser les tensions entre la Grèce – membre l’Union européenne et de l’Otan – et l’ancienne république yougoslave de Macédoine,  en plein conflit ex-Yougoslavie, plusieurs cycles de discussions greco-macédoniennes ont été menés. Ces pour-parler accouchèrent d’un compromis provisoire au sujet de l’appellation officielle de ce pays, sans toutefois parvenir à une solution définitive. Ainsi, en 1993, la Macédoine a été reconnue par l’Organisation des Nations Unies, sous le nom ARYM (FYROM en anglais). Cette reconnaissance internationale fut accompagnée par l’abandon de l’utilisation du soleil de Vergina dans les symboles de cet Etat.

Depuis, les deux pays entretiennent des relations en apparence paisibles, mais cette question du nom demeure une épée de Damoclès. Telles de braises encore chaudes, la propriété du nom s’est enflammée avec la montée identitaire des Grecs et des nationalistes macédoniens. Ces derniers, au pouvoir de 2006 à 2016, ont accentué la dimension antique de la Macédoine, comme vecteur de l’identité nationale, au détriment de leur appartenance et héritage slave. Ils ont ainsi multiplié les provocations envers la Grèce, en transformant Skopje la capitale en un cirque antique très couteux, en érigeant une imposante statue d’Alexandre le Grand en plein cœur de la ville.

Les symboles dans les Balkans et ceux associés à la question macédonienne éclipsent un enjeu beaucoup plus trivial :  celui des territoires. C’est un deuxième fait important à souligner. Au moment de la reconnaissance par l’ONU, la Macédoine a du radier deux articles constitutionnels qui lui donnaient un droit de regard sur la minorité slave-macédonienne en Grèce. Ce fut donc la principale raison de la mobilisation politique des grecs qui craignaient, à terme, des revendications irrédentistes au nord du pays. Ainsi, en s’opposant au nom, elle voulait mettre un terme à toute velléité nationaliste macédonienne à plus long terme, et ouvrir la boite de pandore sur la question des minorités en Grèce (notamment les Tchammes, minorité albanaise). Soulignons au passage que le territoire de la Macédoine actuelle a historiquement été une pomme de discorde entre différents Etats de l’Europe du sud-Est, notamment la Bulgarie et la Serbie. Pour comprendre les manifestations  dans les rues d’Athènes sur le nom « Macédoine », relevons un troisième élément, qui est plus conjoncturel. En fait, les revendications des Grecs de ces derniers jours ressemblent davantage à une instrumentalisation politique des partis politiques d’opposition en Grèce, qui cherchent, par ce sursaut patriotique, à discréditer Alexis Tsipras, devenu, suite aux réformes et les politiques d’ajustement structurel, assez impopulaire. Il s’agit clairement d’ultimes manœuvres politiques d’utilisation émotionnelle des symboles nationaux, pour articuler les contradictions et le malaise socioéconomique général qui prévaut en Grèce, en relation avec la crise économique et financière actuelle. Du côté macédonien, le compromis, lui-aussi, est sous le feu de la critique des nationalistes.

Les deux leaders grecs et macédoniens comptent aller de l’avant pour résoudre ensemble ce litige de manière durable. Il est temps de normaliser les relations entre ces deux pays, et ceux de la région, afin d’amorcer une nouvelle dynamique économique et politique dans cette partie de l’Europe restée à l’écart.

A la fin du rideau de fer, l’historien Eric Hobsbawm avait cru à un moment que le nationalisme avait dépassé son zénith, et que la chouette de minerve, qui apporte la sagesse, était prête à prendre son envol au-dessus des nationalismes et de la nation. Les conflits ethno-nationalistes dévastateurs qui avaient éclaté immédiatement en ex-Yougoslavie ont été annonciateurs des vents contraires à cette idée de l’entrée dans une ère post-nationale. Toutefois, la nouvelle relève politique qui est en train d’émerger dans la plupart des pays des Balkans, cherche à aller de l’avant et à sortir de la conception chauvine de la nation.

 

* Ancienne république yougoslave de Macédoine (ARYM)

** Ce symbole, composé d’un rond entouré de seize rayons a été découvert au nord de la Grèce, à Vergina, en 1977, dans une tombe royale macédonienne attribuée à Philippe II. Il a ensuite été utilisé dans différents symboles de la Grèce, dont la drachme.

L’étonnant impact de la diaspora sur le destin politique du Kosovo

Le dimanche 11 juin 2017, ont eu lieu au Kosovo des élections législatives. Celles-ci ont provoqué de véritables secousses politiques, avec la percée d’un mouvement politique porteur d’espoir de changements dans la manière de gouverner dans ce jeune pays. Cette réalité est le fruit de dynamiques politiques internes au Kosovo, mais aussi, et de façon considérable, d’influences extérieures :  l’importante diaspora kosovare.

Plus concrètement, le Mouvement politique « Vetëvendosje » (Autodétermination), mené par le jeune leader charismatique Albin Kurti, s’est imposé, à la grande surprise de tous, comme la principale force politique du pays. Ce mouvement s’est profilé face à deux coalitions de poids : celle du PAN, menée par des anciens chefs de l’Armée de Libération du Kosovo, et celle de LAA, avec, en tête de liste, la Ligue Démocratique du Kosovo. Cette dernière était jusqu’ici au pouvoir, en coalition avec la principale formation politique contrôlée par les anciens guérilléros, soit le Parti démocratique du Kosovo.

« Vetëvendosje » doit ce résultat à la lucidité de son leadership, composé en majorité par des jeunes intellectuels qui ont été engagés en politique par conviction et par désir de changer le cours de l’histoire de leur pays, pris en otage par une classe politique corrompue, népotiste et incompétente. Depuis des années, Vetëvendosje dénonce systématiquement – par des diatribes fortes et des opérations militantes spectaculaires, parfois au sein-même du Parlement – la captation de l’Etat et de ses ressources par une poignée de personnes. Pour ses leaders, la classe politique kosovare a sacrifié, sur l’autel de ses intérêts purement personnels, et ce sur plusieurs plans, l’intérêt général du Kosovo et des Kosovars. Lors de ces élections, Vetëvendosje, avec son slogan « Egalité, Justice, Développement», a  dénoncé frontalement et avec véhémence le clan au pouvoir, en lui attribuant, avec insistance, l’épithète mafieux « Pronto ». Ce mouvement politique s’est ainsi imposé en tant que principale force politique réformatrice du pays, et ce malgré ses ressources matérielles peu comparables par rapport aux autres forces politiques.

Il est intéressant de constater que la stratégie d’action des chefs d’Autodétermination a consisté à renforcer progressivement son poids sur la scène politique kosovare, en se rapprochant activement de sa nombreuse population migrante en Suisse, en Europe et aux USA. Ses leaders sont venus des dizaines de fois à la rencontre de la communauté kosovare en Suisse pour lui expliquer son projet de société. En cherchant des appuis et des ressources à hors des frontières du Kosovo, en raison notamment du système cadenassé par les clans au pouvoir, le Mouvement Vetevendosje a réussi à impliquer activement des jeunes issus de la deuxième génération d’immigrés dans la vie politique. Elle est aussi parvenue, en usant activement des réseaux sociaux, à encourager de nombreux kosovars de l’extérieur d’utiliser le droit démocratique du vote.

Le gouvernement en place a tenté de saboter le vote de la diaspora en lui laissant à peine quelques jours pour s’inscrire dans les registres électoraux, condition sine qua non du vote par correspondance. Ces obstructions s’expliquent par le fait que l’establishment au pouvoir savait pertinemment que ce vote serait contestataire. En effet, l’importante diaspora kosovare en Europe, et celle notamment basée en Suisse, délaissée et résignée, voulait saisir cette opportunité comme d’une revanche démocratique envers les dirigeants kosovars actuels. Aussi, malgré les obstacles, de nombreux membres de la diaspora ont fait le déplacement pour aller voter au Kosovo. Le résultat probant de Vetëvendosje lors de ces élections est, selon les propos du porte-parole de cette formation, le mérite de la diaspora kosovare.

Si elle arrive à constituer une coalition gouvernementale, la tâche pour Vetëvendosje sera rude envers son électorat qui a des attentes énormes. C’est un immense chantier de réformes et de développement qu’il faudra amorcer. Le Kosovo connaît des difficultés structurelles importantes héritées de la période communiste, mais aussi pérennisées par une classe politique incapable d’amorcer le changement. Dans certaines régions périphériques sévit toujours l’extrême pauvreté et le chômage frappe très durement les jeunes qui ne voient leur salut qu’en émigrant.

L’exemple des réformes de fond dans la capitale, menés non sans peine par son maire Shpend Ahmeti, issu de ce mouvement politique, et les obstructions tonitruantes des apparatchiks et des oligarques envers les réformes, sont révélatrices des difficultés à venir pour amorcer le chantier des changements dans tout le pays. De plus, ce processus doit se faire avec le soutien des pays Occidentaux, fortement impliqués dans toutes les phases de l’histoire récente de ce pays. Il est à espérer que les leaders de Vetëvendosje sauront les rassurer, sur les questions géopolitiques de la région notamment, pour que le Kosovo puisse continuer à bénéficier de ce soutien indispensable.

La diaspora kosovare, qui s’est mobilisée une ultime fois lors du scrutin du 11 juin, pourra également jouer un rôle très actif dans ce processus. La question qui se pose est de savoir si elle aura suffisamment de patience pour continuer à soutenir, dans la durée, les acteurs politiques réformateurs du Kosovo.  Espérons que Vetëvendosje saura la garder au chaud.

Assistons-nous à un vent de changement en Macédoine et dans les Balkans ?

Depuis deux ans, la Macédoine connaît des dynamiques politiques nouvelles en faveur d’un véritable changement démocratique. Ce mouvement vise à déloger le régime politique autoritaire, corrompu et népotiste issu de VMPRO-DPMNE (Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne – Parti démocratique pour l’unité de la nation macédonienne) et qui était au pouvoir depuis 2006. L’opposition macédonienne cherche à aligner le pays dans une direction politique et civilisationnelle européenne, par le biais d’une vision de gouvernance politique transparente, responsable et au service de tous les citoyens du pays. Comme on pouvait s’y attendre, face à ce mouvement de fond, le réflexe de l’oligarchie au pouvoir consistait à jouer la carte du nationalisme, en représentant cette mobilisation politique comme étant orientée contre les intérêts nationaux de la Macédoine et qui aurait été orchestrée par des pays étrangers.

La résistance au changement a connu un nouveau rebondissement ces derniers jours, lorsque le Président actuel, Gjeorgi Ivanov – proche de VMPRO-DPMNE – viola clairement la Constitution en refusant de céder  le mandat à Zoran Zaev, leader de la Ligue socio-démocrate (SDSM), soit la deuxième force politique du pays. Le motif invoqué par le G. Ivanov fut l’alliance de la formation de Zaev à une plateforme de partis albanais du pays. Ce consensus, menacerait, selon le premier homme du pays, le caractère unitaire du pays.

Ladite plateforme des partis albanais est en effet mal vue par les politiciens macédoniens nationalistes car elle a été facilitée par les bons offices du Premier ministre d’Albanie en personne, Edi Rama. Elle contient en outre une série de revendications en faveur de cette composante ethnolinguistique albanophone qui avoisine les 30% de la population du pays. Les demandes de cette feuille de route concernent notamment la reconnaissance officielle de la langue albanaise (en conformité avec la réalité socio-démographique du pays ), un partage plus équilibré du pouvoir politique et une péréquation financière plus équitable envers les régions albanophones du pays qui sont fortement précarisées. Contrairement à l’ancien Premier ministre Nikola Gruevski, issu de VMRO-DPMNE, Z. Zaev a réussi, par des négociations sereines avec des partis politiques albanais, à réunir le nombre de députés nécessaire pour former un gouvernement de coalition.

Ce politicien incarne une nouvelle génération de décideurs libéraux et décomplexés, qui cherchent à changer la perception du pouvoir politique et qui veulent à dé-communautariser le pays par une reconnaissance et une valorisation de sa pluralité. C’est la seule figure politique des Balkans qui a osé percer une brèche dans le mur imperméable ethnique, en allant chercher aussi des votes auprès des électeurs albanophones du pays. La Macédoine demeure de nos jours fortement divisé entre les deux principales groupes ethniques slave et albanophone. Le charismatique Zaev vise à unir les différentes composantes sociolinguistique et à offrir ainsi des bases nouvelles et une stabilité  à ce petit pays fragile qui a connu, en 2001 une mini guerre civile. Étonnamment, cette courageuse volonté de modernisation et sa perspective politique visant à dépasser le cadre ethnosubstantialiste en Macédoine, ne suscitent que peu d’engouement et de capital de sympathie dans les médias occidentaux.

Force est aussi de constater que cette partie de l’Europe est économiquement sous-développée et très en retard par rapport aux autres pays du vieux continent, y compris ceux de l’ancien bloc de l’Est. Les Balkans, comme région périphérique et dépendante de l’extérieur, constituent un espace où s’articulent des « nouveaux » jeux d’influences, notamment de celui de la Russie, laquelle – en absence d’une réelle présence européenne – investit dans la péninsule et soutient des figures politiques autoritaires et nationalistes. Les changements de leadership aux USA  – qui étaient jusqu’ici considérés comme des garants de la stabilité militaire de cette région – et leur isolationnisme annoncé, donnent des ailes aux politiciens nationalistes locaux qui n’ont d’ailleurs aucun intérêt personnel à ce que la spirale ethnique cesse un jour. En fait, en sachant pertinemment qu’ils devront répondre un jour devant la justice pour leur abus de pouvoir et la mainmise personnelle sur les biens publics, ils saisissent ce contexte pour mobiliser des références nationalistes afin de détourner l’opinion des vraies questions de société. Pour reprendre l’exemple macédonien, alors qu’on soupçonne des hauts responsables politiques issus de VMRO-DPMNE pour le détournement de fonds public portant sur plus de cinq milliards d’Euros, ce fait-là est, éclipsé dans l’opinion occidentale en brandissant le spectre d’éventuelles tensions ethniques à venir dans ce pays et dans la région.

La donne géopolitique et le passé éminemment conflictuel ne doit pas éclipser les dynamiques politiques propres que connaissent les pays de cette région, que ce soit à l’échelle locale ou nationale. Malgré leur vulnérabilité, on ne doit pas non plus adopter une attitude fataliste et à réduire leur rôle à celui de simples pions d’un jeu d’échecs qui seraient joué par les puissants de ce monde. Les actuelles dynamiques qui émanent de l’intérieur des pays des Balkans doivent être valorisées et réellement soutenues par l’Union européenne, laquelle a désormais jusqu’ici davantage agi en tant que pompier. Il est donc temps que la région s’émancipe par un changement en profondeur de sa classe politique et en accordant de vrais pouvoirs à la justice, à la société civile et aux médias. C’est seulement ainsi qu’elle pourra changer l’Histoire et se faire une place respectueuse au sein de la famille européenne.

Le « retour » du religieux en politique

Historiquement, la religion et le politique ont été en étroite connexion. Cependant, l’intensité de cette corrélation a été tributaire des contextes sociaux de nos sociétés et de la politique internationale qui y prévalait. Dernièrement, on remarque que l’élément religieux est de plus en plus sollicité dans les débats politiques dans le monde, mais en tant qu’instance légitimant l’ordre établi. Au-delà de ce fait, il est intéressant de constater que ce renvoi récurrent à l’héritage spirituel ouvre également des perspectives aux milieux religieux pour revenir, sur le devant de la scène en tant qu’acteurs et à participer, à leur tour, dans le façonnement, voire la structuration de cet ordre-là.

Ce rapprochement de la sphère religieuse et politique se remarque par une certaine essentialisation progressive qui émaille la rhétorique politique. Plus concrètement, nos sociétés modernisées, laïcisées et individualisées, étaient devenues de moins en moins obnubilées par l’explication religieuse du monde. Ainsi, dans le contexte actuel marqué par des pertes de repères et une crise de paradigme doctrinal, on remarque un réflexe récurrent de cadrage culturel des différentes crises que nous observons dans le monde, et au sein de différents pays, y compris dans certains Etats occidentaux qui ont été libérés, dans leur fonctionnement, de références théologiques.

Les motifs religieux sont souvent mobilisés pour dissimuler des contradictions socioéconomiques intérieures à nos sociétés, voire pour essentialiser des causalités – ô combien matérielles  – de conflits. Cette tendance ressort clairement dans le débat identitaires actuel sur l’immigration, y compris dans des régimes politiques modernes qui se réfèrent aux principes de la laïcité. Par exemple, le thème de l’islam, des musulmans et de leur intégration connaît des rebondissements politico-médiatiques incessants en Europe. Même si ces polémiques s’inscrivent dans un contexte d’insécurité lié aux attentats terroristes successifs abominables qu’ont connus certains pays, notamment en France, le débat identitaire qui s’y déroule, met en pâture les dimensions religieuse pour expliquer le malaise vis-à-vis d’une minorité sociale, c’est-à-dire la population de culture ou de confession musulmane. Comme me le rappelait un spécialiste, comme on le voit dans ce débat, cette identité française, d’ailleurs, combine une référence culturelle chrétienne et l’appel à la laïcité. Il est frappant de voir comment des laïcs et des catholiques identitaires peuvent se retrouver dans une commune défiance envers l’islam, qui les conduit à gommer leurs propres différences.

Ce discours identitaire essentialisant évince ainsi les vraies causes du communautarisme et se dédouane de ses propres responsabilités, notamment pour ce qui est des échecs de mobilité socioéconomique de ces populations d’origine immigrée – spécialement pour les jeunes – et des incohérences de politiques migratoires. Ainsi, on attribue la responsabilité aux principaux concernés qui seraient, selon ce point de vue, culturellement incompatibles avec la laïcité et les valeurs de la République. Ce discours fige ainsi ces populations d’origine immigrée à leur seule composante religieuse et éclipse des réalités de changement les concernant lorsque l’ascenseur social fonctionne.

Au-delà de l’argument de légitimation, ou de celui de paravent culturel derrière lequel s’éclipsent d’enjeux éminemment (géo)politiques (lire matériels) dans le monde, il ne faut oublier de relever également le fait que la religion a aussi une autre facette, celle de contrepoids dans la société.

Même Marx, qui considérait la détresse religieuse comme un instrument de légitimation de la domination (« opium du peuple »), reconnaissait aussi son rôle de ressort de protestation contre la société existante. Dans le contexte socioéconomique mondial actuel, marqué par hiatus entre pays riches et pauvres, et émaillé par des conflits particulièrement meurtriers et dévastateurs, les acteurs religieux sont souvent les premiers à monter sur scène pour appeler à la solidarité et à réclamer davantage d’équité. La sphère religieuse n’a pas hésité, à l’image du Pape François, à crier fort pour que cesse la cruauté au Moyen-Orient, commise d’ailleurs souvent au nom de la religion.

Enfin, même si parfois une certaine complicité problématique peut se dessiner entre politique et religion, notamment lorsque, dans des pays autoritaires, le nationalisme ce mâtine de religion, on est en droit de se demander si à terme cette réalité nouvelle ne fera émerger le retour d’une certaine morale et éthique dans le politique. Serait-il naïf de croire que cette implication du spirituel dans le pouvoir temporel, en tant que lien social, pourrait faire renaître une certaine espérance dans un monde hautement individualisé, replié sur soi et en quête de sens.

La deshumanisation

Je me suis toujours demandé comment se faisait-il que les concepteurs ou les geôliers des camps de concentration pouvaient être à la fois empathiques, voire affectueux et attentionnés avec leurs proches, et à la fois des monstres dépourvus de toute humanité, en ayant participé activement à la conception ou à l’extermination méthodique des populations juives durant la Deuxième guerre mondiale. Cette incompréhension face à la dualité de l’humain, c’est-à-dire de partager les joies  de la vie avec des proches et en parallèle d’être indifférents au droit à la vie des autres, je me la suis posé chaque jour. Cette question me brûlait aussi lorsque dans les années 90, sous les yeux de l’Europe, des milices serbes massacraient froidement des dizaines de milliers de civils, enfants et femmes bosniaques et albanais, en raison d’un seul fait : leur différence ethnique.

Les mêmes questions me hantaient l’esprit lors du carnage apocalyptique du Rwanda, soigneusement préparé, planifié et mis en pratique contre des Tutsis par des miliciens ou des voisins Hutus de hier. Je comprenais encore moins à la chose lorsque les bourreaux et les victimes avaient habité jusque-là dans les mêmes espaces, avaient partagé le travail, les loisirs, les fêtes communes, y compris les mariages mixtes, et soudainement la mécanique d’extermination ethnique avait pris le dessus.  En fait, il m’a fallu beaucoup de temps pour réaliser que sous la propagande nourrie et récurrente qui cible à couper le lien humain avec les victimes, le commun des mortels peut aussi devenir un banal exécutant, dépourvu de tout sentiment ou d’empathie envers son prochain.

Tirer un parallèle avec les actes terroristes qui se déroulent de nos jours est légitime, car la même mécanique anime l’esprit funeste des assassins d’innocents. En fait, tous ces épisodes morbides ont un dénominateur commun : la déshumanisation de l’Autre. Cette piste peut nous aider à avancer pour comprendre et expliquer la cruauté des terroristes « freelance » qui se mettent à rouler avec des camions sur des humains innocents ou à tirer à kalachnikov à bout portant dans la rue pour ôter le plus possible de vies. Ces personnes, qui ont parfois un passé ordinaire, ont épousé des causes idéologiques obscures et ont fini par se transformer en monstres. Ils sont convaincus du bien-fondé de leur acte, en éliminant, à leurs yeux des « mécréants », qu’ils tiennent pour responsables des malheurs des différentes contrées du monde. Ainsi, cette mécanique infernale cherche à rompre l’empathie envers des semblables, pour pouvoir les utiliser comme bombes vivantes.

Cette machine odieuse de déshumanisation semble aussi pénétrer des sphères très intimes, y compris dans la même famille. Pour illustration, dans une vidéo récente diffusée par Daily Mail, on voyait une mère au voile intégral embrasser pour la dernière fois ses deux filles de sept et neuf ans, avant qu’elles aillent, peu de temps après, se faire sauter à l’explosif dans une station de police syrienne à Damas. La scène est déchirante car devant vous sont deux visages enfantins dans la plus pure innocence, qui sont guidés droit dans la mort par ceux qui les ont conçues. A ce surréalisme s’ajoute la lâcheté extraordinaire du père, un balourd à la barbe imposante djihadiste, qui auparavant tournait la scène funeste des adieux, se mets fièrement face à la caméra. Il montre de l’affection morbide pour ses filles, tout en les instruisant techniquement comment commettre l’horreur et en louant leur bravoure et leurs retrouvailles au paradis.  Si on ne peut deviner le sentiment de la maman  prisonnière de son voile intégral, face à l’idée de voir ses filles disparaître, l’attitude du père abasourdit.

La question qui s’impose est de comprendre si la déshumanisation pénètre également ce lien le plus proche, parents-enfants. Comment peut-on sacrifier sa progéniture ou écraser des innocents pour une cause idéologique quelconque. Ces personnes, se rendent-elles compte qu’elles sont de la chair à canon pour une cause éminemment politique, qu’on a enrobée de motifs religieux ? Comprennent-elles qu’à travers leur acte, on cherche à changer le rapport de force politique en provoquant des ondes de choc émotionnelles dans l’opinion publique occidentale ?

N’est-il temps d’agir là-dessus pour démasquer cette infernale mécanique d’instrumentalisation de l’horreur par des purs calculs froids politiques ? Autrement dit, la funeste innovation de l’extrémisme, à la fois par ses méthodes, mais aussi ses modes opératoires, doit nous rendre attentifs à cette dimension idéologique sur laquelle il faut agir afin de rompre les mailles de la déshumanisation. On ne pourra combattre ou prévenir le terrorisme ou des réflexes fascistes uniquement par des méthodes conventionnelles de répression, mais aussi par un travail de fond de déconstruction du discours idéologique des djihadistes. Il faut démasquer aux yeux de leurs soldats potentiels les vrais objectifs poursuivis par les architectes de cette violence organisée. Il va de soi, tout ceci doit être accompagné par un travail de fond d’éducation des générations futures, afin de replacer l’humain et la vie au centre.

Sortir du guêpier ethnique

Lors d’un débat que nous avons organisé récemment à Berne au sujet des élections du 11 décembre prochain en Macédoine, l’opposant politique socio-démocrate Zoran Zaev a surpris la diaspora macédonienne établie en Suisse. L’étonnement fut double : d’abord de par le fait qu’un politicien issu de la composante slave majoritaire dans le pays vienne à la rencontre de la diaspora originaire de ce pays en Suisse, mais de langue et culture albanaise. Du jamais vu ! Cet événement fera date dans l’histoire des populations migrantes des Balkans en Suisse, qui demeurent encore de nos jours organisées et divisées le long de lignes rigides ethno-nationales. L’autre grande surprise réservée par Zaev fut son discours citoyen unificateur et de-essentialisant. Son appel visait précisément à faire sortir le pays et ses différentes composantes du guêpier ethnique, tout en œuvrant en faveur de sa diversité, du partage du pouvoir politique et d’une meilleure répartition des ressources entre toutes ses composantes sociolinguistiques, notamment vis-à-vis de la population albanaise, qui représente le deuxième groupe ethnique du pays.

Ce débat à Berne était indispensable, mais pas sans risque, à la fois pour nous, en tant qu’organisateurs, mais aussi pour les politiciens invités. En effet, même si le candidat au pouvoir Zaev visait aussi à élargir son électorat en le portant au-delà du groupe de la majorité ethnique, il a clairement indiqué être conscient des votes sanction qu’il subira en de la part de certains votants slaves-macédoniens, précisément en raison de son ouverture politique dépassant le cadre culturel spécifique. Il estime néanmoins ceci indispensable au renversement de la spirale de division ethno-nationale et religieuse qui émaille le pays. « Ce n’est qu’ainsi que l’on pourra focaliser le débat sur les vraies causes de la pauvreté, c’est-à-dire la criminalisation et la corruption de la sphère politique et la déliquescence de l’ordre juridique et démocratique » a-t-il affirmé.

En effet, la réaction n’a pas tardé : le parti politique au pouvoir – VMRO-DPMNE, qui se veut patriotique et dont les leaders sont soupçonnés d’avoir lourdement vilipendé les ressources du pays à des fins personnelles – n’a pas tardé à dénoncer la « traîtrise » de Zaev en Suisse, dénonçant son intention de vendre la cause nationale macédonienne aux Albanais et de vouloir morceler le pays (sic). En fait, compte tenu du passé historique conflictuel sur le plan des relations interethniques dans ce pays, la fibre identitaire continue à ce jour à prévaloir dans la vie politique, et en particulier lors des processus électoraux. En fait, l’ethnicité, accentuée ces dernières années par des marqueurs religieux, domine le paysage politique, économique, socioculturel et scientifique. Et c’est ce que vise précisément à briser l’opposant Zaev, en intégrant à ses listes électorales des candidats issus de la population albanaise et des différentes minorités ethniques. C’est un véritable effort de changement allant à l’encontre des logiques ethniques exclusives.

De manière générale, les populations et pays des Balkans demeurent profondément divisés par une ligne imaginaire ethnique, laquelle, soulignons-le, n’est pas dans l’ordre naturel des choses mais a été socialement et politiquement construite. C’est une idéologie de division qui s’est progressivement transformée en une donnée culturelle. Elle paralyse l’essence même de tout tissu de vie commune, y compris locale, et tout ce qui peut permettre de dépasser ou de contourner le cadre ethnique.

Les développements sociopolitiques des vingt-cinq dernières dans la région exhibent les symptômes cette maladie qui continue à ronger l’ensemble de la région des Balkans. Les accords politiques qui ont permis de « pacifier » cette région de l’Europe, à commencer par celui de Dayton en 1995, de Rambouillet en 1999 et d’Ohrid en 2001, ont contribué à geler, par des architectures institutionnelles complexes, des situations de conflits, mais sans vraiment les résoudre. Il s’agit un peu de situations de « No Man’s Land », car elles n’ont pas donné entièrement satisfaction aux visées politico-territoriales des entrepreneurs ethniques. Elles n’ont pas non plus offert de réelles perspectives de voir aboutir des réformes de fond qui permettraient de comprendre ce qui s’est passé, d’établir les responsabilités politiques dans ces drames collectifs, et ainsi d’amorcer un dépassement des prisons de longue durée que sont devenues les identités ethniques cloisonnées.

Le problème réside aussi dans le fait que sans stabilité politique, il ne peut y avoir de perspectives économiques dans ces pays. Cette vulnérabilité génère une trop forte dépendance envers l’extérieur, ce qui déresponsabilise les décideurs locaux. Cette précarité fournit de plus un terreau favorable aux démagogues ethno-nationalistes (lire mafieux), qui sont souvent d’anciens seigneurs de guerre convertis. Ces derniers n’ont aucun intérêt à voir le pays se moderniser d’un point de vue juridique et politique, ni à permettre à la société civile de se doter de vrais pouvoirs. C’est un peu comme le serpent qui se mord la queue.

Ainsi, l’élection éventuelle de Zoran Zaev le 11 décembre prochain en Macédoine pourrait constituer un changement de paradigme dans les sociétés des Balkans, cette fois-ci de l’intérieur. Ce serait non seulement un changement de leadership, mais aussi le début d’un processus de construction de sociétés portant le citoyen en son centre, tout en reconnaissant et valorisant les réalités ethnolinguistiques plurielles. Toutefois, il est peu vraisemblable que ce changement ne puisse véritablement éclore sans un appui européen digne de ce nom. Espérons que le « Processus de Berlin » destiné aux pays des Balkans, amorcé par Angela Merkel, servira de catalyseur aux forces réformatrices.