Jeudi passé, je suis allée voir le documentaire Free Men, qui retrace le parcours d’un homme noir, Kenneth Reams, qui se trouve dans le couloir de la mort aux Etats-Unis pour un crime qu’il n’a pas commis. En prologue du documentaire, la phrase suivante s’inscrit sur l’écran noir : « Ce film s’adresse à tous ceux qui songent parfois à baisser les bras ». Car face au courage de Kenneth, on reste sans voix.
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Ce documentaire m’a passablement secouée, d’autant plus qu’il était suivi d’un appel téléphonique en direct avec Kenneth Reams. Surréaliste. Dans l’assemblée, il y a surtout un public averti, partisan de l’abolition de la peine de mort, dont je fais partie. Mais il y aussi des voix qui s’élèvent pour parler de la victime (qui n’a pas été tuée par Kenneth Reams). On s’insurge du fait qu’elle soit à peine mentionnée dans le documentaire, ce qui n’est pourtant pas l’objet de Free Men. Bien que je puisse entièrement comprendre la compassion ressentie pour l’homme qui a été tué, le but du documentaire n’est pas de refaire le procès mais bien de questionner comment il est possible, en 2019, qu’environ 3’000 personnes soient encore dans le couloir de la mort aux Etats-Unis, qu’elles aient ou non commis le crime pour lequel on les accuse.
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Comment est-il possible, en 2019, qu’environ 3’000 personnes soient encore dans le couloir de la mort aux Etats-Unis ?
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Je suis frappée par le milieu défavorisé dans lequel est né Kenneth, en Arkansas. Battu par sa mère (qui a elle-même dû vivre dans des conditions déplorables et qui est tombée enceinte très jeune), Kenneth est livré à lui-même, livré à la rue. Au moment du braquage, il fréquente un ami qui n’a pas les moyens de se payer un chapeau pour sa cérémonie de remise de diplôme. Voler de l’argent en braquant un homme, voilà l’idée. Ni le blesser, ni le tuer. Le voler et fuir. Mais tout ne se passe pas comme prévu et l’homme est mortellement touché par balle.
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Sorrow of the soul, oeuvre peinte par Kenneth Reams
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Bienvenue aux Etats-Unis, dans ce pays où toute une tranche de la population ne peut pas combler ses besoins de base tout en ayant accès aux armes, comme si c’était plus important qu’avoir à manger ou pouvoir s’instruire. C’est le même gouvernement qui permet aux citoyens – dont des mineurs – de se procurer des armes puis qui les condamne ensuite à la réclusion à perpétuité ou à la peine de mort pour avoir fait usage de cette arme dans un contexte de survie qu’ils n’ont pas choisi. Et entre les deux, il y a l’attente dans le couloir de la mort, des semaines, des mois, des années, souvent même des décennies. Une vie en sursis, entre quatre murs, sans lumière, sans espoir, sans projet. Et malgré ça, dans sa cellule aussi grande qu’une salle de bain, Kenneth écrit, peint, sculpte, crée. Car malgré un système barbare qui veut le réduire à un animal en cage, Kenneth transcende le désespoir à travers l’art et grâce à ceux qui continuent à le considérer comme un être humain.
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On ne peut décemment pas légitimer un système qui punit de mort ceux et celles qu’il enfante puis laisse pour compte.
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Que l’on se comprenne bien ! Loin de moi l’idée de banaliser le braquage ou de légitimer les crimes : les délits doivent être sanctionnés. Mais ils doivent l’être au regard de la justice, avec proportionnalité et prise en considération des éventuelles circonstances atténuantes. Par ailleurs, les conditions de détention ne doivent pas annihiler l’essence humaine des détenus. On ne peut décemment pas légitimer un système qui punit de mort ceux et celles qu’il enfante puis laisse pour compte. La responsabilité n’est pas ici seulement individuelle, même si les Etats-Unis promeuvent la destinée individuelle à travers le rêve américain et font l’éloge des individus qui réussissent seuls à grimper l’échelle sociale. La responsabilité est aussi collective, sociale. Elle nous concerne tous et toutes.
Pétition pour la libération de Kenneth Reams: Ici
Site de Kenneth Reams: Ici