De droite et pourtant

La double nationalité : un problème ?

Lettre ouverte

Chères compatriotes, chers compatriotes,

Récemment, nous avons eu quelques différends sur un sujet qui revient constamment sur la scène de l’actualité. Un sujet clivant, alors qu’il est censé nous unir. C’est en espérant améliorer nos rapports que je me permets de vous écrire cette lettre.

Une adolescence banale

Né en 1989 à Lausanne, c’est dans la campagne vaudoise — entre La Sarraz, Chavornay et Vallorbe — que je vis et passe enfance et adolescence. Comme certains d’entre vous, j’ai fait partie d’une équipe de sport, en l’occurrence le football. Comme vous, j’ai grandi aux côtés de Darius Rochebin qui, tous les soirs à 19h30, me donnait et me donne encore des nouvelles de la Suisse et du monde, en présentant le Télé Journal. Comme vous, j’ai côtoyé les girons et autres fêtes de jeunesses campagnardes autant que les boîtes de nuits lausannoises, et comme vous, j’ai dû plusieurs fois répéter, lors de mes déplacements à l’étranger, que « non en Suisse on ne parle pas que l’“allemand“ et que notre capitale ce n’est pas Genève, ni Zürich. »

Pourtant, en 2000, un événement vient perturber mon quotidien. Le policier du village sonne à la porte de notre maison, en uniforme ; il était venu inspecter la maison et poser des questions à ma mère. Puis, quelque temps plus tard, nous étions invités à répondre à des questions de culture générale sur la Suisse ainsi que sur notre mode de vie. Ma mère s’en était bien sortie, puisque durant l’année de mes 13 ans, toute ma famille s’est présentée, en habit du dimanche, devant le Conseil d’État vaudois pour prêter serment. J’étais devenu suisse.

À mes 18 ans, je débutais la politique au sein des Jeunes Radicaux vaudois. Deux ans plus tard, je devenais le deuxième président des jeunes libéraux-radicaux vaudois. Puis, fièrement, j’ai accompli mon service militaire obligatoire et suis devenu officier des forces aériennes suisses. J’avais 23 ans et je n’avais toujours pas réalisé que je faisais partie d’une minorité de Suisses, les binationaux.

Un climat pesant

Jusqu’ici dans mon parcours, je n’avais jamais dû me justifier ou prouver mon attachement à la Confédération helvétique. Cela a pourtant radicalement changé lorsque j’ai été confronté à des remarques, des avis ou des commentaires relatifs aux doubles nationaux. En voici un florilège : « Est-ce qu’ils ne devraient pas choisir entre l’une des deux origines ? » « Sont-ils vraiment loyaux ? » « Mais arrête, tu n’es pas vraiment suisse, t’as une autre origine ! » « Voyons, tu n’es pas comme moi, t’as été naturalisé. »

C’est dans ce contexte qu’en 2015, je participais à un débat ayant lieu sur la RTS Forum, face à un membre du parti de l’Union démocratique du centre (UDC). Ce débat concernant la loyauté des officiers binationaux de l’armée suisse confirmait le manque de confiance que peuvent toujours avoir certains milieux envers les binationaux. Récemment, Ada Marra, conseillère nationale, publiait un livre sur la question de la naturalisation. Avant cette publication, et tandis qu’elle se trouvait au Palais Fédéral faisant son travail en tant qu’élue, l’un de ses homologues lui a déclaré : « Tu parles bien pour une Italienne ». Elle en fera le titre de son livre.

Nous sommes 916 257 Suisses à avoir une double-nationalité. Je vous propose un nouveau point de vue, voyez les doubles nationaux comme des ambassadeurs et non comme des adversaires. Nous avons grandi en Suisse, nous sommes fils de la Suisse. N’en doutez pas, chaque fois que nous sommes en visite à l’étranger nous portons fièrement les valeurs helvétiques.

Un choix impossible

Pour ma part, bien qu’ouvert à la discussion, il m’est parfois pesant de devoir justifier le fait de ne pas vouloir choisir entre la Suisse et l’Espagne. Justifier le fait que je porte le maillot de la Roja plutôt que celui de la Nati. Justifier que, quel que soit le résultat de la finale Nadal contre Federer, je ne connaisse pas la déception. Pourtant, chers compatriotes, que diriez-vous si je vous demandais de choisir entre votre mère et votre père ? Que ce soit clair pour vous : renier une de mes origines c’est comme devoir renier un parent ! Il n’est pas possible de choisir entre sa mère et son père. On les aime tout autant les deux, avec leurs défauts et leurs qualités. 

Alors, est-ce que je suis qu’une moitié suisse ? Non, je suis un vrai Suisse. D’ailleurs, comment être un faux Suisse ? Qu’est-ce que cela pourrait signifier ? Comme le prouve mon expérience, ma relation à la Suisse n’est pas différente des non binationaux. Je suis un Suisse multiculturel, fier de mes deux origines.

Chères compatriotes, chers compatriotes, ne me forcez pas à choisir, ne doutez plus de ma loyauté, j’aime la Suisse et je continuerai à m’engager, avec vous, pour la rendre encore plus belle !

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