Ces dernières semaines nous avons entendus beaucoup de commentaires quant au caractère décevant de la COP26 et du « Pacte de Glasgow » qui est ressorti des négociations. L’attention médiatique s’est beaucoup concentrée sur l’insuffisance des engagements des différents pays en matière de réduction des émissions, qui même s’ils étaient respectés nous mèneraient vers un réchauffement de 1,7°C à 2,7°C, et sur les changements de dernière minute dans le phrasé concernant la sortie des énergies fossiles. Le texte final demande en effet la « réduction » (phasedown) plutôt que la « sortie » (phase-out) du charbon, ce qui a provoqué la juste colère de la Conseillère Fédérale Simonetta Sommaruga.
Si le résultat n’est clairement pas à la hauteur des attentes, ni de l’urgence de la situation, il ne faut toutefois pas perdre de vue que les négociations internationales sont des processus extrêmement complexes, lents et périlleux, qui plus est lorsque les décisions doivent être prises à l’unanimité. De ce point de vue, la mention des énergies fossiles dans le Pacte (ce qui, aussi extraordinaire que cela puisse paraître, est une première dans un traité international sur le climat), l’engagement à doubler l’aide financière pour l’adaptation des pays en développement ou l’obligation pour les pays de présenter des objectifs plus ambitieux dans une année déjà (contre cinq ans selon le calendrier habituel), sont des pas en avant bienvenus qui permettent de garder quelques lueurs d’espoir. A cela s’ajoute également de nouvelles règles de transparence pour la communication des progrès réalisés, ainsi que des annonces, en marge de la conférence, sur l’arrêt de la déforestation et la réduction des émissions de méthane.
Mais un autre enjeu moins visible de la COP26 était l’établissement de règles du jeu concernant l’usage des instruments de compensation carbone par les pays, dans la poursuite de leurs objectifs de réduction des émissions. Et contrairement aux engagements nationaux qui peuvent être révisés à tout moment, ces règles de fonctionnement ne devraient plus changer pour les années qui viennent et vont conditionner la crédibilité du recours au marché du carbone pour faire baisser les émissions globales. Avec des règles trop souples ou mal conçues, il y a un risque significatif que ces marchés deviennent des usines à gaz (au sens propre) qui n’apporteront aucun bénéfice climatique réel et constitueront surtout une perte de temps regrettable. Le résultat obtenu lors de la COP26 évite le pire mais comporte également de nombreuses failles que je décris brièvement ci-dessous.
Les principales questions en suspens avant la COP26 et leur résolution
L’article 6 de l’Accord de Paris propose deux mécanismes d’échange de « crédits carbone », chaque crédit correspondant des réductions d’émissions d’une tonne de CO2. Le premier mécanisme met en place un système multilatéral et centralisé de contrôle et d’échange de ces crédits (article 6.4). Le second permet aux pays de conclure des accord bilatéraux pour des échanges mutuels de réductions des émissions (article 6.2). C’est dans cette dernière voie que la Suisse s’engage à marche forcée puisqu’elle a déjà conclu de tels accords avec six pays en développement (le Pérou, le Sénégal, le Ghana, la Géorgie, Vanuatu et la Dominique). Parmi les règles d’application de ces deux articles voici les questions principales qui étaient restées en suspens jusqu’ici :
Faut-il accepter le double comptage des crédits carbone ?
Réponse de la COP26 : non (bien, mais pas de quoi parader non plus)
Lorsqu’un pays met en œuvre des réductions d’émissions et décide de les vendre à un autre pays sous forme de « crédits carbone », les deux pays peuvent-ils revendiquer ces réductions et les compter dans leur bilan carbone ? Accepter cela, comme le proposaient certains pays, aurait été une absurdité et aurait complétement vidé l’Accord de Paris de son sens. Le pire a donc été évité à cet égard, mais l’absence de double comptage constitue vraiment le b.a.-ba des bonnes pratiques pour un marché du carbone et peut difficilement être présenté comme une victoire (à l’instar de la Suisse qui se montre très satisfaite de ce résultat).
Les anciens crédits du Protocole de Kyoto sont-ils acceptés dans le cadre de l’Accord de Paris ?
Réponse de la COP26 : oui, pour les projets enregistrés après le 1er janvier 2013 (décevant)
Le Protocole de Kyoto comprenait un marché de la compensation similaire à celui envisagé dans l’Accord de Paris et un grand nombre de crédits engendrés par des projets de réductions des émissions dans ce cadre n’ont pas encore été utilisé. La COP26 a décidé que ces anciens crédits pourraient être utilisés s’ils ont été attribué après le 1er janvier 2013. Cela signifie que des réductions d’émissions vieilles de plusieurs années, correspondant à environ 300 millions de tonnes de CO2, pourront être utilisées par les pays pour atteindre leurs objectifs actuels. Ici encore le résultat aurait pu être pire, mais cela va tout de même ralentir les efforts de réductions réelles des émissions.
Une partie des crédits doivent-ils être « annulés » afin d’accélérer la réduction globale des émissions ?
Réponse de la COP26 : 2% des crédits du marché multilatéral seront annulés (décevant)
Le problème de la compensation carbone est qu’elle ne permet pas d’aller au-delà du jeu à somme nulle. A toute « réduction » vendue sur le marché sous forme de crédits correspond des émissions qui ne sont pas éliminées du côté de l’acheteur. Pour accélérer la réduction des émissions au niveau mondial, une proposition intéressante était que tout crédit carbone vendu sur le marché corresponde dans les faits à la réduction d’un peu plus d’une tonne de CO2. Cela est faisable facilement par l’annulation d’un certain nombre de crédits avant même qu’ils soient mis en vente. Un objectif ambitieux aurait été l’annulation d’au-moins 30% des crédits délivrés, mais l’issue des négociations s’est fixée sur le chiffre nettement plus modeste, presque insignifiant, de 2%. De plus, les accords de compensation bilatéraux auxquels la Suisse souscrit ne sont pas touchés par cette mesure.
Une part du produit des échanges de crédits carbone devrait-elle être utilisée pour financer des mesures d’adaptation supplémentaires ?
Réponse de la COP26 : à hauteur de 5% et seulement pour le marché multilatéral (décevant)
L’idée ici aurait été de ponctionner une partie de la manne financière constituée par le marché de la compensation pour financer des mesures d’adaptation en mal de liquidité. Cela ne s’appliquera malheureusement qu’au mécanisme de compensation multilatéral, à hauteur de 5% du prix de vente des crédits, et les accords signé par la Suisse avec d’autres pays échapperont donc à cette mesure.
Au total, un bilan très mitigé
Prises ensemble, ces décisions donnent un ensemble de règles du jeu pour l’usage des marchés de la compensation qui sont très loin de constituer un mécanisme de « rehaussement de l’ambition », comme cela est parfois évoqué. Les décisions prises à la COP26 ne permettront pas de restaurer une confiance déjà très limitée dans les bénéfices attendus de ces mécanismes et ces règles vont malheureusement continuer à s’appliquer pour les années à venir.
Une étude du très sérieux New Climate Institute basé à Cologne en Allemagne, avait analysé quelques mois avant la COP26 les différents scénarios qui pourraient ressortir des négociations. Le rapport montre clairement que le transfert de projets et d’anciens crédits issus du Protocole de Kyoto annule largement les maigres bénéfices des autres mesures décrites ci-dessus en matière de réduction des émissions. L’étude montre que les réductions d’émissions globales seront de près de 2 milliards de tonnes de CO2 plus faible, au cours des dix prochaines années, que ce qu’elles auraient pu être avec des règles plus strictes. Il s’agit là d’une occasion manquée de montrer que ces instruments de marché peuvent jouer un rôle positif plutôt que d’être de simples outils favorisant la procrastination. Qui plus est, l’application des mesures d’annulation des crédits au seul mécanisme multilatéral, et non aux accords entre pays tels que ceux pratiqués la Suisse, vient encore aggraver la situation. Dans ce contexte, le mieux que l’on puisse espérer est que les pays choisissent d’eux-même d’éviter de recourir à la compensation, ou du moins évitent d’acheter d’anciens crédits issus du Protocole de Kyoto.
La Suisse montrée du doigt
La Suisse, qui joue un rôle prépondérant dans le développement et l’utilisation de ces mécanismes de compensation, devrait donc cesser d’afficher une telle autosatisfaction. Dans une analyse récente du même institut de recherche allemand, elle se fait sévèrement critiquer pour les précédents qu’elle crée avec ses accords bilatéraux et la sous-enchère qu’elle risque de provoquer en matière d’ambition globale.
Afin de retrouver un semblant de crédibilité en matière de lutte contre le changement climatique, notre pays ferait bien mieux de concentrer son action sur les réductions de ses propres émissions (à ce sujet voir également ici) et d’assumer sa juste part de la finance climatique à destination des pays en développement. A cet égard, un geste fort pourrait être de poursuivre le financement de projets de réductions des émissions à l’étranger, tels que prévus dans les multiples accords bilatéraux déjà signés, mais en renonçant à revendiquer pour son propre compte les réductions d’émissions qui en seront issues.
Augustin
Merci de votre travail de fond .
Et de votre analyse sur la Cop 26
Je pense qu’il est indispensable pour nous éclairer .
En Suisse. seul des actions de confrontation ou de désobéissance civil pourrons inciter la confédération à mettre au pas l’économie, afin quelle arrête de freiner des 4 fers la mise en oeuvre des contraintes indispensable pour limité l’emballement du climat .
Car la posture actuel nous mène au pire , la terre et le climat s’en remettrons, l’humanité c’est bien moins sûr.
Yves
Encore une chimère qui recouvre le fait que 95% de nos champs sont arrosés avec des glyphosates !
Toute cette propagande pour continuer de bousiller le reste de la planète !
Pourquoi ne parlent-ils jamais des poisons que les multinationales de la chimie déversent dans la nature ?