Le « retour » du religieux en politique

Historiquement, la religion et le politique ont été en étroite connexion. Cependant, l’intensité de cette corrélation a été tributaire des contextes sociaux de nos sociétés et de la politique internationale qui y prévalait. Dernièrement, on remarque que l’élément religieux est de plus en plus sollicité dans les débats politiques dans le monde, mais en tant qu’instance légitimant l’ordre établi. Au-delà de ce fait, il est intéressant de constater que ce renvoi récurrent à l’héritage spirituel ouvre également des perspectives aux milieux religieux pour revenir, sur le devant de la scène en tant qu’acteurs et à participer, à leur tour, dans le façonnement, voire la structuration de cet ordre-là.

Ce rapprochement de la sphère religieuse et politique se remarque par une certaine essentialisation progressive qui émaille la rhétorique politique. Plus concrètement, nos sociétés modernisées, laïcisées et individualisées, étaient devenues de moins en moins obnubilées par l’explication religieuse du monde. Ainsi, dans le contexte actuel marqué par des pertes de repères et une crise de paradigme doctrinal, on remarque un réflexe récurrent de cadrage culturel des différentes crises que nous observons dans le monde, et au sein de différents pays, y compris dans certains Etats occidentaux qui ont été libérés, dans leur fonctionnement, de références théologiques.

Les motifs religieux sont souvent mobilisés pour dissimuler des contradictions socioéconomiques intérieures à nos sociétés, voire pour essentialiser des causalités – ô combien matérielles  – de conflits. Cette tendance ressort clairement dans le débat identitaires actuel sur l’immigration, y compris dans des régimes politiques modernes qui se réfèrent aux principes de la laïcité. Par exemple, le thème de l’islam, des musulmans et de leur intégration connaît des rebondissements politico-médiatiques incessants en Europe. Même si ces polémiques s’inscrivent dans un contexte d’insécurité lié aux attentats terroristes successifs abominables qu’ont connus certains pays, notamment en France, le débat identitaire qui s’y déroule, met en pâture les dimensions religieuse pour expliquer le malaise vis-à-vis d’une minorité sociale, c’est-à-dire la population de culture ou de confession musulmane. Comme me le rappelait un spécialiste, comme on le voit dans ce débat, cette identité française, d’ailleurs, combine une référence culturelle chrétienne et l’appel à la laïcité. Il est frappant de voir comment des laïcs et des catholiques identitaires peuvent se retrouver dans une commune défiance envers l’islam, qui les conduit à gommer leurs propres différences.

Ce discours identitaire essentialisant évince ainsi les vraies causes du communautarisme et se dédouane de ses propres responsabilités, notamment pour ce qui est des échecs de mobilité socioéconomique de ces populations d’origine immigrée – spécialement pour les jeunes – et des incohérences de politiques migratoires. Ainsi, on attribue la responsabilité aux principaux concernés qui seraient, selon ce point de vue, culturellement incompatibles avec la laïcité et les valeurs de la République. Ce discours fige ainsi ces populations d’origine immigrée à leur seule composante religieuse et éclipse des réalités de changement les concernant lorsque l’ascenseur social fonctionne.

Au-delà de l’argument de légitimation, ou de celui de paravent culturel derrière lequel s’éclipsent d’enjeux éminemment (géo)politiques (lire matériels) dans le monde, il ne faut oublier de relever également le fait que la religion a aussi une autre facette, celle de contrepoids dans la société.

Même Marx, qui considérait la détresse religieuse comme un instrument de légitimation de la domination (« opium du peuple »), reconnaissait aussi son rôle de ressort de protestation contre la société existante. Dans le contexte socioéconomique mondial actuel, marqué par hiatus entre pays riches et pauvres, et émaillé par des conflits particulièrement meurtriers et dévastateurs, les acteurs religieux sont souvent les premiers à monter sur scène pour appeler à la solidarité et à réclamer davantage d’équité. La sphère religieuse n’a pas hésité, à l’image du Pape François, à crier fort pour que cesse la cruauté au Moyen-Orient, commise d’ailleurs souvent au nom de la religion.

Enfin, même si parfois une certaine complicité problématique peut se dessiner entre politique et religion, notamment lorsque, dans des pays autoritaires, le nationalisme ce mâtine de religion, on est en droit de se demander si à terme cette réalité nouvelle ne fera émerger le retour d’une certaine morale et éthique dans le politique. Serait-il naïf de croire que cette implication du spirituel dans le pouvoir temporel, en tant que lien social, pourrait faire renaître une certaine espérance dans un monde hautement individualisé, replié sur soi et en quête de sens.

Bashkim Iseni

Bashkim Iseni est délégué à l'intégration de la Ville de Lausanne. Au bénéfice d’une thèse ès sciences politiques de l’Université de Lausanne.

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